Sorti en 2008 dans les salles, le troisième long-métrage du réalisateur français Martin Provost conte la vie de Séraphine, une peintre autodidacte ayant marqué l’art naïf par la lumière et les couleurs vives de ces tableaux. Au-delà, les biopics croisés de l’artiste et de Wilhelm Udhe y révèlent les émotions bouleversantes ressentis par les deux protagonistes, de leur toute première rencontre à la seconde placée sous le signe d’un amour intense pour la création et son essence.
Entre ses promenades en pleine nature et ses travaux de domestique, Séraphine Louis (Yolande Moreau) traverse la vie à la façon d’une enfant. Elle s’étonne de l’insignifiant et des forces naturelles. En parallèle, elle entretient son mystère et ne tisse que très rarement un lien avec les autres. En réalité, son isolement est son évasion. Derrière la porte de son appartement miteux, des bruits courent et se mêlent à des chants. Des prières qui ne se lassent pas de monter jusqu’au ciel au grand dam des propriétaires du dessous. Jusqu’à l’épuisement puis l’endormissement. Jusqu’à cette autre existence rêvée l’élevant au-dessus des nuages auxquels elle ne cesse de se confier.
L’arrivée de Wilhelm Udhe (Ulrich Tukur) à Senlis rend les gens curieux. La première grande guerre gronde, l’inconnu bientôt dans les murs est Allemand. On sait son métier de marchand d’art et de collectionneur. On imagine les aventures les plus rocambolesques liées à son métier, son individualité. À son accent que bientôt tout le monde entend. Les premiers jours de Wilhelm Udhe sont ternes et se succèdent. Jusqu’à ce repas. Jusqu’à cette découverte et à cet émoi menant à une admiration infinie, pour celle dont il n’aurait jamais pu penser qu’elle puisse en être l’auteure. Pourtant, il s’agit bien d’elle. Il s’agit bien de Séraphine. Il s’agit bien de son coup de pinceau, de sa baguette magique. Sur ce morceau de bois, ses fleurs offrent une danse improvisée magistrale. Elles sont ses visions, ses voix, ses mélodies pieuses. Elles sont l’art de celle qui l’ignore.
Séraphine : démence singulière face à l’éternel
Récompensé par sept Césars en 2009, dont ceux du meilleur film français de l’année et de la meilleure actrice, Séraphine est un chef d’œuvre à la hauteur des destins qu’il évoque. L’incarnation de Yolande Moreau y est déroutante. Le personnage lui colle à la peau. Il devient celui reflétant tout son art. Suivant le fil des évènements connectés au contexte historique ravageur de la première guerre mondiale, Séraphine arpente les couloirs du temps, de la faune et de la flore, des maisons et des magasins abandonnés. Elle poursuit son œuvre dans l’élan extatique qui la caractérise. Celle-ci lui vaudra finalement d’être conduite à l’asile, loin des transes qui furent jadis ses îles.
Séraphine va plus loin et traduit fidèlement les affections viscérales de l’artiste. En outre, celles de celui qui deviendra son mentor et son mécène. Les passions s’entremêlent. Elles dévoilent les massacres humains des conflits à travers ceux de la culture, de l’art. Mais aussi de la liberté d’exprimer, de ressentir et d’aimer. Entre les murs des labyrinthes construits et fortifiés dans l’esprit de Séraphine, sa foi devient tout à la fois une pénitence et un guide. Une projection des plus beaux pétales d’elle-même et de son rapport au monde. La tige caressant la main de Wilhelm Udhe avant qu’elle ne s’en empare pour la porter aux yeux de tous à travers les âges.