Camille Bénâtre n’est plus un petit nouveau dans le monde de la musique. Il n’est pas non plus un vieux de la vieille. Il est à cette époque de la vie où l’on regarde derrière soi avec une perception plus précise du sens des choses. Une époque où, depuis son petit appartement toulousain, Camille Bénâtre voit loin depuis sa terrasse. « D’ailleurs, de partout chez moi, on peut voir loin. C’est important de voir loin ». La sortie de son nouvel album intitulé Îlot de consolation est l’occasion d’échanger quelques mots avec l’un des plus fervents défenseurs de la tradition folk américaine, orale et mélodique.
Son visage ne nous était pas inconnu chez Skriber, et pour cause : parmi les précédentes collaborations de Camille Bénâtre, on retrouve celle avec Le Common Diamond, que Skriber avait déjà évoqué dans ses pages suite à la sortie du premier album du groupe, The Fade Out. « Beaucoup de bons souvenirs, mais les meilleurs restent entre nous ». Camille Bénâtre est d’une pudeur qui ne laisse pas indifférent. Une pudeur que l’on retrouve dans son nouvel opus Îlot de consolation, à paraître le 3 avril avec Les Disques Woody, La Souterraine & Hidden Bay Records.
Camille Bénâtre se réclame de la douceur vocale et poétique de William Sheller et de la mélancolie consolatrice de Mark Kozelek. « Bizarrement, je n’aime pas trop le quotidien ni la réalité. Mais ils me nourrissent. Dans une chanson, on peut mélanger du vrai, du pas vrai, des pensées, des souvenirs, des sentiments. J’aime beaucoup Mark Kozelek pour sa capacité à sublimer un quotidien pénible, voire très pénible. Il y a une telle beauté dans ses complaintes ».
La fin d’un premier voyage
Bien plus songwriter que chansonnier, Camille Bénâtre se fait une place sans forcer dans le quotidien de ses auditeurs. Il suffit de l’écouter quelques instants pour comprendre sa démarche artistique dans laquelle les textes et les mélodies servent une interprétation, un ressenti. Une histoire aussi, avec un pied dans les nuages et l’autre sur la pointe, prêt à le rejoindre. « J’adore les nouvelles de Roald Dahl, confie-t-il, et j’aimerais vivre dans un film de Woody Allen. Mais si c’était le cas, je n’écrirais plus de chanson. Voilà le problème ».
À Nos Rendez-vous manqués chantés sur son album du même nom paru en octobre 2015 répond donc un Îlot de Consolation. À cette nuit qui l’épuisait, qui n’avait rien à donner, répond La Belle d’une nuit muant en un joli printemps fleuri. La chanson est une comptine traduisant son expérimentation singulière du sentimentalisme. « Mais c’est toujours la même nuit, celle des rêves qui ne deviennent pas réalité ». « Le temps n’existe pas, au mieux il s’évapore » : Le Sémaphore est le titre « phare » de la nouvelle production de Camille Bénâtre. Tout y est fluide, délicat, posé, reposé. Sa justesse initie le frisson. « On pourrait voir le sémaphore comme un guide, mais c’est plutôt un poste d’observation ». Avec à son sommet, un Camille Bénâtre les jumelles sur le nez, scrutant l’horizon en quête de ses prochaines aventures.
Camille Bénâtre : la fuite du temps
Mémoire et émotions demeurent sur la rive, bousculées par le ressac du temps. Une temporalité dont la notion sert Camille Bénâtre pour se projeter dans un passé synonyme d’un élan nouveau, à l’instar de son morceau Les Genoux du grand-père. Un souvenir « qui n’appelle pas spécialement de suite » comme le précise Camille. Un souvenir qui suggère aussi sans doute sa volonté d’en bâtir d’autres, dans le flux de cette voix qui témoigne pour porter.
« Mon père voulait enregistrer la voix de mon grand-père quand il évoquait ses souvenirs de 44-45. On n’a pas pu le faire. De tout façon, ça aurait été difficile sans la spontanéité qui peut être celle d’une discussion normale… Mais on aurait pu garder cette voix présente. J’ai lu un très joli petit livre, « La voix sombre » de Ryoko Sekiguchi, au sujet de la voix enregistrée qui permet de garder la personne dans le temps présent. Finalement, une chanson peut aussi y arriver ».
Dans Les Jardins du passé de Camille Bénâtre virevolte une Photo volée : celle d’un avenir qui ne saurait être interdit. Plusieurs concerts en solo, mais également avec son groupe folk Alone With Everybody sont d’ores et déjà prévus. Ainsi que de nouvelles collaborations, notamment avec Maud Octallinn. C’est important de voir loin, de voir bien. De voir un matin.
Camille Bénâtre : Facebook | Photo : Franck Alix