Dans les arbres ou sur l’eau, Delphine Coutant est tour à tour Wendy guidant les enfants perdus de Peter Pan et la Dame du lac. Protégeant les secrets de l’âme de la nature, elle en partage certains mystères dans ses mots et ses chansons. Elle peut ainsi, à l’instar du sel qu’elle apprit à récolter dans les marais salants de Guérande, cueillir la fleur de celles qui l’écoutent. Rencontre aujourd’hui avec une artiste aux talents intimes et infinis parsemés de tendresse et de magie.
Bonjour Delphine Coutant, et merci d’avoir accepté cette interview. Quiconque rencontre dans sa vie un mystère a l’envie de lui poser tout un tas de questions pour le découvrir. Si ton écriture et tes compositions tentent de percer à jour ceux de la nature et de la musique qu’elle expire, celui qui m’intéresse aujourd’hui te concerne directement puisqu’il s’agit de toi. Quel genre de mystère es-tu Delphine ?
Delphine Coutant : Souvent, ce qui suscite le mystère, c’est une forte ambivalence, des contraires qui cohabitent en soi. Je pense être assez ambivalente… À la fois intrépide et insécurisée, fantaisiste et rationnelle, dispersée et organisée. J’essaie de vivre des aventures inédites sans trop de risque, si ce n’est celui de l’exposition au regard des autres. Je cherche à constituer un canevas cohérent de chansons à partir d’une matière très éclatée.
Tu es née à Saint-Nazaire il y a 41 ans. Pourtant, tu n’es pas née de la dernière pluie puisque tu as écrit et composé tes premières chansons voilà seize ans. Peux-tu décrire ce moment d’éveil à la musique qui te fit l’embrasser pour la première fois, pour ne plus jamais la quitter ?
Delphine Coutant : C’est la crainte de devenir amère qui m’a poussée à écrire, à composer, à enregistrer, à aller au bout d’une expression. Je ressentais une forte frustration et j’ai senti que je pouvais devenir aigrie très rapidement si je ne partais pas en exploration. J’aimais être musicienne mais ça ne me suffisait plus, je me sentais à la surface des choses. Il me fallait m’exprimer davantage, faire quelque chose de tous mes tiraillements, entrer dans la matière, devenir poète.
Existait-il parmi tes proches, ta famille, des tempéraments artistiques ayant participé à la naissance puis à l’affirmation du tien ?
Delphine Coutant : Pas vraiment. L’apprentissage de la musique dans l’éducation que m’ont donnée mes parents a malgré tout eu une place importante. Il y avait aussi le plaisir de manier les mots transmis par mes grands-parents. Ils venaient de familles précaires mais ils avaient pu, notamment grâce à l’éducation populaire, accéder à la poésie, aux spectacles…
Quels souvenirs conserves-tu de chacun d’entre eux et des moments partagés avec eux ?
Delphine Coutant : Mes premiers spectacles en famille : j’étais très fière ! Ensuite, ça a été plus compliqué : en souhaitant approfondir mon expression artistique est venue la crainte de déplaire, d’être incomprise, ce qui est sans doute nécessaire pour trouver une liberté, une singularité, une signature.
Ton univers musical rappelle celui d’Emily Loizeau, de Claire Diterzi, de la Grande Sophie, tant dans les compositions que dans la forme de tes interprétations, entre chant et langage. Quant à tes mots, ta poésie décrit sans posture des situations et des sentiments du quotidien. Si elle était un tableau, elle serait sans doute les Nymphéas de Claude Monet. Et si elle était un roman, lequel serait-elle ? Pourquoi ?
Delphine Coutant : Elle pourrait être Le cœur cousu de Carole Martinez pour la réalité et le mythe entremêlés, la violence et la douceur qui cohabitent. Ou bien Mudwoman de Joyce Carol Oates, pour la force du marais, celui de la nature et celui si étrange de nos psychés. Parfois aussi, quand j’ai besoin d’exprimer l’absurde, il y a un peu de Kafka. Ma chanson Nous Joséphine est inspirée de la nouvelle intitulée Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris.
« Plus on a besoin de normes et moins on supporte la marge ! Or la marge, c’est aussi la diversité, c’est la gamme de nuances qui rend l’esprit plus fin, c’est toute la richesse de l’humanité »
En octobre 2016, tu as sorti ton cinquième album : La Nuit Philharmonique. Il fut réalisé par Matthieu Ballet (Miossec, Thomas Fersen, Alain Bashung). Il fut notamment l’occasion pour toi de « construire autour de l’absurde de la folie » selon tes termes. Mais entre nous, la folie est-elle vraiment et tout le temps absurde ?
Delphine Coutant : En fait, il faut ajouter une virgule : « de l’absurde, de la folie ». Car effectivement, l’absurde n’émerge pas forcément de la folie selon moi. On le trouverait plutôt dans l’accueil de la folie, dans nos réactions normées. Pour ma part, je crois que je puise ma poésie dans la part de ma personnalité qui m’échappe, qui me semble un peu folle, très irrationnelle en tous cas.
Quel recul selon toi peut-on avoir sur la folie dans une société ultra-normée ?
Delphine Coutant : Plus on a besoin de normes et moins on supporte la marge ! Or la marge, c’est aussi la diversité, c’est la gamme de nuances qui rend l’esprit plus fin, c’est toute la richesse de l’humanité. Je crois que nous devons être vigilants car nous serons plus heureux si nous reconnaissons que nous avons tous besoin les uns les autres.
La folie ne pourrait-elle pas finalement dans ce contexte définir les gens sains d’esprit ?
Delphine Coutant : Assurément pour certains, car on trouve dans cette marge quelques esprits très libres. La difficulté étant de pouvoir le supporter et de bien vivre avec.
La Nuit Philharmonique débute avec le titre Dehors tout refleurit. « Dehors tout resplendit. J’entre dans l’hiver ». Delphine Coutant se dédouble. La première semble décrire un nouveau départ. L’autre semble encore s’y préparer. Me trompe-je ?
Delphine Coutant : La fameuse ambivalence !
Quel est l’évènement de ta vie et/ou quelle est la personne ayant engendré cette dualité ?
Delphine Coutant : Mystère ! (rires) Peut-être la difficile prise de conscience de gagner la mort en cadeau en même temps que la vie…
Nuit O ne porte aucun mot et laisse les cordes s’exprimer. Le titre est connecté à Nuit Y laissant apparaître un piano dans les vents. Le renouveau initié par la seconde répond à la mélancolie de la première. Jusqu’au nouveau départ esquissé dans cette Nuit Philharmonique. « Je mettrai le clignotant de temps en temps » : vers quelle destination la bagnole de Delphine Coutant la mène-t-elle aujourd’hui, artistiquement et personnellement ?
Delphine Coutant : Artistiquement c’est tellement plaisant d’affûter son écriture au fil des albums que le désir de créer à nouveau est là… pour dire mieux, pour aller plus loin, pour se connaître mieux, pour se transformer mieux. Personnellement, trouver plus d’ancrage, de légèreté, maintenir un lien à la terre, et aimer.
Avant de conclure, un petit mot au sujet de ces spectacles grandeur nature au milieu des arbres et sur l’eau auxquels tu as collaboré ces dernières années. Le premier s’intitule Le Concerto Perché. Tu y chantes depuis 2009 en suspension dans des arbres au côté de l’association Ozarbres. Le second, Le Piano du Lac, te fait chanter sur les lacs, les rivières et les mers de France aux côtés notamment de Voël Martin et de Cédric Granelle. C’est impressionnant, saisissant. Un véritable enchantement doublé d’ingéniosité et de prouesses techniques. S’il ne devait y en avoir qu’un, quel serait le moment sur l’eau qui t’a laissé le souvenir le plus singulier ?
Delphine Coutant : Le lac de Siguret dans les Hautes Alpes. On a failli ne jamais pouvoir y accéder avec nos camions et nos caravanes, les routes avec les virages et les côtes ne nous facilitaient pas la tâche. Finalement nous avons atteint par un temps menaçant cet endroit totalement magique que nous avions le sentiment d’avoir gagné. J’avais un fort sentiment de gratitude envers la vie toute entière ! Quel bonheur de chanter dans cet endroit difficilement apprivoisable sous un ciel dense qui retenait la pluie…
Delphine Coutant : site officiel | Photos : Julien Climent, Denis Rochard