La Danseuse est le premier long métrage de Stéphanie Di Giusto. Il paraîtra mercredi prochain en Blu-ray et DVD. Sorti l’année dernière dans les salles, il créa le buzz grâce notamment à la fille de Vanessa Paradis et de Johnny Depp, Lily-Rose, incarnant le personnage d’Isadora Duncan, une étoile montante de la danse classique et contemporaine avide de pouvoir et de notoriété. Pourtant, si l’interprétation de la jeune actrice reste honorable, la réussite du film tient avant tout à celle de Soko. L’actrice française, magnifiée par l’écriture et la réalisation de Stéphanie Di Giusto, se révèle tandis que son rôle la transcende.
Loïe Fuller (Soko) vit dans la poussière des montagnes de l’ouest américain avec son père. Elle danse, elle écrit, elle se promène dans les forêts de pins s’étalant à perte de vue. Elle dort dans le cabanon construit par son paternel à l’orée des bois et entend les chevaux galoper tout comme les tirs résonner dans l’immensité naturelle. Puis le silence. Puis l’eau du bain s’infiltrer dans la terre, une eau mêlée au sang de son père tué dans sa baignoire offerte au ciel.
De lui, elle décide de ne garder que son revolver. Direction : New-York. Elle y retrouve sa mère, croyante et pratiquante à l’extrême. Loïe ressent tout le poids de l’enfermement physique et psychologique. Elle s’évade dans les rues de la ville. Elle n’est pas la femme que sa mère souhaiterait qu’elle devienne, elle est différente : elle est Artiste. Au fil de ses rencontres et de ses expériences, son destin se précise. Elle initie sa première danse au théâtre durant l’entracte. Une danse nouvelle, une danse qui ensorcelle. Deux bouts de bois et un voile trainant par terre : la voilà devenir un spectre, une fleur, un papillon. Et même une étoile dans la nuit de Louis (Gaspard Ulliel), désormais hanté par cette femme qu’il retrouve à Paris quelques semaines après son échappée belle, sur les planches portant la vision et tout la détresse de Loïe plus qu’elles ne grincent.
La Danseuse : démence serpentine
La Danseuse est un film d’exception, en ce sens qu’il émerveille plus qu’il ne raconte. Dans cette volonté de retracer la vie de Loïe Fuller, danseuse et actrice américaine à l’origine de la création de la danse serpentine en 1892, Stéphanie Di Giusto réussit à dépasser le stade du documentaire et de la biographie pour offrir une fresque cinématographique empreinte d’une lumière et d’une émotion qui subjuguent tout autant que les danses de Loïe à son époque.
Ainsi, à travers les couleurs projetées sur les voiles en mouvement de Loïe, c’est toute sa désespérance teintée de l’abandon de son être de chair qui s’exprime. L’investissement de Soko dans ce rôle est total et rejoint la folie de Loïe Fuller, sa passion pour cet art qu’elle réinventa intensément, dans l’ombre de ce qu’elle fut, dans celle aussi de ce qu’elle était devenue grâce à ses prestations hors-norme. La Danseuse d’un nouveau siècle. La Danseuse de sa nouvelle vie, qu’elle faillit perdre à force de rester sourde et aveugle à son talent.
Serpent du destin
La Danseuse axe sa progression sur le dévouement de Loïe Fuller pour son art et pour les autres. Ceci dit, le film est surtout l’une des plus justes définitions d’un Artiste. Il montre son isolement, son sentiment constant d’être incompris et rejeté par tous. Un sentiment alimenté par le rejet réel de ses premiers modèles : ses parents.
Si les parents de Loïe Fuller lui exprimèrent leur amour de façon singulière, le sens qu’en tira cette dernière était avant tout celui d’un déchirement profond qui ne put jamais s’atténuer. Malgré la reconnaissance du public, son amour, celui de ses prétendants, Loïe Fuller mit en un certain temps avant de s’accepter en tant qu’Artiste : d’ailleurs, y parvint-elle vraiment ? Mélangées aux étoiles dans vos yeux scintilleront ainsi des questions sans réponse à la fin du film. Une en particulier : La Danseuse serait-elle devenue cette Artiste sans toutes ces souffrances qu’elle s’infligea consciencieusement à chaque seconde de sa vie ?