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Louis-Jean Cormier | Dans un chuchotement

Louis Jean CORMIER

Demain sortira officiellement en France le second opus de l’auteur, compositeur, et interprète québécois Louis-Jean Cormier, Les grandes artères. Au détour d’une rime, l’artiste y révèle avec subtilité les distorsions de son âme en quête de tranquillité. Résultat : l’album ne laisse pas indemne. Rencontre.

Louis-Jean Cormier, bonjour et merci d’avoir accepté cette interview. Ton deuxième album intitulé Les grandes artères, déjà disponible depuis l’année dernière au Québec, sort en France cette semaine. Tu es originaire de Sept-Îles, une ville située au Nord-Est de ta province. Ce nouvel opus fait suite à ton tout premier album sorti en 2012, Le treizième étage, qui lança ta carrière solo à la suite de Karkwa, le groupe qui te fit connaître du grand public. Tu le fondas en 1998 avec Martin Pelletier, Michel Gagnon, Stéphane Bergeron, François Lafontaine et Julien Sagot. Karkwa a obtenu de nombreux prix, notamment le Juno du meilleur album francophone de l’année en 2011 pour Les chemins de verre. As-tu des nouvelles du groupe à nous donner ?

Louis-Jean Cormier : Les amis vont bien. Le groupe Karkwa est toujours en pause, ce qui amène chacun d’entre nous à suivre son propre chemin. C’est donc difficile de dire quand le groupe se réunira à nouveau. Ceci dit, je peux confier que nous nous sommes revus récemment. Nous avons à cette occasion partagé notre désir commun de faire de la musique ensemble dans un avenir plus ou moins proche. Ça reste encore trop nébuleux pour que je m’avance sur une date précise. Des questionnements subsistent. En tous les cas, l’harmonie règne encore entre nous. Nous sommes tous très heureux de reprendre la réflexion de nos retrouvailles en studio et sur scène.

Joueras-tu sur les deux tableaux ou resteras-tu à l’écart pour favoriser ta carrière solo ?

Louis-Jean Cormier : Karkwa ne peut exister qu’avec la présence de ses cinq membres originels. J’envisage donc de jouer sur les deux tableaux, même s’il est vrai que j’ai créé une espèce de « monstre » avec mon projet solo et mes tournées (rires). Aussi, peu importe ce que je ferai demain. Je me retrouve avec ce projet dans les pattes pour un bon bout de temps et ça me fait très plaisir. Je ne pensais pas que cela pouvait être si stimulant d’être à la barre d’un projet si personnel. Il m’appartiendrait pleinement. J’ai toujours été le gars d’un groupe mais je suis très heureux que mon projet ait su trouver son public.

On dit de toi que tu as grandi dans une famille mélomane. Pourtant, à l’écoute de ton deuxième album Les grandes artères, on perçoit quelque chose qui dépasse le seul amour de la musique. Pour toi, quelle a été la figure familiale incarnant le plus cette passion pour les mélodies ?

Louis-Jean Cormier : Il s’agirait d’une entité à deux têtes (rires). Mes parents en fait. Ma mère était constamment en train de fredonner. Quant à mon père, il était allé à l’école avec l’un de nos grands chanteurs, Gilles Vigneault. Il fut également chef de chœur et s’impliquait beaucoup dans la musique. Les artistes québécois occupaient une très grande place dans la discothèque familiale. Gilles Vigneault bien sûr, mais aussi Félix Leclerc, Robert Charlebois. Il y avait aussi du Jacques Brel, du Léo Ferré. Je m’en suis nourri. Ils ont contribué à faire de moi l’auteur et le compositeur que je suis aujourd’hui. Sans parler des groupes américains de métal et de rock que mon frère, ma sœur et moi avons découverts par nous-mêmes. Je me souviens, l’un des premiers vinyles que j’avais eu entre les mains était celui du groupe Europe, The Final Countdown. Puis il y a eu Bon Jovi et bien sûr Nirvana qui est venu tout « écraser ». J’ai beaucoup appris à la guitare électrique notamment grâce à ces groupes. Grâce aussi au groove et au funk de Rage against the machine, Red hot chili peppers. Et toujours en parallèle de la musique d’artistes tels que Daniel Bélanger, Martin Léon

Et celle dont la plume t’a le plus inspiré ?

Louis-Jean Cormier : Même si mes parents avaient tous les deux une culture générale extraordinaire, c’est mon père que était le plus extraterrestre des deux (rires). C’était aussi l’intello de la famille. Son goût du mot lui a permis de nous transmettre un vocabulaire très riche. Et je le remarque régulièrement lorsque j’échange des SMS avec mes proches. Les tournures de phrases que je prends le soin de choisir et d’employer sont assez éloignées de celles des jeunes d’aujourd’hui (rires). Cet héritage que notre père a confié à ses trois enfants, c’est sans doute ce qui explique mon élocution, le plaisir que je prends lorsque je fais la promo d’un disque, ou dernièrement à la télé.

Quel était l’auteur préféré de ton père ?

Louis-Jean Cormier : Il y en avait tellement… Mais le premier qui me vient à l’esprit et sur lequel j’aimerais attirer l’attention est Gaston Miron. C’est un grand poète québécois. C’est un peu notre Pablo Neruda. Il est devenu un monument de la poésie québécoise. J’ai eu la chance de jongler avec les mots de Gaston Miron dans le cadre d’un projet musical mené avec Gilles Bélanger. Nous avions repris en musique certains poèmes de Gaston Miron. Les deux albums studio qui étaient sortis à cette occasion étaient devenus des disques d’or. Des tournées spectacles avaient eu lieu. Gaston Miron a joué un grand rôle dans la vie de mon père. Il en a joué un dans la mienne aussi.

En parlant de plume, Les grandes artères a été écrit à plusieurs mains. Aux côtés de tes mots, on retrouve en effet ceux de Daniel Beaumont et de Martin Léon. Dans quelles circonstances ces collaborations ont-elles vu le jour ?

Louis-Jean Cormier : J’aime beaucoup le dialogue au quotidien, mais aussi dans la musique, dans l’art, la création. Cela me permet de me remettre en question et de me challenger. L’écriture d’un disque est plus complexe qu’on ne le suppose, surtout lorsqu’on est comme moi très attentif aux répétitions. La consommation actuelle de la musique privilégie le single. Or, un album raconte une histoire avec plusieurs chapitres. Il n’est pas une succession de titres indépendants les uns des autres. L’ordre des chansons et leur homogénéité sont très importants aussi. Dans cette perspective, Daniel Beaumont a joué un rôle majeur. C’est un co-auteur hyper créatif, un artiste hyper inspiré qui m’a aidé à me trouver et à concrétiser mon désir d’écrire des choses plus terre-à-terre, dotées d’une force visuelle. Martin Léon est également une grande figure artistique au Québec. J’ai beaucoup philosophé avec lui. Il m’a permis de dénouer certaines chansons, notamment celle intitulée Traverser des travaux.

« JE CROIS QUE CETTE NOTION DE TÉNACITÉ EST MÊME PLUS INTENSE QUE L’ENGAGEMENT QUE LA CHANSON SUGGÈRE. COUPEZ-NOUS LES JAMBES, LES BRAS, IL NOUS RESTERA NOTRE MÉMOIRE. »

Tu reprends un titre de Félix Leclerc dans Les grandes artères, intitulé Complot d’enfants. Quelles étaient tes motivations ? Pourquoi ce titre du répertoire de Leclerc plutôt qu’un autre ?

Louis-Jean Cormier : Je crois que cette chanson date de 1969. Je l’ai remise au goût du jour à travers la tournée de mon premier album Le treizième étage. Puis, lorsque le moment d’enregistrer Les grandes artères est arrivé, j’ai proposé qu’on l’intègre à l’album pour le plaisir. Nous trouvions tous que ce titre était incontournable. Elle amène du rythme au disque et correspond à ce que j’ai martelé pendant des années concernant la malléabilité de la musique. Le talent d’interprétation permet ainsi de porter une chanson dans des univers complètement différents tout en conservant son essence.

Zoom maintenant sur trois titres qui m’ont particulièrement plu. La fanfare dépeint ces mois de 2012 gravés dans l’Histoire du Québec durant lesquels la grève des étudiants paralysa la province canadienne pour protester notamment contre l’augmentation des droits de scolarité universitaires. « J’aime mieux rêver que de voir sans y croire. J’aime mieux ramper que de me rasseoir ». Au-delà du Printemps Érable dont il est question dans cette chanson, quel est selon toi le sens de cette lutte pour la liberté décrite dans La fanfare dans le contexte économique, social et culturel actuel ?

Louis-Jean Cormier : Ce fut un « souffle » qui inspira une génération entière d’artistes que je côtoie pour certains et qui sont devenus des amis. La thématique de cette chanson est passionnante. Elle pousse n’importe quel artiste à s’engager au-delà de son art. C’est tellement vrai que j’ai moi-même aidé les jeunes à trouver des supports en étant aussi l’un de leurs porte-paroles. Car au-delà de ces débats sur les droits de scolarité, de nombreuses questions relatives au bien commun se sont posées. De nombreuses manifestations ont été organisées pour dénoncer la perte des droits que nous avions acquis au profit d’investisseurs étrangers. La fanfare est une chanson qui fédère les gens. Elle joue un rôle différent d’une ballade amoureuse. Elle invite celui qui l’écoute à agir et à résister. Je crois que cette notion de ténacité est même plus intense que l’engagement que la chanson suggère. Coupez-nous les jambes, les bras, il nous restera notre mémoire. Nous nous souviendrons : c’est d’ailleurs la devise du Québec. Il ne faut pas cesser de croire au changement. Il ne se fera pas du jour au lendemain. C’est pour cette raison qu’il faut demeurer persévérant. Continuer à y croire, en ne perdant pas de vue qu’une chanson est aussi simplement une mélodie, une poésie. Qu’elle existe pour égayer, distraire et s’évader.

« On a tous des démons dans l’angle mort. Moi je n’essaie même plus de les dépasser. » Ces paroles de la chanson St-Michel rappellent que Les grandes artères sont aussi celles du temps. Un temps qui s’écoule violemment au rythme de ta guitare. Il finit par permettre à l’être qui s’éveille à sa propre liberté d’expérimenter complètement son identité. « Ça fait combien de temps que je force un sourire quand on m’demande de dire c’que je ressens ? » Le morceau Faire semblant est le résultat d’une introspection constante. Il s’agit à la fin du morceau de « montrer les dents ». Et toi Louis-Jean Cormier, quels sont ces gens à qui tu montres les dents plutôt que de te taire ?

Louis-Jean Cormier : St-Michel décrit la vie d’un itinérant que nous croisions régulièrement avec des amis à l’angle de la rue St-Michel. C’était un jeune qui portait toujours sa guitare dans le dos. Nous avons fini par nous interroger en observant qu’il se mettait en action lorsque, de notre côté, nous freinions dans notre propre vie. Il jouait de la musique, nettoyait les pare-brises pendant que les voitures s’immobilisaient au feu rouge. Un jour, nous ne l’avons plus vu. Sans doute l’appel de sa liberté. St-Michel joue sur ces double-sens qui permettent d’élargir les perspectives. Quant à Faire semblant, le titre évoque les difficultés que j’ai expérimentées pour gérer ma notoriété, notamment lorsque je suis devenu coach dans l’émission La Voix. Ça a été un vrai choc pour moi ! La chanson brasse une multitude d’émotions. Ce sont celles que j’ai ressenties par rapport à ce qu’on écrivait sur moi sur les réseaux sociaux, ce qu’on disait de moi dans la rue, la façon dont on remettait en cause ma participation à ce programme télé. Faire semblant est une chanson qui m’a permis de me vider le cœur, de faire le ménage intérieurement…

Enfin, Les grandes artères, ce sont aussi celles reliées au cœur. Si l’album s’ouvre sur les plus belles promesses de celui qui supplie dans Si tu reviens, il se clôture sur une mise à distance volontaire de l’être aimé dans le titre Montagne russe, qui y « perdrait au change » en restant auprès de celui qui l’aime pourtant profondément. Le choix de ces deux mélodies et leur place respective n’est pas anodin. Comment expliques-tu cette volonté bipolaire de retenir et, simultanément, de laisser partir l’amour d’une vie ?

Louis-Jean Cormier : C’est pour créer l’effet 360°. Tenter de résoudre une sorte d’énigme en faisant le tour de la question, en ne cessant jamais de s’en poser tout au long de l’album. Le dénouement évoqué dans Montagne russe peut paraître sombre. Mais il peut aussi laisser présager quelque chose de meilleur. J’ai opéré une grande recherche psychologique sur moi-même pour concevoir Les grandes artères. En l’écrivant, je me suis rendu compte en effet qu’il ne se terminerait pas sur un « happy end ». Mais il laisse les gens dans un chuchotement. C’est ça qui est beau en définitive. Je crois que ça donne envie de recommencer pour poursuivre ce voyage-là.


Louis-Jean Cormier : site officiel

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