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Paul et Mickey | Dans l’ombre d’un chameau à cent bosses, le vol d’un jour à venir

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« C’est à trop voir les êtres sous leur vraie lumière qu’un jour ou l’autre nous prend l’envie de les larguer. La lucidité est un exil construit, une porte de secours, le vestiaire de l’intelligence. C’en est aussi une maladie qui nous mène à la solitude ». Quels autres mots que ceux de Léo Ferré pour introduire aujourd’hui le jeune groupe Paul et Mickey ? Pour Skriber, il n’y en avait aucun. Rencontre avec Adrien Sabadel, l’un de ses fondateurs, pour décortiquer les siens tout autant que ceux qu’il ne dit pas encore. Cela ne saurait tarder…

Bonjour Adrien, et merci d’avoir accepté cette interview. Tu es auteur, compositeur, interprète au sein du groupe vivarois Paul et Mickey que tu fondas avec ton frère Baptiste. Peux-tu revenir sur la formation du groupe ?

Adrien Sabadel : Elle remonte à septembre 2009. Thomas Malik et moi faisions alors partie d’un petit groupe où nous étions respectivement guitariste et bassiste. Nous voulions nous investir plus. Notre complicité et nos références musicales communes (Noir Désir, Green Day, Téléphone) ont fait le reste. Baptiste nous rejoignit en tant que batteur : c’est mon frère et un virtuose des baguettes ! Nous débordions d’énergie et d’envie. Nous voulions tout donner pour réussir. Mon père avait construit avec nous une salle dans la cave pour que nous puissions répéter. Je me souviens d’ailleurs précisément du coup de pioche que j’ai donné à la place où je me suis ensuite tenu pour chanter.

À l’époque, quelle était votre principale motivation ?

Adrien Sabadel : Nous souhaitions faire des concerts, nous amuser, répéter aussi régulièrement que possible et composer nos propres chansons.  Nous aimions passer du temps ensemble en reprenant les standards des groupes que nous aimions. Me concernant, je souhaitais aussi chanter. J’avais pris la basse un peu par défaut, et je voulais par-dessus tout chanter en français et écrire les paroles de nos morceaux. Au début, je souffrais d’un manque de confiance en moi. Lorsque je chantais, j’imitais les chanteurs que le groupe et mon père aimaient pour être sûr d’être aimé et de ne pas être jugé.

La voix est un instrument particulier qui implique tout ton corps et qui peut aussi faire peur. Je tente désormais de trouver ma propre voix en expérimentant, en m’éloignant de mes modèles musicaux. J’ai encore peur de déplaire même si j’ai beaucoup de choses à exprimer : je suis une boule d’émotions ! Quant à l’écriture, c’est mon truc, j’ai depuis toujours cette envie de raconter des histoires, pour ne pas dire mon histoire. Partager tout ça sur scène, car nous avons besoin de cette magie, de cette rencontre avec le public, de cette expression, de cet échange. Le flirt de l’époque avec la scène est devenu un véritable amour avec le temps.

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Quelle est la moyenne d’âge du groupe ?

Adrien Sabadel : Baptiste a 21 ans, Damien et moi en avons 24.

Damien Arnaud est aujourd’hui à la basse, à la guitare et à la programmation. Il est le seul autre musicien indiqué sur votre page Facebook©. Qu’est devenu Thomas Malik que tu évoquais tout à l’heure dans ta première réponse ? Fait-il toujours partie de Paul et Mickey ?

Adrien Sabadel : En 2013, le groupe s’est reformé. Nous sommes passé d’un power trio punk/rock à un quatuor. C’est à ce moment-là que Damien a intégré le groupe en tant que bassiste. Comme Thomas, je le connaissais depuis l’enfance. J’avais une idée assez précise de ce que je voulais pour notre premier EP En attendant l’aurore. L’idée était de repartir de zéro. Les années nous avaient changés tout autant que nos perspectives et ma façon d’écrire. Il ne s’agissait plus seulement de s’amuser. Personnellement, j’ai découvert que l’écriture pouvait être un poumon, que j’avais quelque chose à exprimer. Depuis, j’écris tous les jours des pages et des pages dans mon carnet noir. Il est devenu mon meilleur ami.

En juin 2015, après plus d’un an passé à le composer et à l’enregistrer, En attendant l’aurore est sorti. Plusieurs concerts se sont enchaînés avant, pendant et après : on a passé des moments inoubliables et merveilleux. À la fin de notre tournée, nous avons eu la chance de rencontrer Denis Barthe (Noir Désir, Les Hyènes), qui nous conseilla d’intensifier le rythme de nos répétitions. Baptiste, Damien et moi étions convaincus qu’il fallait suivre cette direction pour vivre de la musique. Thomas ne voyait pas les choses du même œil. Il avait moins de temps et d’énergie à consacrer au groupe et souhaitait se bâtir une vie différente.

Il est toujours un ami très proche, je le connais depuis l’enfance ! Et même si nous ne travaillons plus ensemble, il se pourrait qu’il collabore à certains titres de la seconde partie de Vol de nuit, l’un de nos prochains albums sur lequel nous travaillons actuellement.

Le mini album En attendant l’aurore révèle vos influences rock et grunge, avec une ouverture sur un slam se voulant poétique et s’inscrivant dans la même perspective artistique que celle du groupe français Fauve. Nous y reviendrons tout à l’heure. On décèle une référence bien plus forte dans les textes et les compositions de Paul et Mickey. En effet, votre univers est très empreint de celui de Noir Désir, à commencer par le nom même de votre groupe, à travers l’allusion sans équivoque à sa chanson sortie en 1996 Un jour en France. Le morceau évoquait déjà Paul et Mickey, calembour pour polémiquer, mais aussi dénonciation de l’emprise américaine sur la France. Quels sont les éléments de ta vie personnelle qui pourraient expliquer ta volonté de pointer à ton tour du doigt les failles du système ?

Adrien Sabadel : Très jeune, je me suis changé en chameau. Deux bosses. La première fut ma rencontre avec Florence Camus. Cette femme était mon professeur de français. Elle m’a transmis sa passion pour un certain Blaise Pascal (Discours Sur la Condition Des Grands, Les Pensées). Le portrait que ce philosophe dresse de la condition humaine et sa façon d’aborder la mort, la vanité, le divertissement, l’ego m’ont sensibilisé au questionnement philosophique. Depuis, je n’ai cessé de m’interroger sur tout et d’aller toujours au fond du pourquoi.

La deuxième bosse fut ma condition. Je me suis demandé qui j’étais, quels étaient mes déterminismes sociaux, ce que mes parents m’avaient transmis en termes d’héritage psychanalytique, quels étaient leurs propres développements, quelle était ma place dans le monde et quel était ce monde. Cette dernière question m’a amené à confronter mon idéalisation du monde et mes espoirs à la réalité de la corruption, de la bêtise, de l’individualisme, de l’égoïsme, de la guerre, de l’injustice. Je ne viens pas d’un milieu aisé, j’ai vu mes parents travailler dur durant toute leur vie pour subvenir à nos besoins. Je pense que la façon dont les richesses sont réparties est injuste, que nous sommes dans une guerre silencieuse et discrète qui soumet et abrutit une partie de la population pour profiter à une minorité.

Lucie Saphores fut une artiste, une réalisatrice et une photographe. Elle était aussi la femme que j’aimais : elle est malheureusement décédée. Elle m’a très tôt sensibilisé à la condition des minorités et à la condition des femmes. Je crois qu’il n’y a pas d’âge pour s’indigner, pas de date de péremption pour se battre. La vie est une bataille et je compte bien ne pas rester spectateur. Je suis prêt à faire des erreurs, à dire des conneries et à revenir dessus. Je préfère ça que de ne rien faire. Victor Hugo ne disait-il pas que le mal n’était pas le problème mais l’indifférence devant lui ?

« Je veux être la torche qui nous rassemblera. Nous les oubliés, les écorchés, les rêveurs contre vents et marées, les fous, les blessés, les oiseaux de nuit meurtris par l’amour et épris de liberté »

Suite à la participation de Paul et Mickey au festival Aluna en 2014, tu as eu l’occasion de rencontrer Bertrand Cantat. Au-delà des conseils qu’il a prodigué à ton groupe quant à la manière de transmettre son message et de préciser son identité, quel sentiment fort gardes-tu de ton échange avec lui ?

Adrien Sabadel : Il a été très accueillant. C’est un homme chaleureux, tactile, un peu comme le serait ton parrain. Il m’a rapidement entouré de son bras lorsque nous nous sommes rencontrés. Il avait l’air de savoir ce qu’était le malheur, de savoir également survivre. Ça m’a intéressé, parce que moi je ne sais pas faire. Cela ne veut pas dire qu’il ne souffre pas, mais il a l’air d’avoir su apprivoiser sa souffrance pour en faire quelque chose de constructif. Il écrit, il chante. Il y a une bienveillance chez cet homme qui me paraissait inaccessible auparavant. Pour moi, il rayonne encore, malgré mon envie de m’en affranchir.

Bertrand Cantat est devenu au fil du temps une figure artistique majeure du rock français. Néanmoins, sa vie d’homme a révélé des parts d’ombres profondes. Des drames également. Dans une précédente interview, tu disais de Bertrand Cantat qu’il était emblématique pour Paul et Mickey. Dans quelle mesure l’est-il exactement pour toi et le groupe, si l’on considère ce drame que j’évoque ?

Adrien Sabadel : Lorsque je rencontre quelqu’un, je mets souvent en place le même mécanisme, sans le vouloir. J’idéalise, je conspue puis je trouve un équilibre. J’ai peut-être encore besoin d’idéaliser Bertrand Cantat. La poésie et la révolte, voilà une lumière en ma nuit. Je crois que tout le monde imite mais que personne ne le dit. Pour trouver mes marques, pour oser me lancer et user de ma voix, le chemin tracé par Bertrand m’a été bénéfique. Je manquais beaucoup de confiance en moi lorsque j’ai commencé à chanter. C’est un état que j’ai retrouvé à la mort de ma compagne il y a huit mois. Quand on manque de confiance en soi, je dirais même d’amour propre, il est difficile d’oser être soi. J’ai toujours peur de ne pas être aimé, de ne pas être reconnu, d’être moqué.

D’où vient ce manque de confiance ?

Adrien Sabadel : Adolescent, j’ai vécu des humiliations particulières qui m’ont laissé des cicatrices à l’âme dont je ne parviens pas à me défaire. Mon image de moi en a été brisée. Ainsi, imiter quelqu’un que les autres aiment est une façon de prendre moins de risques : on ne se montre pas vraiment. Je partage avec Bertrand Cantat un goût certain pour des poètes sombres comme Gérard de Nerval, la mélancolie d’auteurs comme Pessoa ou Dostoïevski, pour des chanteurs comme Bashung, Ferré, Brel, Brassens. Hélas, je partage aussi avec lui un drame, celui de la perte de l’être aimé. Je crois que c’est l’une des pires choses qui puisse arriver. On se sent lié à ceux qui connaissent le même sort : celui d’être resté.

Je reste méfiant quant aux évènements relatés par les médias au sujet de l’histoire de Bertrand Cantat. Je pense que les médias sont là pour défendre des intérêts de classe et qu’ils sont prêts à mentir, à manipuler, à détourner et à découper pour arriver à leurs fins. J’y ai été confronté personnellement lorsque j’ai été colistier aux dernières municipales. J’ai été la cible de tas de ragots servant le pouvoir en place. Il n’y a que Bertrand Cantat qui dispose de la vérité au sujet de ce qu’il a vécu. Pour le reste, la justice a parlé.

Focus maintenant sur deux titres du mini album de Paul et Mickey, En attendant l’aurore. Le premier, si seulement, est une ode à l’amitié et à la solitude, mais aussi l’expression du désir de reconnaissance et de sens ainsi qu’une contestation des formats et des réseaux sociaux on line. Quelles solutions un jeune artiste tel que toi a-t-il déjà imaginées pour sortir les gens de leur isolement et de leur conformation, au-delà du fait de les souligner dans ses textes et dans la colère instrumentale de ses chansons ?

Adrien Sabadel : Je fais de la musique parce que je crois que cela rassemble les gens. Je n’écris qu’à mon sujet, et sur ce qui est vrai. J’écris mes doutes, mes souffrances, mes rêves, mes espoirs. Je crois qu’en faisant ça, d’autres comprendront, qu’ils s’identifieront et qu’on se retrouvera. Je veux être la torche qui nous rassemblera. Nous les oubliés, les écorchés, les rêveurs contre vents et marées, les fous, les blessés, les oiseaux de nuit meurtris par l’amour et épris de liberté. Je me souviens de mes 12 ans quand j’écoutais Je Cours de Kyo : je n’ai jamais écouté autant une chanson. J’ai des crises de Je Cours encore maintenant tellement la mémoire est vive. Cette chanson parlait d’un ado qui s’était tiré une balle devant ses camarades de classe, ça parlait de son malaise, de son quotidien. À l’époque, ça me faisait vraiment du bien que quelqu’un chante ça, je me sentais représenté.

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Paul est le deuxième titre qui m’a franchement parlé. Il révèle vos influences : on perçoit en effet dans ta voix la rythmique, le phrasé de Serge Gainsbourg, l’intention de Bertrand Cantat, celle aussi parfois de Bernard Lavilliers. La guitare est une inquisition, elle envahit l’espace-temps de l’auditeur. D’où proviennent cette désespérance et cette lassitude que tu exprimes sans détour par ton écriture ?

Adrien Sabadel : Je souffre de ce qu’on pourrait appeler une certaine ambivalence. Il y a Paul et il y a moi. J’écris des nouvelles sur la vie de Paul, et des fois on se croise dans ces histoires. Je l’aime et je le hais. J’ai parfois l’impression que je le fuis alors qu’il est mon salut, comme on le voit dans le clip du titre. Ce que j’ai vécu plus jeune a détruit durablement la considération que j’ai pour moi-même. Au moment où j’ai écrit Paul, j’écoutais beaucoup l’album L’Homme à la tête de chou de Serge Gainsbourg. J’avais envie de retrouver cette nervosité, cette tension comme on peut les trouver sur certains titres de cet album à l’instar de Flash Forward. C’est Lucie qui m’a invité à écouter Gainsbourg, et ce, afin d’allier le sens et le son au cœur d’une même perspective dans le titre Paul.

J’ai cru comprendre sur la page Facebook de Paul et Mickey que le premier album du groupe, Vol de nuit, était en cours de finalisation. Quand sa sortie est-elle prévue ?

Adrien Sabadel : Vol de nuit n’est pas un album au format traditionnel. Les premiers extraits devraient sortir début 2017 titre par titre, clip par clip, et ce, gratuitement. L’album sera disponible sur Youtube ainsi que sur toutes les plateformes de téléchargements comme nous l’espérons, tant qu’il demeure gratuit pour le public.

Merci Adrien pour cet échange. On attend avec impatience les premiers battements d’ailes de Vol de nuit prévus d’ici quelques semaines. Pour l’heure, on te souhaite une belle continuation ainsi qu’à tous tes doubles de Paul et Mickey.


Photo : G. Bernard Photographie (header)

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