À travers une nouvelle configuration scénique restreinte pour toucher l’essentiel de l’univers qu’il sait réinventer, le groupe Rumble 2 Jungle poursuit sa route à travers ses impulsions animales faites de soul, de rock et de blues. Récompensé au Mississipi Blues sur Seine en 2016, il a sorti en novembre 2016 son premier album. Entre hommage à la performance et aux valeurs de Mohamed Ali, et celui au talent de la grande Amy, ça gronde, ça swingue et ça chante. Rencontre avec Eddy Leclerc, fondateur du groupe Rumble 2 Jungle.
Bonjour Eddy et merci d’avoir accepté cette interview. Tu es le fondateur de Rumble 2 Jungle, un groupe qui explore depuis sa création les univers du jazz, de la soul, du hip-hop et du funk. Peux-tu revenir sur les premiers moments d’existence du groupe ?
Eddy Leclerc : Rumble 2 Jungle a vraiment pris forme il y a un an et demi avec la chanteuse franco-somalienne Kissia San, le nouveau bassiste Sébastien Richelieu et le nouveau batteur Paul Héroux. Nous avions déjà sorti un EP avec les copains de Caen avec un MC du Burkina Faso et un autre de Chicago qui étaient plus orientés hip-hop. J’ai donc gardé le nom du groupe pour en monter un autre plus soul et plus rock en 2015, avec un format plus réduit.
Quelles étaient tes motivations lors de la création de Rumble 2 Jungle ?
Eddy Leclerc : J’avais joué dans pas mal de projets musicaux, notamment dans ceux que j’avais en commun avec certains potes et pour lesquels tout le monde apportait des compositions. À un moment donné, je me suis retrouvé avec un certain nombre d’idées et de compositions. J’ai donc décidé de monter mon propre projet pour les concrétiser. Je suis très touché par les retours positifs des gens depuis, tout comme par le plaisir des musiciens lorsqu’ils jouent la musique de Rumble 2 Jungle. Elle est un moyen de vider mon sac, de remettre les idées en place aussi.
Quels sont les autres projets musicaux que tu évoquais à l’instant et auxquels tu as participé ?
Eddy Leclerc : Il y a tout d’abord Like Jam. Nous étions sept. Nous avions tourné sur Rennes entre 2007 et 2009. Et actuellement, je fais partie d’un autre groupe qui s’appelle Red Line Crossers. Il est composé de dix musiciens et de quatre danseurs. Il explore la musique de la Nouvelle-Orléans : j’y joue du banjo.
Quelle est ta formation musicale ?
Eddy Leclerc : J’ai commencé à jouer de la guitare en écoutant un disque de Nirvana. Beaucoup de rock donc, mais aussi du blues. Ce genre a eu une grande influence sur moi. J’ai appris également en rencontrant les musiciens. J’ai fini par prendre quelques cours. Après le BAC, j’ai décidé de me lancer dans la musique. J’ai choisi une licence en musicologie. J’ai poursuivi avec un Diplôme d’Études Musicales au conservatoire en Bretagne. Ces cursus ont consolidé mon apprentissage, avec toujours en parallèle cette dynamique de rencontres, de concerts. Je crois d’ailleurs que la rencontre est la clef. Je cherche aussi constamment à conserver l’aspect brut et animal du rock et du blues dans les morceaux que je compose. C’est ce que j’aime par-dessus tout.
As-tu toujours voulu faire de la musique, même avant d’écouter Kurt Cobain ?
Eddy Leclerc : J’ai toujours aimé la musique, l’écouter avec mes parents. Je ne pensais pas vraiment à devenir musicien. Mais arrivé à l’adolescence, c’était de plus en plus prenant. C’est devenu une très forte envie oui. Je ne me voyais pas trop faire autre chose que de la musique. J’ai la chance aujourd’hui de pouvoir en vivre. J’espère que ça va continuer.
En 2014, Rumble 2 Jungle sort un premier EP éponyme faisant la part belle aux collaborations combinant principalement jazz et hip-hop, notamment avec Dao, Racecar et Laurence Le Baccon. Ce premier jet est l’occasion pour Rumble 2 Jungle de voyager entre Chicago, le Burkina Faso, Paris et Caen. Comment s’est mise en place la réalisation de cette production ?
Eddy Leclerc : Cet EP s’est fait complètement par hasard et entre copains suite à la rencontre avec l’ingé son Simon Marais, qui a aussi collaboré avec le groupe pour le dernier album de Rumble 2 Jungle sorti en novembre 2016. Nous avons eu l’opportunité d’avoir deux jours en studio d’enregistrement. Nous sommes arrivés avec plusieurs compos. Le résultat était bon, ça sonnait vraiment bien. Le groupe n’existait pas vraiment, nous ne tournions pas encore. Il s’agissait seulement de répéter. Nous avons sorti ce premier EP pour le plaisir du coup.
As-tu une anecdote à partager qui se serait déroulée durant les enregistrements ?
Eddy Leclerc : Je n’ai jamais rencontré Dao, le MC du Burkina Faso qui est sur deux titres de notre premier EP. Nous avions des connaissances communes que j’ai rencontrées à Caen. Tous ses enregistrements ont été faits à distance, grâce à la magie du web.
« Mohamed Ali était non seulement un très grand champion dans son domaine, mais il était aussi quelqu’un de très charismatique avec des valeurs qui m’ont toujours plu »
Rumble 2 Jungle a donc pris un nouveau virage en novembre 2016 avec la sortie d’un premier album placé sous le signe d’un hommage à un combat de boxe mythique, celui entre Mohamed Ali et Goerge Foreman. Il eut lieu en 1974 et permit à Mohamed Ali de reconquérir son titre mondial après en avoir été déchu suite à son refus de participer à la guerre du Vietnam. Pourquoi avoir choisi cet évènement historique et ce personnage en particulier ?
Eddy Leclerc : J’ai toujours aimé les boxeurs américains. Ce sont toujours des histoires incroyables. Ce qu’il faut savoir en plus, c’est que pendant très longtemps pour un noir américain, il n’y avait pas beaucoup de solutions pour s’en sortir, à part la musique, la boxe ou devenir gangster. Je caricature un petit peu, mais pas tant que ça. Donc ce sont toujours des histoires, des personnages incroyables. Mohamed Ali en fait partie. Il était non seulement un très grand champion dans son domaine, mais il était aussi quelqu’un de très charismatique avec des valeurs qui m’ont toujours plu. Quelqu’un d’intègre, de courageux, et qui a refusé de participé à la guerre de Vietnam qui n’avait pas lieu d’être selon lui. Il était en pleine force de l’âge lorsqu’il a été déchu. Et ce, pendant quatre ans. Il a mis sa carrière d’athlète de haut niveau de côté. Il n’est pas revenu sur ce qu’il a dit malgré la pression. Ça m’impressionne.
Dans quelles circonstances as-tu rencontré la chanteuse Kissia San ?
Eddy Leclerc : Nous avons joué ensemble la première fois dans un groupe de cover soul sur Caen, qui s’appelait Soul Vintage Orchestra. C’était vers 2013. Nous avons tourné un an et demi avec ce projet musical. Je crois qu’elle voulait chanter autre chose à la suite de ça. De mon côté, j’avais des compositions sur le feu. Nous avons fait des essais qui se sont plutôt bien passés. Petit à petit, les choses ont fini par se concrétiser.
Peux-tu nous en dire plus sur ses influences ?
Eddy Leclerc: Kissia San vient plutôt du monde de la soul. Je pense notamment à des chanteuses comme Etta James et Aretha Franklin. Elle a aussi écouté des chanteuses issues du RNB et de la variété internationale, à l’instar de Whitney Houston et d’Alicia Keys. Kissia San est très curieuse, ses goûts sont très éclectiques finalement. Elle écoute beaucoup de choses.
Un peu de Beyoncé, ainsi que de Tina Turner. On retrouve d’ailleurs ce côté tigresse dans son interprétation…
Eddy Leclerc : Oui, elle aime beaucoup Tina Turner. Son côté très rock lui va vraiment très bien en effet.
Sa voix porte l’identité de Rumble 2 Jungle. On peut même sentir qu’elle en garde sous le pied. On perçoit en tous les cas une véritable volonté de coller aux genres que vous vous réappropriez. Cela va jusqu’à collaborer avec Pidibee, une parolière américaine. Elle développe au sein de ce premier album des thématiques qualifiées « de peu présentes dans la soul actuelle » sur la page Facebook du groupe. Celles-ci traitent d’inégalités, de ségrégation. Pourquoi selon toi ces sujets sont-ils moins traités de nos jours, notamment dans la musique soul ?
Eddy Leclerc : Ils ont été traités et le sont encore dans certaines chansons, mais pas dans cette veine soul. On retrouve souvent des sujets légers, en lien avec les histoires d’amour notamment. Mais très peu en rapport avec la ségrégation. C’est pour cette raison que nous avons profité de l’opportunité de travailler avec Pidibee. Elle s’intéresse beaucoup à la littérature anglo-saxonne ainsi qu’aux musiques dans lesquelles le texte tient un rôle important, comme dans celle de Tom Waits.
Comment l’as-tu rencontrée ?
Eddy Leclerc : Pidibee est souvent sur Paris. Elle part également régulièrement à Seattle. C’est une amie du groupe. J’ai cette chance depuis mes débuts d’avoir des gens qui croient en moi et qui n’hésitent pas à m’aider dans mes différents projets. Pidibee en fait partie. J’ai vécu en Normandie, en Bretagne, à Paris : j’ai pu rencontrer un certain nombre de gens avec lesquels ça se passe vraiment bien, tant professionnellement qu’humainement. Je suis heureux que chacun amène leur pierre à l’édifice, comme l’a fait Pidibee pour ce premier album.
Rumble 2 Jungle : page officielle | Photos : Béatrice Gillot (header)