Florence Foster Jenkins est le nouveau long métrage de Stephen Frears sorti mercredi. Il s’agit également de la seconde adaptation de la vie de la récitaliste du même nom. En effet, Xavier Giannoli avait déjà réalisé et sorti la sienne, Marguerite, en septembre 2015. Vous l’aurez compris, le but est donc de savoir désormais quelle est la plus réussie des deux. Sans chauvinisme, bien entendu.
Pour commencer, une histoire vraie : celle d’une Américaine originaire de Pennsylvanie et née en 1868, Narsissa Florence Foster. Ayant suivi des cours de musique durant sa jeunesse, elle souhaite par la suite parcourir le monde. Son père refuse de soutenir ce projet malgré sa fortune. Narsissa épouse alors le docteur Franck Thorton Jenkins et s’enfuie avec lui à Philadelphie.
Ils divorcent quelques années plus tard : Florence Foster Jenkins devient enseignante et pianiste. À la mort de son père, son héritage l’autorise enfin à se lancer dans la carrière de cantatrice dont elle rêvait tant. Elle prend des cours et donne son premier récital en 1912. Elle décède trente-deux ans plus tard en 1944, un mois après son dernier concert ayant eu lieu au Carnegie Hall à New-York.
Ce résumé succinct tend à omettre certains détails
En outre, il met de côté l’inventivité phénoménale de cette dame du monde concernant en premier lieu cette success story dont elle se vanta durant toute son existence pour alimenter les fantasmes les plus fous sur son personnage. Il élude également la grande solitude que Florence Foster Jenkins devait sans aucun doute expérimenter dans cette tour d’ivoire ainsi bâtie de ses propres mains, et de laquelle personne ne chercha à la déloger à l’époque.
Son père et son premier mari furent les seuls à lui affirmer qu’elle n’était pas faite pour le chant. Jusqu’aux écrits des journalistes présents à son dernier concert en 1944, supposés avoir signé par la même occasion la fin de « carrière » de la cantatrice ainsi que son arrêt de mort. On comprend aisément le choix commun de Xavier Giannoli et de Stephen Frears lorsque l’idée de faire un film sur ce vécu si étonnant leur vint à l’esprit.
Verdict de la seconde peau
L’adaptation française sortit donc il y a presque un an. Elle reçut quatre Césars lors de la 41ème édition du festival et sacra notamment Catherine Frot pour son interprétation qui, on peut le dire, est tout simplement magique. Le festival des Lumières de la Presse étrangère lui témoigna d’ailleurs la même reconnaissance avec un second prix de la meilleure actrice remis quelques jours avant Cannes.
Qu’est l’œuvre majeure pour un acteur ? Le rôle fait pour lui. Certes, il peut y en avoir plusieurs dans une carrière, mais il y en a toujours un premier. Il n’y en a toujours qu’un, l’évidence, la seconde peau, et deux cœurs qui battent à l’unisson.
Meryl Streep est une actrice talentueuse et une femme d’exception que nombre d’entre nous admirent depuis des années tout autant que sa carrière. Néanmoins, Catherine Frot est la seule Florence Foster Jenkins. La seule Marguerite.
Au-delà, il fut surprenant dimanche dernier lors de l’interview de Hugh Grant dans le 20H de TF1 de n’entendre aucune question en rapport avec Marguerite, la première adaptation française sortie moins d’un an avant celle américaine. Toutefois, après la projection de l’adaptation de Stephen Frears, on peut saisir les raisons qui ont poussé Anne-Claire Coudray à ne pas en poser dans ce sens.
Florence Foster Jenkins made by Frears laisse apparaître des lacunes
Au-delà de la prestation inégalable de Catherine Frot, ces lacunes de la version américaine créent malheureusement des périodes d’ennuis. Le rythme des séquences est parfois trop alternatif. Certaines scènes auraient mérité d’être raccourcies voire coupées au montage. Pour aller plus loin, l’adaptation américaine démontre une réelle faiblesse en ce qui concerne sa capacité à creuser certains personnages, notamment secondaires. La principale conséquence de ce manquement est ainsi de faire reposer l’essentiel du film non pas sur Florence Foster Jenkins, mais sur son époux dévoué – et néanmoins volage – St. Clair Bayfield, interprété par Hugh Grant.
Le piège de la surenchère
Enfin, là où la passion de la liberté d’expression et la folie de Marguerite donnent une puissante profondeur de sens à son vécu, à son dévouement d’artiste mais aussi d’épouse dans l’adaptation française, celle américaine leur substitue la syphilis de Florence Foster Jenkins que Stephen Frears a imaginée pour expliquer non seulement le silence de son entourage quant à la fausseté de son chant, mais aussi sa mort. Or, dans les faits, la réelle Florence Foster Jenkins mourut des suites de la crise cardiaque engendrée par les critiques véhémentes de certains journalistes après son dernier concert au Carnegie Hall.
Par conséquent, on peut s’interroger sur l’utilité de l’effet compassionnel porté par la perspective choisie par Frears. Il accentue les défauts de rythme et entame significativement l’essence même de la démarche artistique et humaine de Florence Foster Jenkins, tant dans l’adaptation de sa vie que durant sa vie réelle. Là où Xavier Giannoli réussit à apprivoiser la poésie et la ténacité de Marguerite, tout comme sa compassion vis-à-vis de ces autres qui riaient et se jouaient d’elle et qu’elle ne sut jamais avoir pour elle-même.