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Bad Pilöt | L’émancipation des anges

BAD PILOT

Entre pulsations électro et vocalises angéliques, Bad Pilöt a d’ores et déjà déroché la lune et cible désormais les tréfonds de la galaxie. Mené par Alex de Selve, le trio parisien inaugure des sonorités mécaniques qui ont une âme. Bad Pilöt ou l’intelligence artificielle faite musique. Intelligence émotionnelle également comme c’est le cas une fois de plus dans son dernier EP Swimming with Sharks paru fin 2016, annonçant la sortie d’un nouvel album d’ici les prochaines semaines. Du creux des glaces millénaires de l’Arctique à celui de l’univers.

Bonjour Alex et merci d’avoir accepté cette interview. Tu es l’une des composantes du trio parisien Bad Pilöt formé en 2007. Il s’appelait alors Pilöt tout court. À tes côtés, Antoine Eole et Benjamin Corbeil. Très vite, votre groupe est reconnu par la critique et ses pairs : coup de cœur SFR Jeunes Talents, découverte au Printemps de Bourges, lauréat du Furia Festival. Votre premier album distribué par Harmonia Mundi, Möther, sort en 2010. Vous voilà tous les trois partis sur les routes de France et d’Europe à la conquête de votre public. Quel âge aviez-vous à ce moment-là ?

Alex de Selve : J’étais la plus jeune, j’avais presque 18 ans. Antoine et Benjamin allaient sur leurs 24 ans.

Quels souvenirs gardes-tu des trois premières années du groupe ayant précédé cette première tournée ?

Alex de Selve : Pour moi, c’était magique. Nouveau aussi, car Bad Pilöt fut mon premier groupe et le seul. C’était l’aventure, avec beaucoup d’amusements. Une découverte partagée à plusieurs, la recherche de la liberté. Et des anecdotes sur les routes, des pannes d’essence (rires). L’excitation à chaque nouveau concert. Des rencontres, notamment avec les autres groupes. Je n’ai pas vraiment de souvenirs précis. Mais je garde tous ces ressentis extraordinaires et cette envie de vouloir faire quelque chose de spécial.

Votre éclosion artistique et musicale n’a-t-elle jamais fait aucun doute pour vous trois, ou existe-t-il des moments durant lesquels vous étiez à deux doigts de laisser tomber ?

Alex de Selve : Beaucoup d’angoisses et de doutes, comme dans la plupart des groupes j’imagine. Pas au point de laisser tomber, mais de grosses déceptions parfois. Et cette envie partagée par nous trois pour que les choses avancent plus vite. Vite, vite, vite. Mais les démarches sont longues. Il faut de la patience.

Quelles forces vous ont poussés à persister ?

Alex de Selve : La passion de la musique. On aime ce qu’on fait. Écrire, composer. Le processus de création de la musique. On aime la jouer aussi. C’est plus fort que tout.

À quel moment de ta vie es-tu tombée amoureuse de la musique ?

Alex de Selve : Très jeune. Toute petite. Je chantais tout le temps, tout le temps. Alors c’est peut-être un peu cliché de dire ça. Sans doute la plupart des chanteuses diront la même chose. Mais c’est venu très rapidement. Je m’enregistrais dès l’âge de 5 ans.

Et on chante quoi à 5 ans ?

Alex de Selve : (rires) On chante des tubes, tout ce qui passe à la radio, à la télé. On imite ses modèles, à l’instar de Beyoncé me concernant.

bad pilot band

Bad Pilöt sort en 2013 un second opus, Walking in Röws, toujours sous votre nom de scène précédent, Pilöt. On sent déjà poindre certains élans électro plus marqués. Pink Slow, Pink Show : vous devenez les chouchous de la publicité, du cinéma et de la télévision. Ces nouveaux projets vous amènent à rencontrer Clive Martin en 2015, un producteur anglais ayant alors travaillé avec Queen, les Négresses Vertes, les Wampas, Superbus. Pilöt devient Bad Pilöt. Te rappelles-tu de ce que tu as ressenti lors de tes premiers échanges avec Clive ?

Alex de Selve : Je me souviens bien de ça oui. C’était dans notre local de répétition à Pantin. C’est dans cet endroit que nous nous sommes rencontrés avec Clive. Quelqu’un de très à l’écoute, déjà. Très humain aussi. Passionné par son travail. Un très beau début pour une très belle rencontre.

Peut-on parler d’une rencontre majeure dans le parcours de Bad Pilöt ?

Alex de Selve : Clive nous a aidés à repréciser, à redéfinir et à simplifier notre identité et notre fil en nous dirigeant dans notre processus afin qu’il soit plus accessible, qu’il sonne moins indé. Moins alternatif en tous les cas. C’est donc l’une des rencontres les plus importantes que nous ayons pu faire.

Le fait de prendre de la distance par rapport à votre identité trop indé était-il une nécessité ?

Alex de Selve : Je pense qu’au fond, nous la garderons ainsi quoiqu’il arrive. C’est juste que Clive, avec son expérience, est très carré. Il nous permet d’aller au bout de chaque idée plutôt que d’en explorer 100000 à la fois.

Le fruit de cette nouvelle collaboration s’appelle Swimming with Sharks. Il s’agit de votre tout dernier EP sorti fin 2016. On y retrouve ta voix, écho de celle d’Olivia Merilahti de The Do lorsque tu chantes en anglais, et de celle d’Émilie Simon lorsque tu chantes en français. À l’instar du titre La colère des anges. Qui est l’auteur de ces paroles ?

Alex de Selve : C’est moi, j’écris toutes les paroles en français et en anglais.

« Tu parles de toi-même, je sais pas, ça veut dire. Me parle pas de moi-même : je peux bien seule me définir » : que révèle cette émancipation et à qui s’adresse-t-elle ?

Alex de Selve : (rires puis silence) Mystère ! Ce n’est pas facile. Hum… Elle s’adresse à quelqu’un de plus âgé que moi, certainement (rires). Pour lui dire d’arrêter de parler à ma place car je suis capable de me raconter moi-même. C’est une sorte de prise d’indépendance.

L’intensité avec laquelle tu interprètes La colère des anges est forte. La personne que tu évoques ne serait-elle pas l’un de tes parents, voire les deux ?

Alex de Selve : Ça pourrait être le père oui.

As-tu eu l’occasion d’en parler directement avec lui ?

Alex de Selve : Non.

D’où le moyen trouvé par cette chanson pour le faire…

Alex de Selve : Exactement. C’est mon moyen d’expression.

« Vivre une certaine liberté et nos propres choix. Piloter nos propres vies. Je crois en fait que c’est ce qu’il y a de plus important dans Bad Pilöt »

« Regarde mieux, sous mes pas danse la rage des dieux. Écoute mieux, dans ma bouche les maudire » : la prise de distance se transforme en rejet. Dans quelle mesure La colère des anges traduit-elle celle de Bad Pilöt ?

Alex de Selve : Bad Pilöt est un mélange de toutes ces émotions, parmi elles, je crois qu’il y a aussi de la colère. J’allais dire de la rage, presque. Parfois. Et de la foi. Beaucoup. Un mélange de colère et de foi, et une incroyable envie de vivre.

Quelles sont les choses de la vie de tous les jours et de notre société qui alimentent cette colère ?

Alex de Selve : Nous vivons une époque difficile. Je pense que de nombreux artistes pourraient dire la même chose, à n’importe quel âge, à tous les temps. Ce n’est pas l’âge d’or. Je n’ai pas d’exemples précis à te donner. Mais il n’y a qu’à regarder un peu autour de nous pour se rendre compte que les gens ne sont pas sereins. Le monde est touché par des évènements politiques et économiques difficiles. La musique permet de s’en sortir un peu. Je n’ai pas non plus d’exemples récents à te donner. Je suis passée tout au long de ma vie par des évènements compliqués. Ce n’est pas évident d’en parler car ce sont des choses qui sont profondément ancrées en moi.

La mort de certains proches peut devenir un facteur déclenchant l’envie de faire de la musique. Pour lever les peurs et les angoisses. Le sentiment très fort d’injustice peut être un autre facteur. Injustice par rapport aux attentats, aux actes de violence. Tout ça alimente aussi Bad Pilöt, tout autant que ce qu’Antoine – qui compose les musiques – et Benjamin ont vécu et ressenti. Ils ont également leur propre histoire à raconter à travers Bad Pilöt. Avec toujours notre volonté commune de nous affranchir de tout ça pour vivre une certaine liberté et nos propres choix. Piloter nos propres vies. Je crois en fait que c’est ce qu’il y a de plus important dans Bad Pilöt.

bad pilot live

Arctica nous plonge dans les eaux froides de votre pôle nord, entre courants électro et dream acide qui tourbillonnent finalement dans notre esprit, jusqu’à atteindre notre subconscient. Sur la page Facebook de Bad Pilöt, tu expliques « être née et avoir grandi sur la base aéronavale de Thulé en Arctique que tu as quittée à bord d’un vieux vaisseau que tu as trafiqué pour le rendre plus rapide et furtif ». Que dissimule cette histoire ?

Alex de Selve : Cette histoire n’est pas complètement imaginaire en réalité. Je suis en effet la troisième fille de deux parents officiers dans la Marine. Ils faisaient des missions là-bas, en Arctique. Ils étaient basés à Thulé. Mon père était pilote.

Tu y as vécu ?

Alex de Selve : Oui. J’ai grandi là-bas quelques temps. La base de Thulé est une ville souterraine avec ses écoles, ses commerces, tout ce qu’il faut pour qu’une famille puisse grandir et s’épanouir. Je n’ai pas énormément de souvenirs de cette époque car j’étais trop petite. Malgré tout, mes sœurs et moi avons été très marquées par cette période.

Et pour la partie inventée de l’histoire ?

Alex de Selve : Quand on est au contact de vaisseaux et d’avions comme j’ai pu l’être, on finit par fantasmer carrément là-dessus (rires). Ce n’est pas totalement inventé une fois de plus car j’étais complètement en admiration devant tous ces avions, de chasse en particulier. Après, j’ai imaginé pouvoir m’enfuir à bord de l’un d’entre eux avec mes copains, mes vieux compères.

Si je te demandais quel est ce lieu, proche de toi et de ton quotidien, dans lequel tu aimes te retrouver avec toi-même pour réfléchir, te recentrer, quel serait-il ?

Alex de Selve : Une église. J’aime bien me recueillir dans ce genre d’endroit mystique. Sans que cela soit connoté d’ailleurs. J’aime bien l’atmosphère qui y règne.

Si Björk t’appelait demain pour un projet de collaboration sur un titre inédit, quelles paroles souhaiterais-tu écrire et interpréter à ses côtés sur scène ?

Alex de Selve : Avec Björk ?! Oh la la… Ça laisserait le champ libre et vaste. Je suis sûre que ce serait très intéressant de par la richesse de ses idées. Je pense que l’histoire parlerait de mutants. C’est ce que Björk m’évoque spontanément. Ce mélange entre une bête et un être humain.

Bad Pilöt : Facebook

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