Le groupe toulousain Scarecrow mêle le blues et le hip-hop. Il partage ses univers singuliers avec le monde entier depuis 2008. Des univers parallèles aux nôtres en symbiose avec la réalité nue. La musique et les textes de Scarecrow se découvrent avec patience et attention. Un désir de curiosité pour une immersion totale dans une voix, des mots et des notes qui voudraient remettre à l’endroit ce qui peut l’être.
Salut Adrien et merci d’avoir accepté cette interview. On te connait mieux sous le pseudo d’Antibiotik Daw. Tu es le MC scratcheur à la plume affutée du groupe toulousain Scarecrow, né sur les bords de la Garonne en 2008 de ta rencontre fortuite entre Slim Paul, chanteur et guitariste charismatique. Comment décrirais-tu ce coup de foudre artistique ?
Antibiotik Daw : Notre rencontre était une évidence. Pas de place pour le hasard ce soir-là sur la place de la Daurade. On a fait quelques buffs ensemble, et le choc s’est produit. C’est comme une histoire d’amour en fait : il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer.
Scarecrow, c’est donc l’alliage de deux univers : celui du blues et du hip-hop. Scarecrow, c’est aussi une création originale initiée et développée depuis la sortie du premier album du groupe This is Blues Hip-Hop en 2011. Un an plus tard, c’est au tour de l’album Evil and Crossroads de sortir puis d’être réédité en 2013 via la mise en place d’un financement participatif. The Well et le groove démentiel du titre album arrivent en 2014. Et nous voici donc en 2016 avec la sortie en juin dernier de The Last, paru également en vinyle il y a quelques jours. Quel est le message caché derrière ce titre ?
Antibiotik Daw : Peut-être (rires). The Last est tout d’abord le titre du premier morceau de l’album. Mais c’est aussi un révélateur de l’amusement qui est le nôtre lorsque nous écrivons, que nous composons, et que nous produisons notre musique. Notamment d’un point de vue politique, mais aussi au niveau de la communication. À l’heure actuelle, le monde n’est plus que communication, y compris en politique où il n’existe plus aucune proposition. Il s’agit seulement de faire le buzz, de créer de nouvelles polémiques permettant à chaque personnalité de faire parler d’elle. L’intérêt général a été complètement banni des discours politiques.
Aucune crainte à avoir par conséquent concernant la fin éventuelle du groupe ?
Antibiotik Daw : Je l’ignore en fait, nous n’en savons rien. Nous faisons notre musique de façon totalement indépendante et nous avons dans ce sens créé notre propre label. Nous ne travaillons qu’avec des indépendants, que ce soit en France, mais aussi aux États-Unis et en Angleterre. En fait, nous ne mettons en place aucune démarche particulière vis-à-vis des majors car nous ne sommes pas demandeurs. Cette indépendance préserve notre liberté d’expression et de création.
Des centaines de concerts dans plus d’une dizaine de pays depuis la création du groupe, qui s’est d’ailleurs retrouvé coincé en Roumanie fin août alors qu’il devait se produire au Bob’arts festival le soir même. Est-ce le pire souvenir de tournée pour toi ? Et ton plus beau moment sur scène ?
Antibiotik Daw : Le pire souvenir de tournée, non, et cet avion qui décolla sans nous n’a pas effacé les moments extraordinaires passés avec le public roumain. C’est compliqué de répondre à cette question après avoir fait plus de 500 concerts en dix dans le monde entier. Il y a tellement d’anecdotes mémorables ! Mon plus beau souvenir reste le concert de la veille : je crois en fait que c’est la meilleure réponse que je puisse faire. Tout simplement parce que le public mérite qu’on se dépasse et qu’on progresse toujours. Tout simplement parce que si ce n’est plus le cas et si tu es incapable de te remettre en question, mieux vaut arrêter de faire de la musique.
« Le hip-hop est l’envie de sortir de la ghettoïsation par des comportements, une façon bien spécifique de parler, de chanter, de danser. Il traduit l’émancipation »
Au-delà de la voix hors-norme de Slim Paul, de ton groove et de votre connivence avec Jamo et Le Pap’s qu’on perçoit très distinctement en vous écoutant, The Last interpelle par le contenu de vos textes. Commençons par Shake it traitant de la superficialité de la société de consommation de masse, des buts existentiels artificiels de l’individu, du tout-jetable et des formats. Dans le clip du morceau, on aperçoit sur l’écran de la cuisine le clip qui avait été réalisé pour Left Behind, l’un des précédents morceaux de Scarecrow évoquant les médias, les politiques, le système, le pouvoir, sur fond de JT de BFM TV. Selon toi, dans quelle mesure penses-tu que la force de votre engagement puisse impacter les consciences ?
Antibiotik Daw : Dans quelle mesure, je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c’est que le hip-hop m’a éveillé à la pensée politique. Si la musique ne peut pas changer le monde, elle y contribue. Elle est un vecteur de réflexion, un apport de sens critique qu’on trouve très difficilement dans les médias. Je pense aussi que la musique peut agir comme un contre-pouvoir, surtout à l’heure actuelle où toutes les musiques sont disponibles et trouvables sur le web.
Tu peux, pas dénonce le hip-hop et les rappeurs d’aujourd’hui qui ne composent plus, qui n’ont plus d’idée, qui usent des clichés, qui sacrifient la culture pour la notoriété et l’argent facile. Si ce constat est partagé par le public de Scarecrow, crois-tu que le message peut atteindre le public qui écoute Sexion d’assaut ou Maître Gims ?
Antibiotik Daw : Non. En fait, la culture hip-hop n’existe pas en France. En tous les cas, elle n’existe plus depuis le début des années 90. Le hip-hop a très vite été récupéré par les pouvoirs publics. Ils ont créé des MJC qui ont transformé le hip-hop en une musique presque folklorique. Mis à part quelques petits viviers situés dans certains quartiers de certaines villes en France et en Europe, il faut aller aux États-Unis pour avoir une réelle vision de ce qu’est le hip-hop. Quand on voit des danseurs de breakdance dans des spectacles de danses contemporaines, on a juste envie de dire stop.
À l’origine, les premiers danseurs de breakdance qui tournaient sur la tête faisaient ça pour une bonne raison. Le hip-hop est l’envie de sortir de la ghettoïsation par des comportements, une façon bien spécifique de parler, de chanter, de danser. Il traduit l’émancipation par la création d’une nouvelle musique sur la base de morceaux existants, comme le blues put l’être dans les années 20 pour les populations afro-américaines opprimées du sud des États-Unis. Ceux qui écoutent Sexion d’assaut et Maître Gims sont des mecs et des p’tites nanas qui vont en discothèque le week-end et qui ignorent malheureusement ce qu’est le hip-hop.
Tu n’entendras jamais des Kendrick Lamar en France : c’est bien trop perché ! La musique de Kendrick Lamar est bien plus intellectuelle qu’on pourrait le penser. Le hip-hop, le rap en France se résument à des clichés de pseudo-ghettos. À part parler de putes, de caillasse, et de kalachnikov, c’est le vide. Trop peu de rappeurs dénoncent cette situation dans laquelle les médias aussi portent une lourde responsabilité.
Sans ces groupes de hip-hop et leur succès commercial, Scarecrow et les autres artistes qui les dénoncent existeraient-ils ?
Antibiotik Daw : Si les programmateurs radio étaient un peu plus ouverts en France, alors oui. Il existe tellement de groupes qui font de la musique de qualité, tellement de groupes et d’artistes qui pourraient vivre de leur musique ! Car mis à part le fait d’avoir un très bon producteur, Maître Gims n’a pas grand-chose. Et ils sont tout aussi nombreux que les vrais musiciens à être comme lui. Les programmateurs ne voient plus que le côté bankable de la musique. L’objectif est de faire du fric très vite. Il s’agit d’un commerce ni plus ni moins. On en oublie juste la musique et on préfère diffuser des centaines de fois les mêmes morceaux tout ça pour ne pas choquer la ménagère. Le plus drôle, c’est qu’on persiste à valoriser l’exception culturelle française !
On persiste à considérer des groupes tels que le nôtre comme des petits groupes alors que l’expérience que nous avons accumulée dans ces centaines de concerts est plus probante que celle des groupes qui passent à la radio ! Rares sont ceux d’ailleurs qui se sont déjà produits comme nous l’avons fait à New-York, en Inde, au Woodstock Festival, à l’exception de Shaka Ponk. En gros, à partir du moment où tu es indépendant, tu ne peux plus passer sur les grandes radios parce que tu ne rentres pas dans les petites cases. Au-delà du scandale, c’est triste car ça tue la dynamique de création française à petit feu, tant sur le plan des startups que sur celui des artistes. La France s’est spécialisée dans la « Mcdonalisation » de la culture : prends ton Big Mac et casse-toi !
L’épouvantail trônant au milieu des champs pour intimider les corbeaux et les maintenir à bonne distance des cultures, est votre nom, votre effigie. Il arrive que l’épouvantail devienne un élément du décor au même titre que les arbres, le soleil et le vent, et que la crainte qu’il suggère disparaisse. Où puiserez-vous alors le courage et la volonté nécessaires pour continuer à briser les codes comme vous le faites aujourd’hui, avec ce risque que votre message fasse lui aussi partie du décor ?
Antibiotik Daw : Nos expériences et nos vécus respectifs, notre quotidien sont ces éléments dans lesquels nous continueront à puiser notre persévérance. D’un côté, il y a ces groupes qui ne parlent de rien, de l’autre, la description que Scarecrow fait de la société dans laquelle nous vivons. Ensuite, le risque que notre message fasse partie du décor est constant. S’il en venait un jour à ce stade-là, peut-être que cela signifierait qu’il aurait été entendu. Je ne sais pas. Nous ne nous préoccupons pas de l’avenir, nous vivons nos projets en fonction des rencontres que nous faisons, des nouveaux objectifs que nous avons. Je pense que faire trop de plans sur la comète est le meilleur moyen pour se planter. Nous laissons donc les choses venir comme elles sont. L’inspiration est toujours à nos côtés, et c’est bien là l’essentiel.
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