L’année prochaine, Nesles sortira son nouvel album, témoignage de son arrivée au carrefour d’une vie qu’il n’aurait décidément jamais imaginée ainsi. Voilà quelques années déjà qu’il traîne sur les routes sinueuses d’un esprit qui, s’il a pu lui jouer des tours, expérimente aujourd’hui une paix nouvelle capable de rassasier sa faim de mouvement, d’action, de précision et de poésie. Dans l’intimité d’une âme désormais au repos, les mots de Nesles sont aujourd’hui plus simples et toujours aussi beaux. Rencontre avec l’artiste et l’homme se faisant humblement l’écho de tous ces autres cachés sous son manteau.
Si Bertrand Burgalat et Jean-Louis Murat avaient eu un fils caché, ce serait sans doute toi Nesles. Bonjour et merci d’avoir accepté cette interview. Tu es auteur, compositeur et interprète depuis vingt ans : ton premier EP intitulé Jardin aux bêtes sauvages sortit en effet en 1997. En mars 2017, un nouvel album verra le jour grâce au soutien de la SCPP et de l’ADAMI, et au financement participatif mis en place en collaboration avec Microcultures, structure de production artistique indépendante alliant une démarche de label et une prestation de services à la carte pour les artistes et leurs fans. Quel recul as-tu sur ton parcours artistique et professionnel depuis tes débuts ?
Nesles : Aucun (rires). Vu que j’ai le nez dedans tous les jours, on ne peut pas vraiment parler de recul en définitive. Et ce, même si la remise en question est permanente puisqu’elle fait partie intégrante du processus créatif. Elle est indispensable pour avancer. D’ailleurs, je ne suis pas vraiment du genre à regarder derrière moi. J’ai besoin de voir devant, de m’améliorer pour améliorer les choses. Pour être plus précis aussi dans ma démarche, et surtout, pour continuer à ressentir du plaisir dans ce que je fais, à y trouver du sens. Pour les partager.
Quels sont ces choix que tu aurais dû faire pour concilier ton identité singulière et une notoriété plus affirmée auprès du grand public ?
Nesles : (silence) C’est compliqué de répondre à ça à la vue de tous les paramètres à considérer, et notamment ceux qui échappent aux artistes. Je crois d’ailleurs qu’il faut accepter que cela nous échappe car je ne pense pas que l’on puisse les contrôler vraiment. Notre seule force, c’est finalement de créer de l’envie, du désir chez les gens qui nous écoutent. Après, certains artistes sont plus adroits dans les jeux notamment politiques. Mais je considère que l’essentiel est de savoir où l’on se situe et d’être bien avec ce qu’on fait. Il existe des démarches que je ne pourrais pas avoir parce qu’elles me mettraient mal à l’aise. Et d’autres le font mieux que moi.
Qu’elles sont ces choses que tu évoques et qui échappent aux artistes ? As-tu des exemples ?
Nesles : L’histoire de ces artistes œuvrant dans l’ombre et à qui tout d’un coup tout arrive grâce à un moment, une rencontre. Ça peut arriver tôt, ça peut arriver tard. Ça peut ne jamais arriver. Pour moi, ça ne doit surtout pas être une préoccupation pour l’artiste. Car même s’il est presque impossible d’y échapper du fait de la réalité économique, il faut absolument s’en affranchir au risque de pervertir, de détourner, de polluer l’avancée de l’artiste. Finalement, ça peut le rendre très malheureux.
Tu as évoqué récemment dans une interview certains relationnels toxiques pour toi et ta perspective créative, sans avoir considéré ces derniers comme tels dès ta rencontre avec ces gens. Selon toi, pourquoi cela paraît-il si simple pour les uns de bien s’entourer, quand c’est la croix et la bannière pour les autres ?
Nesles : Avant tout, je ne souhaite pas laisser croire qu’il s’agirait pour moi de simplement pointer du doigt telle ou telle personne. Car j’ai eu ma part de responsabilité dans ces relationnels que tu évoques et qui avaient plutôt tendance à me tirer vers le bas. Je pense qu’il faut faire très attention au chant des sirènes. Les artistes ont des égos très affirmés. Nous avons des besoins et il est très facile de se laisser charmer par les promesses de ces gens mal intentionnés, de ces autres aussi dont la démarche peut être profondément sincère mais qui expérimentent leurs propres difficultés quotidiennes et qui disparaissent d’un seul coup. J’en veux moins à ces gens-là aujourd’hui car ils m’ont finalement aidé en me trahissant ou en s’en allant sans prévenir. J’ai tiré de ces situations des enseignements précieux pour la suite de mon parcours.
Quoiqu’il en soit, toutes les rencontres que l’on peut faire dans la vie, qu’elles soient professionnelles, amicales, artistiques, sont finalement comme les rencontres amoureuses. Il y a de l’envie, du désir, de la séduction. Il y a aussi inévitablement des rapports de force. Oui, ça prend du temps de s’entourer, et bien plus lorsqu’il s’agit de s’entourer des bonnes personnes et de se créer un cercle restreint d’alliés. Personnellement, ça me prend une vie ! Mais c’est ça aussi qui m’intéresse : cette quête, cette découverte. Car une fois que je suis arrivé quelque part, je ne peux pas poser mes valises, il faut que je reparte.
Tu as initié les soirées Walden depuis janvier 2014, présentées comme de nouvelles opportunités de découvertes d’artistes autonomes, libres et singuliers. Ces soirées ne sont-elles pas finalement ta réponse à ces professionnels t’ayant trompé par le passé ainsi qu’à la problématique des réseaux très fermés du monde la musique ?
Nesles : Oui et non. Mais avant de répondre, je souhaiterais dire que j’ignore ce qu’est un professionnel de la musique. Je n’ai pas d’aigreur particulière envers ce milieu-là. Je n’ai jamais eu aucune envie d’être signé par Pascal Nègre, car les gens que j’écoute ne sont pas chez lui. En fait, ils sont ailleurs. Je ne fais pas les choses et je ne pense pas qu’il faille les faire pour les « pros ». Il s’agit d’un mauvais débat qui écarte de l’essentiel de la création. Les soirées Walden, c’est une proposition visant à se connecter à un public curieux, mélomane, qui a envie de découvrir des artistes qu’il n’aurait pas eu l’occasion de connaître par les canaux traditionnels.
Ce public existe. Et c’est bien là le plus positif dans les soirées Walden, durant lesquelles une proximité et une bienveillance s’installent pour profiter aussi bien aux artistes qu’au public. Mais il faut trouver ce public en éloignant cet écran de fumée créé par ceux qui ont une force de frappe plus importante que celle des artistes indépendants. J’ai toujours écrit, composé et fait de la scène. Seul, dans des groupes, dans des collectifs. J’ai rencontré beaucoup de gens issus de différents milieux dans des concerts, des soirées. Ce qui m’intéresse, c’est de faire bouger les choses plutôt que d’en parler et de rester au stade du projet ou de la constatation liée à un système inégal, injuste.
« Je n’ai jamais eu aucune envie d’être signé par Pascal Nègre, car les gens que j’écoute ne sont pas chez lui, ils sont ailleurs »
Ce nouvel album en cours de finalisation succèdera à l’EP Nu paru il y a deux ans. Les titres Et la pluie s’est arrêtée et Quitter la France qu’on retrouve sur celui-ci m’ont beaucoup touché. Qui plus est, j’ai trouvé ton écriture plus accessible et moins tortueuse que celle que tu employais jusque-là, notamment dans ton projet musical Krank sorti en 2009 ainsi que dans ton album Meilleur Ordinaire paru en 2006. Nu fut réalisé par Alain Cluzeau. Il collabora entre autres avec Fersen, Olivia Ruiz et Bertrand Belin. Ton prochain album est lui aussi réalisé par ses soins. Votre collaboration est-elle à l’origine de cette évolution de ton écriture, ou existe-t-il d’autres éléments motivant ta nouvelle direction dans l’écriture de tes chansons ?
Nesles : Les deux. Merci d’abord d’avoir remarqué cette évolution. Ça me touche. Il y a eu une vraie volonté de ma part d’épurer, de dépouiller, d’aller plus à l’os. Je pense que c’est l’âge qui veut ça. Le but fut pour moi d’ôter un maximum de parasites aux pensées que je souhaitais coucher sur le papier. Quand on est jeune, on a envie d’en mettre partout, que ce soit dans l’écriture des paroles mais aussi dans la composition, les arrangements. Au final, chaque chanson racontait quatre histoires. C’était indigeste à la longue. La scène m’a aussi énormément aidé. Je me suis remis à faire des concerts seul. J’ai retrouvé mes fondamentaux : il fallait qu’une chanson tienne avec seulement ma voix et ma guitare. Ça m’a obligé à retourner au cœur des choses.
Enfin, la rencontre avec Alain a en effet été déterminante. J’ai eu un vrai coup de foudre pour lui tant artistiquement que sur le plan humain. Alain Cluzeau m’a croisé au moment où j’étais en plein milieu de cette problématique-là. Il m’a encouragé à mettre un bon coup de pied dans la fourmilière de mes artifices, de ma machinerie. En outre, il m’a poussé à retrouver le chemin de l’écriture en français à un moment où j’avais souhaité prendre de la distance vis-à-vis d’elle en chantant des textes en anglais et en allemand. Il m’a proposé de prendre trois ou quatre mois pour écrire de nouveaux textes, de nouvelles chansons, puis qu’on se revoit.
Je me rappelle avoir passé quarante-huit heures cauchemardesques après ce rendez-vous. Je remettais tout en question, je me considérais comme une merde, c’était pénible pour moi. Finalement, tout est sorti en trois semaines. Cela a marqué le début de notre collaboration. La rencontre avec Alain est belle. Beaucoup d’années sont passées avant que je ne croise la route de quelqu’un comme lui. Mais il fallait aussi sans doute que je sois disponible pour entendre et comprendre ce que nous partageons. J’avais besoin de faire mes armes, de comprendre qu’il fallait que je me décharge de certaines choses.
Pour finir, il paraît que tu ne peux passer une seule journée sans un livre. Il paraît aussi que tu aimes la poésie. Écoute plutôt :
La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles
Est une œuvre de choix qui veut beaucoup d’amour.
Rester gai quand le jour, triste, succède au jour,
Être fort, et s’user en circonstances viles,
N’entendre, n’écouter aux bruits des grandes villes
Que l’appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour,
Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour
L’accomplissement vil de tâches puériles,
Dormir chez les pêcheurs étant un pénitent,
N’aimer que le silence et converser pourtant,
Le temps si grand dans la patience si grande,
Le scrupule naïf aux repentirs têtus,
Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus !
– Fi, dit l’Ange Gardien, de l’orgueil qui marchande !
Sauras-tu reconnaître l’auteur de ce poème ?
Nesles : Ne serait-ce pas du Verlaine ?
La vie humble, tiré du Livre I du recueil Sagesse, de Paul Verlaine. Bonne pioche. Que t’évoque ce poème par rapport à toi, à ta propre vie ?
Nesles : (soupirs) Plus que chez d’autres auteurs, l’œuvre et l’homme sont indissociables chez Verlaine. Il s’agit de l’engagement d’une vie. Il s’y est d’ailleurs brûlé. Sa vie a été passion mais aussi souffrance. C’est à la fois sidérant, extrêmement moteur, inspirant, excitant quand on a dix-sept ans, comme le disait son ami Rimbaud. Mais je pense que c’est aussi une vie de bohème complète que je ne peux pas mener de par notamment mes responsabilités de père. Je n’ai pas envie de tout brûler.
J’ai essayé ce jeu-là, j’ai eu cette vie-là. J’ai fini par en payer le prix fort, et c’était nécessaire que je passe par-là. J’y ai laissé un peu de ma santé. Je ne souhaite pas revivre cet excès, cet abandon artistique. Même si je sais que je vais repartir à fond après avoir raccroché. Quoiqu’il en soit, deux vers de Verlaine suffisent à me descendre. L’émotion est immédiate, directe, vraie. On est dans la vie. Son écriture est tout aussi bien brillante que terriblement émouvante. Et je la trouve complètement d’actualité évidemment.
Nesles : Facebook | Photo : Jauris Casanova