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I Heart Sharks | Les dents de la mer et celles du cœur

I heart sharks

Les couloirs de l’Europe font se rencontrer des fibres artistiques tous les jours, à l’instar des membres du groupe berlinois I Heart Sharks. Son sixième album Hideaway est sorti fin 2016, l’occasion pour Skriber de revenir avec Pierre Bee sur sa formation et ses prochaines destinations. I Heart Sharks, ou comment dépasser les effets visuels et sentimentaux que les requins inspirent à des techno-clubbers devenus les auteurs d’une histoire pop-électro qui se veut avant tout positive.

Bonjour Pierre Bee, et merci d’avoir accepté cette interview. Tu es le chanteur du groupe I Heart Sharks, combinant des origines allemandes et anglaises grâce à ses membres et ses références musicales. A tes côtés, on retrouve Simon Wangemann à la guitare, Craig Miller à la basse et Martin Wolf à la batterie. Vous avez écrit sur votre page Facebook la nationalité de trois d’entre vous. Mais qui est le garçon perdu ?

Pierre Bee : (rires) Simon a toujours été le « Lost boy ». Il est né en Allemagne puis il est parti vivre à New-York et dans d’autres villes des États-Unis. Il a donc grandi là-bas tout en apprenant à jouer de la guitare. Ensuite, il est revenu en Allemagne avec sa famille lorsqu’il a eu 17 ans si mes souvenirs sont bons. Et lorsque nous avons commencé à passer du temps ensemble à Berlin, je me suis vite rendu compte qu’il était difficilement joignable par téléphone. Nous n’avions pas encore Facebook. Tout ça fait qu’il est devenu ce « Lost boy », un gars qui n’a pas vraiment d’origine.

Pourrais-tu nous parler des débuts de cette belle aventure électro pop qu’est I Heart Sharks, depuis sa création en 2008 ?

Pierre Bee : Simon et moi, nous sommes arrivés à Berlin alors que nous étions très jeunes. Martin et Craig nous ont rejoints quelques années après. Lui et moi, nous voulions juste faire la fête à cette période, tout le temps. Nous avions la vingtaine. Nous sortions beaucoup, et à Berlin, tu peux sortir pratiquement tous les soirs de la semaine. La ville est très excitante, elle l’a toujours été. Elle l’était encore plus pour nous lorsque nous avions 20 ans. Nous aimions beaucoup écouter la techno et la house. Mais il nous manquait un peu d’esprit dans cette musique, et il ne s’agissait pas de chansons. Du coup, lorsque nous nous retrouvions dans un club, nous faisions en sorte de jouer ensemble dans une salle à côté. Nous composions nos premiers morceaux en nous inspirant des sonorités qui nous plaisaient. En repiquant aussi des sons qu’on entendait dans les clubs que nous fréquentions. C’étaient les débuts du groupe I Heart Sharks. Nous versions déjà dans un rock un peu « dirty ». Nous écrivions des paroles qui racontaient une vraie histoire.

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Où as-tu grandi Pierre ?

Pierre Bee : J’ai grandi près de Londres. Je suis franco-anglais. Ma mère est Française, elle est née à Bordeaux. Je garde un bon souvenir de cette ville car nous y venions souvent durant les vacances. J’y suis retourné l’année dernière. Mon père quant à lui est originaire du Nord de l’Angleterre.

Tes parents t’ont-ils influencé lorsque tu décidas de faire de ton amour pour la musique ton métier ?

Pierre Bee : Mes parents ne se sont jamais vraiment posés de questions. Ils m’ont juste laisser faire. Tous les deux étaient professeurs de français. Pour eux, aller à l’université représentait quelque chose de spécial, une forme d’indépendance. Mais ça ne me correspondait pas du tout. Ils m’ont beaucoup soutenu. Ils n’ont pas été très surpris lors de mon déménagement à Berlin. Mon père m’a énormément influencé. Lorsque j’étais enfant, je me rappelle qu’il écoutait très souvent David Bowie et The Cure. Ma mère, elle, m’a fait découvrir la chanson française. J’aime beaucoup cette musique aussi, son esthétisme notamment durant les années 1960, et ce même si ça ne m’a pas beaucoup influencé dans I Heart Sharks. Gainsbourg m’a marqué, tout comme Brel pour la chanson francophone.

Tu m’as dit que tes parents étaient professeurs de français : que gardes-tu de la langue de Molière, de sa littérature ?

Pierre Bee : Je ne parlais que le français jusqu’à mes 4 ans. Puis nous avons gardé l’habitude de parler en français lorsque nous étions en famille. Nous avons vécu ensuite en Angleterre. J’ai donc surtout parlé et lu en anglais. Il m’arrive toutefois de parler aussi avec les Français que je rencontre. Mais j’ai oublié pas mal de choses du français lorsque j’ai commencé à utiliser l’anglais. Et encore plus depuis j’ai commencé à pratiquer l’allemand (rires). Je me souviens d’avoir lu Albert Camus. Son écriture est accessible : ses livres sont simples à lire. J’ai aussi lu Victor Hugo.

« Maintenant que nous savons grâce au web ce qui se passe partout, tout le temps, immédiatement, le monde peut en effet paraître bien plus difficile qu’hier. Mais en fait, le monde n’a jamais été différent je pense »

Quelles sont les valeurs importantes à tes yeux transmises pas tes parents lorsque tu étais enfant ?

Pierre Bee : Je viens d’une grande famille de cinq enfants. Cela m’a aidé pour la vie de groupe que je mène depuis presque 10 ans maintenant. Tu t’habitues aux autres, et c’est important lorsque tu pars en tournée pendant des mois et que tu te retrouves dans le bus avec le groupe et l’équipe. Chacun devient comme un frère. C’est vraiment très intime. Et même si nous nous énervons parfois, ce n’est jamais sérieux au final. Que ce soit dans un groupe ou dans une grande famille, tu retrouves toujours ce respect. Dans l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Dans cette réalité où chacun a besoin de l’autre.

Wolves fut le premier single qui permit au groupe d’acquérir sa première notoriété en 2010. 6 ans plus tard, I Heart Sharks sort son 6ème album intitulé Hideaway. Avant d’en parler, une question par rapport au nom du groupe : qu’avez-vous exactement dans vos cœurs ?

Pierre Bee : Comme je le disais tout à l’heure, nous faisions beaucoup la fête à notre arrivée à Berlin. Je cherchais un nom original, facilement trouvable sur Google et que les gens retiendraient. Mais il n’y a pas vraiment d’anecdote liée au choix de ce nom.

Focus maintenant sur deux titres qui m’ont particulièrement plu. Le premier est Walls. Il s’agit du premier single de l’album à être paru. L’énergie vocale et instrumentale sert un son alternatif et électro qui souligne un peu plus l’identité de I Heart Sharks. Que représente pour toi la maison évoquée dans cette chanson ?

Pierre Bee : Walls a été pour nous tous le moyen de dire que là où tu te sens chez toi, c’est chez toi. Nous avons entendu beaucoup de discours ici en Allemagne, suite à l’arrivée des réfugiés de guerre notamment de Syrie. Pour nous, mais aussi pour nos amis et d’autres gens à Berlin, c’est important de faire quelque chose pour les aider et de parler de cette situation plutôt que de ne rien faire.

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Le second morceau qui m’a interpellé est Lost Forever. La chanson porte bien son nom, et son message est intriguant. Penses-tu que votre génération a besoin d’ignorer les réalités pour être libre ?

Pierre Bee : Bonne question. Je connais ces discours qui disent que notre génération est perdue, qu’elle vit dans un monde qui ne semble avoir qu’une issue compliquée voire dramatique. Certains de mes amis ont eux-aussi cette vision très sombre du monde et de l’avenir. Cela me rend triste car je pense que nous avons la chance de vivre en Europe, à une époque qui n’a pas connu de guerre mondiale depuis longtemps. Nous pouvons atteindre ce que l’on veut. Je crois donc que le monde n’est pas pire que ce qu’il fut, ni mieux. En revanche, nous en savons bien plus sur ce qui se passe autour de nous. Maintenant que nous savons grâce au web ce qui se passe partout, tout le temps, immédiatement, le monde peut en effet paraître bien plus difficile qu’hier. Mais en fait, le monde n’a jamais été différent je pense.

Lost Forever est une chanson très optimiste. C’est une invitation à sortir de ce sentiment d’être piégé dans un monde que l’on n’aime pas, dans cette réalité dans laquelle toutes nos tâches quotidiennes nous enferment, dans le virtuel créé par Facebook et les autres réseaux sociaux. C’est aussi une opportunité d’éluder les côtés noirs du monde moderne, de rencontrer quelqu’un qui t’aide à te sortir de ce monde et avec lequel tu puisses te perdre. Grâce auquel tu puisses ressentir à nouveau ce que tu as en toi.


Pierre Bee : Facebook | Photos : Pierre Laporté (au-dessus de la foule), It’s all indie (live en bleu)

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