Si les membres du groupe Slaughterhouse Brothers sont tous Ébroïciens, ils sont devenus aujourd’hui les ambassadeurs d’une logique musicale implacable sachant dépasser les frontières et prendre l’auditeur aux tripes. Dans les couloirs d’un aéroport bondé à quelques instants de son départ pour un road trip aux États-Unis, le guitariste et lead vocal Lancelot révèle le quotidien de la team Slaughterhouse Brothers, le regard qu’il porte sur l’évolution de notre monde et les émotions qui le bousculent.
Bonjour Lancelot et merci d’avoir accepté cette interview. Tu es la voix de Slaughterhouse Brothers, un groupe basé à Caen versé dans des sonorités alternatives et rock. À tes côtés, on retrouve Florian à la basse, Nick à la batterie et Vincent à la guitare. Les instruments peuvent changer de mains, mais les voix initient une harmonie constante. Vous citez vos références musicales anglaises et américaines comme si elles faisaient partie de la famille. De James Brown à Pink Floyd, en passant par Elvis Costello et Love, les spectres de vos influenceurs dessinent les contours d’une musique mêlant intensité et légèreté saturée, et ce, depuis la sortie du premier album du groupe Hometown Boys en 2014. Si on sait de vous quatre que vous êtes originaires d’Évreux et que vous étiez chacun dans des groupes différents avant de décider de former Slaughterhouse Brothers sur une plage de Bilbao en 2012, on ignore vos parcours respectifs avant cette date et les raisons qui vous ont menés à la musique. Qu’en est-il pour toi par exemple ?
Lancelot : Je ne sais pas. On ne choisit pas vraiment. On a toujours écouté de la musique à la maison. C’est donc venu assez naturellement. Tu rencontres un bassiste, un batteur, et tu te retrouves finalement à jouer de la musique dans un groupe. Je me souviens d’un des amis de ma mère qui était guitariste. Il avait un groupe de rock. Il venait régulièrement chez nous avec sa guitare et il en jouait avec nous. J’ai trouvé ça intriguant. Ma mère chantait un peu de jazz et des chansons de cabaret. Elle accompagnait souvent d’autres musiciens. J’ai baigné dans ce milieu-là avec mon frère. Et je crois avec le recul que ça a été déterminant pour moi.
Quel était le regard de ton père sur ton choix de faire toi aussi de la musique ?
Lancelot : Il aurait très clairement voulu que je fasse des études de médecine. Il a finalement accepté mon choix, il ne pouvait pas faire autrement à vrai dire. Il a malgré tout gardé une part de déception.
Quelle est la moyenne d’âge du groupe ? Arrivez-vous à vivre de votre musique à l’heure actuelle ?
Lancelot : La moyenne d’âge tourne autour de 26 ans. Vincent est le plus jeune, il a 24 ans. Nicolas a 27 ans. Florian 28 et moi 29. On ne peut pas vraiment dire que nous vivons de notre musique actuellement. Mais nous arrivons à en tirer un peu d’argent pour pouvoir continuer à en faire et pour réaliser des productions de plus en plus abouties. C’est pour cette raison que nous avons d’autres activités professionnelles en parallèle, qui n’ont rien à voir avec la musique. Par exemple, Nico est comptable. J’ai personnellement été prof de guitare, j’ai aussi fait des jobs alimentaires. Quoiqu’il en soit, nous ne nous sommes pas donné de deadline concernant la poursuite de notre aventure musicale. Tant que nous pouvons la mener, nous continuerons. Même si cela suppose de travailler à côté pour faire rentrer de l’argent et conserver notre musique et notre façon d’en faire en tête de nos priorités.
Vous vous produisez régulièrement dans le Nord de la France, notamment à Paris, Rennes, Caen, Évreux, Le Havre. Vous avez même traversé la Manche en 2013 pour une série de quatre concerts au Pays de Galles, à Newport et Neath. Quelle est la place aujourd’hui de Slaughterhouse Brothers dans le monde ultra-concurrentiel du rock alternatif européen ?
Lancelot : De plus en plus, l’underground devient un courant un peu mainstream. Je ne pense pas que nous occupons une place particulière. Nous jouons quand et où il nous est possible de jouer. Nous voulons bien faire la musique que nous jouons. C’est déjà bien je crois.
« Un homme est celui qui assume ses responsabilités. The Man is gone reflète un peu le climat actuel où l’on a l’impression que ça pète aux quatre coins du monde »
Que manque-t-il au groupe pour qu’il puisse repousser les frontières et diffuser sa musique dans toutes les régions françaises ou en Europe de l’Est ?
Lancelot : Des concerts sont prévus à Lyon et dans la région. Nous nous sommes produits en Ardèche cet été, ainsi qu’en Allemagne. Mais c’est vrai que l’Est de l’Europe nous a toujours beaucoup attiré. Il faudrait vraiment prévoir un tour comme nous l’avions mis en place lors de notre tournée anglaise. C’est toujours possible. Après, il faut un tourneur capable de repiquer des dates un peu partout. Pour l’instant, notre tourneur actuel est régional.
Retour maintenant sur votre dernier album paru en septembre dernier et disponible en écoute libre sur votre page bandcamp. The Man is Gone succède à un EP de trois titres sortis quant à lui fin 2015 et intitulé Candy Songs. Vous revendiquez dans vos précédentes interviews « une distance joyeuse avec le quotidien, un espace d’évasion et d’expression libre ». On perçoit très clairement cette perspective dans Time and Yards, la sixième plage de The Man is Gone. Peux-tu nous en dire plus quant à la composition du morceau et la réalisation de la vidéo ?
Lancelot : Time and Yards traduit une urgence, la nécessité d’omettre la souffrance pour cheminer finalement avec elle. Comme pour nos autres morceaux, tout part du squelette, la base du morceau. Souvent, je vais travailler seul dessus avant que nous nous réunissions avec le reste du groupe. Nous tentons alors de déstructurer la chanson, de la manipuler, puis de partir en studio avec le résultat final. C’est ainsi que les choses se sont produites pour Time and Yards. Nous avons travaillé avec Nicolas Brusq qui, en plus d’être un très bon ingé son, est réalisateur. Il nous a aidés pour la réalisation de ce titre en lui donnant une teinte un peu plus singulière. Pour la vidéo, nous avons collaboré avec Mauvais Œil Graphics, un studio spécialisé dans la vidéo et le dessin.
La souffrance évoquée dans ce morceau est-elle en rapport avec votre quotidien ou un aspect plus général de votre message ?
Lancelot : Elle est en rapport avec celle vécue dans un couple. Elle s’attache en effet à des éléments personnels, mais aussi à ceux que les gens peuvent également vivre à leur manière. Il pourrait s’agir d’une relation longue distance dans laquelle le couple s’énerve au moment des retrouvailles plutôt que d’être heureux de se retrouver.
The Man is Gone, pourtant, la neuvième plage, Be a man, l’exhorte d’en être un. J’ai trouvé le jeu de sens intéressant. Dans la ville, dans l’œil du soleil, cet homme songe plus à vagabonder. Selon toi, quelle pourrait être la définition d’un homme selon Slaughterhouse Brothers ?
Lancelot : Un homme est celui qui assume ses responsabilités. The Man is gone reflète un peu le climat actuel où l’on a l’impression que ça pète aux quatre coins du monde. L’homme est parti, dans sa tête : c’est la traduction que l’on pourrait également tirée du titre de cet album. L’homme devient fou. Les hommes sont prêts à s’entretuer. Ils perdent l’humanité. Au-delà, The Man is gone est aussi un hommage aux grands artistes disparus en 2016, notamment David Bowie et Prince, un incroyable musicien et songwriter.
Madeleine est cet amour parti laissant derrière lui le cœur démoli de celui qui tenait tant à lui. Si le choix de ce prénom comme titre de chanson pourrait évoquer une certaine forme de romantisme à la française, les paroles demeurent anglaises et forment une sorte d’écran de fumée dissimulant toute la richesse des sentiments qui animent l’homme abandonné par sa belle. Être un homme devrait-il forcément être synonyme d’une telle pudeur dans ces circonstances, selon Slaughterhouse Brothers ?
Lancelot : Bonne question. Je ne sais pas vraiment. On sent dans cette chanson que des sentiments sont proscrits. Il y a aussi cette sensation d’abandon. C’est la mort qui sépare les deux protagonistes dans Madeleine. L’homme est malgré tout déjà dans la perspective de leurs retrouvailles, si tant est que la vie après la mort existe. L’amour transcrit dans Madeleine révèle aussi plusieurs formes de l’amour. Notamment l’amour maternel. Pour tout te dire, Madeleine était le prénom de ma grand-mère. Elle est décédée juste avant la finalisation de cet album. C’est pour cette raison que j’ai souhaité lui dédier cette chanson. Ton analyse est en tous les cas très juste. J’ai eu beau écrire cette chanson en anglais, j’avais plus dans la tête des auteurs tels que Caussimon, Aragon ou Dimey. Des poètes qui avaient cette façon très romantique d’écrire, cette façon de décrire les sentiments comme seuls les écrivains français savent le faire.
Un homme doit-il forcément se cacher pour pleurer afin de le rester ?
Lancelot : Bien sûr que non. Mais les hommes ne sont peut-être pas tous courageux. Car pleurer demande un certain courage. La musique peut y aider je crois, ainsi qu’à mettre des mots sur la peine.
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