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Camille Hardouin | Presque tout, presque rien

camille hardouin mille bouches

Plus qu’une auteure, qu’une compositrice, qu’une interprète, Camille Hardouin se distingue par sa poésie qu’elle écrit en prenant appui sur les épisodes de sa vie, ainsi que sur ses références musicales et littéraires. Elle a sorti fin avril un album dont le titre, Mille Bouches, était sans doute tout trouvé pour mille raisons. Rencontre avec La Demoiselle Inconnue aux cheveux bleus voyageant dans les tunnels de ces mots qui resteront tus à jamais, jusqu’au chemin à la surface de Camille Hardouin.

Bonjour Camille Hardouin et merci d’avoir accepté cette interview. Dans une interview récente, tu déclarais : « Raconter, c’est faire une espèce de voyage ensemble ». Tu confiais également que le lien entre les notes et les mots « se décide presque sans contrôle ». À quand remonte ta première histoire ?

Camille Hardouin : La première histoire, c’est peut-être la première respiration. La première envie de communiquer en tous les cas. C’est vraiment très large une histoire pour moi. C’est tout à la fois un partage d’expérience, se dire que c’est fou d’être là, d’être vivant. Fou de voir d’autres gens vivre les choses à la fois de la même manière et complètement différemment. Dès qu’il existe des vécus et une envie de se rejoindre, il s’agit d’une histoire. La première histoire, c’est peut-être d’avoir envie d’aller vers la peau de l’autre. Y compris la peau de la personne qui vient de nous mettre au monde. C’est ce désir de se rassembler et de se dire les choses. Cela peut même ne pas passer par la parole.

Raconter une histoire, c’est échanger. De plus loin que je me souvienne, je n’ai jamais cessé d’écrire des histoires. Comme ces enfants qui passent leur temps à dessiner. À partir du moment où j’ai eu une guitare dans les bras, mes histoires ont pris la forme de chansons. Je me rappelle d’une histoire en particulier, lors de mon passage de la lecture à l’écriture. J’étais déjà très insomniaque lorsque j’étais toute petite. Je me levais donc la nuit et j’allais voir ce qu’il y avait dans la bibliothèque. C’était le meilleur moyen pour moi de faire passer le temps et de ne pas succomber aux frayeurs de la nuit.

Et quand tu avais lu tous les livres de la bibliothèque ?

Camille Hardouin : J’étais vraiment embêtée, je ne savais pas trop quoi faire. Puis j’ai fini par me dire que je pouvais en écrire une moi-même, dans un petit livre avec des agrafes dans lequel je la mettrai avec toutes les autres. J’ai donc écrit l’histoire d’une petite fille avec son chien. J’avais ensuite caché le petit livre dans ma chambre. Finalement, les choses ne se sont pas passées comme je le pensais : je connaissais déjà l’histoire que j’avais écrite. Mais le plaisir d’écrire quelque chose a ouvert une nouvelle porte en moi. La passerelle existait désormais entre le fait de recevoir une histoire et celui d’en écrire une.

Le 28 avril dernier, tu as sorti l’album intitulé Mille Bouches. Le premier sous ton nom. Pourtant, tu n’en es pas à tes débuts puisqu’on te retrouve notamment en juin 2013 en duo avec Soan pour un featuring sur son single Me laisse pas seul. À ce moment-là, tu te présentais comme La Demoiselle Inconnue. Que dissimulait l’anonymat de ce nom de scène ?

Camille Hardouin : Il ne s’agissait pas forcément d’une cachette. C’était plus comme un masque de super héros, d’une autre créature en tous les cas. En juin 2013, j’avais également sorti un EP intitulé Dormir seule sous ce nom de scène, en parallèle de ce duo que tu évoquais avec Soan, qui est un artiste exceptionnel et talentueux. En fait, La Demoiselle Inconnue était le nom que l’on m’avait donné lorsque j’étais montée sur scène pour la première. J’étais allée voir un concert de Devendra Banhart que j’adore. Il faisait cette chose très généreuse, comme le font pas mal d’autres artistes, d’ouvrir son concert à un membre du public pour qu’il interprète une chanson avec sa guitare.

Après quelques péripéties, j’ai fini par monter sur scène. Puis j’ai attrapé sa guitare et j’ai chanté. Après le concert, les gens ont laissé des commentaires en parlant de ma prestation, en m’appelant La Demoiselle Inconnue car je n’avais pas dit mon nom. C’était un début de trajet pour moi, je ne savais même pas que je voulais faire de ça une parole debout. Et lorsque je me suis finalement lancée, j’ai choisi le nom de La Demoiselle Inconnue car c’était devenu le mien. Après, durant mon trajet, ce masque est tombé progressivement, naturellement. Comme une robe.

camille hardouin light

Quels souvenirs personnels et artistiques La Demoiselle Inconnue garde-t-elle de ses premiers pas l’ayant menée à son identité actuelle, à sa révélation ?

Camille Hardouin : Quelle belle question ! Des souvenirs émus et un peu tremblants. Partager quelque chose comme ça est un trajet émouvant. Mon émerveillement fut le même que celui qui peut se produire dans une relation amoureuse. C’est la beauté de l’apprentissage de se mettre à nu, d’accepter d’être vulnérable, de faire confiance, de venir dire ce qu’est notre propre expérience d’être vivant. Voilà le souvenir que j’en garde : un souvenir tremblant et très lumineux.

La Demoiselle Inconnue apparaît toujours à tes côtés, dans la presse et tes supports de communication. Te quittera t’elle un jour ?

Camille Hardouin : C’est un début d’histoire durant lequel cette identité m’a accompagnée. J’ignore si elle me quittera un jour définitivement, mais je sais que je suis complètement Camille Hardouin aujourd’hui. Je suis heureuse que les choses se fassent ainsi, sans filtre. Cette première histoire qui m’a accompagnée est comme l’histoire d’où je viens. Elle me rend heureuse, le mystère de ce nom est très beau. Malgré tout, la transparence de mon nom, Camille Hardouin, me va mieux aujourd’hui.

D’où vient Camille Hardouin ?

Camille Hardouin : Je suis née à Lille et j’ai grandi dans le Pas-de-Calais. Lorsque j’ai eu l’âge de m’échapper du cocon familial, je suis venue m’installer sur Paris. J’y vis toujours aujourd’hui, malgré quelques escapades par le passé.

Quelle place tenait la musique dans ta famille ?

Camille Hardouin : Hum… C’est une question avec beaucoup de réponses possibles. On n’est pas forcément musiciens dans ma famille mais il y a toujours eu des petites choses de musique qui traînaient. Je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu de la musique au quotidien. J’ai eu l’impression d’avoir dû fouiller pour trouver les choses dont j’avais soif. Mais je me rappelle bien de certains chanteurs comme Brassens ou Boby Lapointe : évidemment, ça m’a nourrie aussi. Tout comme les paysages : le fait d’avoir vécu pas très loin de la mer a influencé ma façon de voir les choses.

« Aller se marier avec la route… On peut trouver cet élan dans beaucoup de choses, dans les propos de beaucoup de gens qui parlent du voyage et de ce trajet-là. Une sorte d’envie à la fois complètement lumineuse et complètement noire »

« Sois mille hommes et je n’aimerai que toi […] J’ai besoin que tu sois mille anges, mille anges pour remplir mes rêves » : Mille bouches est la première plage et le titre de ce premier opus. Tu cites une phrase d’André Schwarz-Bart tirée de La Mulâtresse Solitude comme la toute première source de cette chanson : « Je suis celle qui est entrée dans la rivière ». Dans quelle mesure les mots du personnage principal de ce livre, qui finit par ne presque plus parler, te permettent-ils de t’y reconnaître ?

Camille Hardouin : Je ne sais pas. Ce n’est pas forcément la manière dont les choses circulent. Elles ne demandent pas forcément d’incarner le personnage en soi, mais de se laisser émouvoir par lui, son trajet : celui d’un individu qui ne parle plus et qui, d’un seul coup, va se définir par rapport à l’une de ses actions, celle d’aller dans la rivière. Mais également par tout cet ensemble de silences et de dangers qui l’entourent. De moments où elle doit prendre la parole. Je pense qu’il s’agit d’un ensemble d’impressions qui me frappent.

On peut être marqué par des souvenirs d’enfance non pas par rapport à leur histoire, mais par rapport à un ensemble d’impressions. Ça a été une chose presque physique dans ce livre qui a fait que le rythme et la couleur de cette parole qui y est vraiment très belle sont restés ancrés. Et quand cette chanson Mille bouches est venue, j’ai compris de quels éléments elle se nourrissait : c’étaient ceux de La Mulâtresse Solitude.

Par la suite, j’ai fini par lire un petit poème sur scène qui est venu après. Un poème qui vient dans cette chanson, inscrit à l’intérieur de l’album : « Debout sur la terre, tous, ils me regardaient. J’étais trempée et fière, l’orage était tombé. C’était moins que la peine avait voulu noyer. J’avais bu la rivière et maintenant je chantais. Sous le poids d’un chagrin, on m’avait enterrée. Mais serrée dans mes poings, la terre avait germé. Mes yeux s’étaient ouverts, ma peur était lavée. Et mon chant sonnait clair dans ma bouche étonnée » : je crois que c’est ce qui m’a émue. Le personnage qui devenait un fantôme et qui d’un seul coup reprenait la parole pour parler de l’eau, d’un trajet, d’un geste qu’elle a fait à d’autres gens et qui se retrouve ainsi émue, poétique, après avoir traversé un long moment fait de silences et de non-dits.

camille hardouin live

As-tu déjà eu dans ta vie l’impression d’être ce fantôme-là ?

Camille Hardouin : Je ne sais pas, mais la créature du zombie est l’une de celles que j’aime bien sollicitée aussi (rires). Je suis en train de me préparer une petite BD sur une petite zombie pour raconter des choses rigolotes et en même temps pas rigolotes. Je ne sais pas si j’ai eu le sentiment d’être ce fantôme-là, en tous les cas, c’est un trajet qui me touche, une expérience que je peux comprendre voire partager oui.

Marry the road évoque le voyage que tu fis il y a quelques temps. C’était quand ?

Camille Hardouin : Je ne sais pas si c’est le voyage qui est intéressant à transmettre. Il y a cet aller-retour et cette tension dans la chanson, dans ce petit refrain que j’avais écrit avant de partir il y a dix ans maintenant. Une espèce d’envie, de soif presque adolescente de prendre la route, de voir ce qui se passait et de répondre à un appel, une curiosité presque plus grande que moi-même. Le moment où j’ai raconté tout ça, cinq ans après en fait, j’ai écrit cette chanson pour parler du retour.

Ce n’était pas seulement pour parler de ma propre expérience. Je voulais dire ce moment d’irréalité d’une violence presque familière. Je ne sais pas trop comment dire les choses autrement que par les mots de la chanson. Cette tension-là, entre ce qui se raconte dans le refrain et ce qui se raconte dans les couplets, m’a semblé importante à transmettre.

Le refrain a donc été écrit lors de ton trajet, et les couplets l’ont été plusieurs années après et parlent du retour avec ton nouveau recul. Le voyage est-il voué à n’être que fuite, « cet écho fier d’être comme l’air » ?

Camille Hardouin : En tous les cas, l’envie d’être comme l’air dont je parle dans le morceau est l’écho de la façon dont j’en parlais cinq ans après et de celle dont j’en parlais au moment de partir. Aller se marier avec la route… On peut trouver cet élan dans beaucoup de choses, dans les propos de beaucoup de gens qui parlent du voyage et de ce trajet-là. Une sorte d’envie à la fois complètement lumineuse et complètement noire.

L’espoir de se trouver aussi ?

Camille Hardouin : C’est vrai. Tu vois, quand tu me poses cette question, j’ai en tête les livres de Nicolas Bouvier et la façon de penser le voyage comme une machine à laver. En en ressortant complètement essoré puis en se retrouvant soi-même. J’ignore si c’est mon avis ou mon expérience. Je ne voulais pas forcément transmettre mon opinion sur le voyage. C’était plus ce moment adolescent presque indicible où l’on se rend compte, où l’on rencontre une certaine violence à la fois dans un cercle extérieur et intérieur.

Je voulais aussi parler de cet écart, de l’impossibilité qu’on a de raconter quelque chose que l’on a traversé. Du coup, Marry the road raconte presque tout et presque rien. On raconte la violence dont ça s’est passé : on n’a pas besoin de savoir ni où ni comment elle a eu lieu. C’est plus un trajet qui va raconter le moment où c’est impossible « de dire un mot à l’arrivée ». Les choses qu’on ne peut pas dire, qu’on arrive pas à dire, m’intéressent beaucoup.

Tu ne risques pas de manquer de matière dans ce cas-là 😊 Merci encore Camille Hardouin pour cet échange et pour cet album Mille Bouches.

Camille Hardouin : Merci à toi aussi Florian pour tes questions et cette courte et jolie traversée avec toi.


Camille Hardouin : Facebook | Photos : Maya Mihindo, Paul Bramy

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