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Charlotte Savary | À l’illusion du hasard, à une saison

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Charlotte Savary a les sens en éveil. Dans sa perception des mystères d’une réalité parfois trop ambivalente, elle incarne une continuité. Un repère dans les tressaillements de l’âme et ses phonèmes. Elle arpente les couloirs exigus d’un regard ancré dans l’envie du lendemain. Puis elle vous incarne avec, en ligne de mire, le cœur d’un tout à la confluence d’une infinité.

Bonjour Charlotte Savary. Tu es née à Saint-Germain-en-Laye, tu fêteras tes 37 ans le 24 décembre prochain. En 2002, tu formes le duo Clover avec Garin Le Thuc. Tu te fais connaître également à travers d’autres projets collaboratifs menés avec Wax Tailor et Felipecha. Ton parcours est marqué par des rencontres décisives et l’exploration de genres musicaux très différents. Ils répondent à ceux dans lesquels tu baignais enfant. Quelle était l’ambiance dans ta famille à l’époque ?

Charlotte Savary : Bonjour Florian. L’ambiance a toujours été très heureuse à la maison. Effectivement, elle était baignée de musique, avec mon père et sa musique classique. Ma mère qui adorait la pop, mais surtout la variété française. Et mon frère bassiste, un fan invétéré de rock. Ce sont finalement les influences de mon frère qui ont été les plus fortes. Je me suis tournée vers le rock. Puis j’ai commencé à chanter avec lui dans son groupe. Comme beaucoup d’autres jeunes, nous reprenions des morceaux pop-rock dans un garage. Pour finalement nous produire durant la fête de la musique.

Quel était le nom de votre groupe ?

Charlotte Savary : Uskul. Le groupe Uskul (rires)

Quel âge avais-tu lorsque tu as commencé à chanter ?

Charlotte Savary : J’avais dix-sept ans. Cela a duré pendant quelques années. Jusqu’au jour où une amie m’a entendue lors de l’une de nos prestations durant la fête de la musique. Elle m’a proposé de rencontrer un ami à elle qui recherchait une chanteuse. Ainsi, j’ai pu commencer à composer et à interpréter mes premiers morceaux au sein de Clover.

Nous allons en reparler. Mais avant, j’ai appris que tu avais composé tes premiers titres avec ta seule voix. Pas de guitare, pas de piano. Comment se déroule le processus de création dans ces circonstances ?

Charlotte Savary : Dans un premier temps, je composais malgré tout sur des musiques. Dans toutes mes collaborations, on me proposait des musiques sur lesquelles je composais les lignes vocales et écrivais les textes. En revanche, lorsque j’en suis venue à composer pour moi, je me suis aidée avec plein de choses. J’ai commencé à apprendre le piano puis à composer un peu grâce à lui. Le piano m’a permis de poser des accords, des ambiances. En parallèle, j’ai énormément composé à l’aide de softwares. Ils jouaient pour moi des guitares, des basses, des batteries. Tout se faisait à l’oreille en fait, si je peux dire les choses comme ça.

charlotte savary

En 2004, tu rencontres Jean-Christophe Le Saoût, alias Wax Tailor, lors de l’enregistrement du premier album de Clover : World’s End Lane. Dès l’année suivante, tu figures dans Tales of the forgotten melodies, son premier album électro trip-hop. À cette occasion, tu deviens l’une de ses égéries vocales à l’instar d’une Shara Nelson ou d’une Sinead O’Connor pour Massive Attack. Ou d’une Holly Martin pour Archive. Au-delà de l’univers musical de Wax Tailor, quel message porté par cet artiste t’a convaincue de le rejoindre pour l’incarner devant son public ?

Charlotte Savary : En fait, il s’agit plus d’une sensation que d’un message. Sa musique, à la fois hyper cinématique, sombre et mélancolique, m’a toujours beaucoup inspirée. Lorsque j’ai rencontré Wax Tailor lors de l’enregistrement du premier album de Clover, il m’a proposé d’écouter un morceau de sa composition. J’ai trouvé ça très évocateur. Je suis quelqu’un qui n’a jamais pu se forcer dans la composition. N’ayant pas de formation classique à proprement parlé, il m’a toujours fallu être très inspirée pour composer. Avec Wax Tailor, cela fut le cas instantanément.

Tu évoques très souvent dans tes interviews l’aspect cinématique que tu recherches constamment lorsque tu composes avec les autres. Mais aussi pour tes propres titres. Comment l’expliques-tu ?

Charlotte Savary : Par un environnement sonore qui me fait voyager. Qui me donne l’impression de me retrouver devant de véritables paysages, tout en m’attirant vers une atmosphère, une humeur. Il y a des groupes comme Boards of Canada que je peux écouter en léthargie totale, au casque, sans rien faire d’autre. Les guitares et les rythmes de la musique folk me propulsent. J’ai l’impression de partir à la conquête de Far West.

Te souviens-tu de la toute première chanson qui a eu sur toi cette emprise ?

Charlotte Savary : C’est une bonne question. J’ai été très attirée par Nancy Sinatra et Lee Hazelwood dès mes premières écoutes, notamment à travers Summer Wine qui sonne très western. Par The Moody Blues aussi et leur cultissime Nights in White satin. On est vraiment plongé dans cet univers imaginaire américain. Celui qui nous a bercés alors que nous n’étions encore que des enfants. Ma grande envie lorsque j’étais jeune était justement de partir aux États-Unis. J’ai eu la chance que mes parents le captent rapidement. Ils m’y ont envoyée plusieurs années de suite. J’étais à chaque fois en immersion complète dans des familles américaines. Ainsi, j’ai pu voir et expérimenter la vie américaine sous plein de formes différentes.

Quel âge avais-tu lorsque tu es partie pour la première fois ? Où es-tu allée ?

Charlotte Savary : J’avais quatorze ans quand je suis partie la première année. Et j’ai réitéré l’expérience chaque année jusqu’à mes dix-neuf ans. Je me souviens d’une famille de baptistes qui habitait dans l’Ohio. Leur pratique religieuse était très cadrée ! Je me suis aussi retrouvée dans une famille bien plus rock’n’roll dans le Maryland. Une autre d’érudits à Seattle : un très bon souvenir. Ses membres faisaient de l’élevage de chevaux. Je rêvais de monter à cheval. C’est sans doute en partie pour cette raison que j’y suis retournée à plusieurs reprises par la suite.

Et l’Arizona, le Colorado, les grands canyons, en référence aux westerns que tu évoquais tout à l’heure : as-tu eu l’occasion de t’y rendre ?

Charlotte Savary : Oui ! Lorsque nous sommes partis en tournée aux États-Unis avec Wax Tailor. J’ai vécu ça comme un road-trip, dans cette voiture que nous conduisions sur ces routes linéaires perdues dans cette immensité exceptionnelle. Je me rappelle de ces motels improbables dans lesquels nous nous sommes arrêtés. C’était formidable.

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Ton parcours musical est marqué par une deuxième collaboration : celle avec Felipecha. Celui-ci axe son identité sur une musique française revisitée. Le monde de Felipecha se rapproche des rythmes et des intentions de Louise Attaque, des Innocents, d’Olivia Ruiz. Qu’as-tu éprouvé à travers cette chanson française que tu ne pouvais pas ressentir ailleurs avant ?

Charlotte Savary : Dès le départ, Felipecha fut pour moi un univers très poétique et très intimiste. Felipecha, c’est de la délicatesse, de la dentelle.

Dentelle est justement l’un des titres des Innocents paru sur leur album Post-Partum en 1995. Cela ne nous rajeunit pas…

Charlotte Savary : Je ne connais pas le groupe, mais j’écouterai ce qu’il faisait, tu peux compter sur moi ! En fait, je ne m’intéressais pas beaucoup aux chansons françaises avant de rencontrer Philippe dans le petit monde de la faculté dans laquelle je faisais mes études supérieures. Je suivais un double cursus en droit et en anglais. Et ce, avant que je ne décide d’opter pour une autre voie en communication. Philippe avait un groupe de rock : Le Fou La Poule. Encore un jeu de mots (rires). Mon binôme en cours, qui était un ami et qui s’appelait Bruno, faisait également partie du groupe. J’ai naturellement rejoint les influences de Philippe en intégrant Felipecha. J’écrivais depuis longtemps des poèmes en français mais je n’avais jamais imaginé faire de la musique dans cette langue. Philippe a cette magnifique manière d’écrire qui combine une vraie simplicité et sa patte. Des images très poétiques et malgré tout très réalistes. J’ai vraiment accroché lorsque j’ai écouté ses textes. Cela m’a facilité les choses lorsque j’ai contribué à certains d’entre eux par la suite, ainsi qu’à certaines mélodies. Et puis, c’est incroyable à quel point l’univers de Felipecha parle aux enfants ! Nombreux sont les parents venus nous voir en nous disant que leurs enfants adoraient Felipecha et sa douce poésie.

Tu as sorti en octobre dernier ton tout premier album solo, Seasons. Tu t’y exprimes à travers tes propres textes et compositions, arrangés et enregistrés par Manuel Armstrong. S’il débute par l’été, Seasons est axé sur un hiver, le tien. Celui que tu vécus à la suite d’une rupture amoureuse. Comment en arrive-t-on à décider de partager ces souffrances avec des milliers de gens ?

Charlotte Savary : En fait, on ne le décide pas. Je crois qu’un artiste a besoin d’exprimer ce qui le traverse. Je suis assez peu capable d’exprimer des choses que je n’ai pas vécues. Ça peut m’arriver, mais mon inspiration dans ces circonstances est moindre. Les émotions cycliques connectées à la vie d’une relation, que je partage dans Seasons à la manière du passage des saisons, du deuil, du délitement, du renouveau, sont des émotions dans lesquelles chacun peut trouver un sens. Par lesquelles chacun peut placer son vécu. Ce sont des émotions, somme toute, assez universelles.

« Nombreux sont ceux qui viennent me voir en me disant que je suis mélancolique, mais que cette mélancolie les réchauffe malgré tout. Comme si elle n’était pas totalement dénuée de lumière. Qu’elle pouvait finalement apporter du réconfort. »

Focus sur deux titres qui m’ont particulièrement plu. Le premier est le titre Winter, What you see below the ice. La mélancolie teintée d’espoir de ce morceau m’a beaucoup touché. Elle traduit une détresse enfouie. Peux-tu me décrire le cadre dans lesquel tu te trouvais en écrivant les mots de cette chanson ?

Charlotte Savary : Je m’en souviens très bien. Mon père habite près de la mer du côté de La Baule. J’étais dans ma chambre, je n’avais que mon iPad. Et à l’intérieur, une partition de guitare déjà écrite par Arthur Bing que nous avions enregistrée « à l’arrache ». Je l’ai lancée à ce moment-là. Les paroles et la mélodie sont venus de manière assez instinctive. À mesure que les premières notes sont sorties, j’ai fabriqué l’écriture en même temps que le chant. Elle faisait écho à un poème que j’avais déjà écrit pour Felipecha et qui s’appelait L’Hiver. Je n’ai pas du tout écrit la même chose. En revanche, je suis partie du même constat d’un paysage glacé, qu’on retrouve au début du morceau L’Hiver paru sur l’album de Felipecha. Ce qui est incroyable, c’est que la voix principale que tu entends dans Winter est celle que j’ai justement enregistrée ce jour-là, allongée sur mon lit, avec mon seul iPad. D’ailleurs, il y a un autre morceau pour lequel nous avons conservé la voix enregistrée avec mon iPad tant le feeling était fort. C’est sur le titre Oh Rose.

Under your skin est un autre titre qui m’a beaucoup touché. Nous voilà, cheveux au vent, dans cette décapotable longeant les côtes de la Méditerranée, le soleil congédiant nos sales pensées de l’année passée. Celles, sans doute, à venir. Il s’agit de l’enchevêtrement de deux corps, de leurs esprits et de tous leurs questionnements. Si l’amour est un refuge, pourrait-il aussi devenir le socle de l’expression d’autres thématiques fortes te tenant à cœur dans un prochain album ?

Charlotte Savary : Sans te dévoiler mes prochains projets, je peux te dire que j’ai effectivement commencé à composer pour mon second album. Ainsi que pour un autre projet qui me tient à cœur et qui se fera avec une amie musicienne. En outre, l’amour y a toujours une place importante. Même si on n’y parle pas forcément des relations amoureuses. Il s’agit plutôt d’y évoquer des évènements que nous avons tous vécus dernièrement suite aux attentats et aux guerres. L’amour, en réponse à cette violence globale. C’est une inspiration que j’ai eue ces derniers temps.

Crois-tu que l’amour, même chanté par une artiste aussi talentueuse que toi, puisse suffire à lutter contre ces drames que tu évoques ?

Charlotte Savary : Non. Mais je pense que c’est un lâcher-prise. Un réconfort, aussi, pour beaucoup de gens. Nombreux sont ceux qui viennent me voir en me disant que je suis mélancolique, mais que cette mélancolie les réchauffe malgré tout. Comme si elle n’était pas totalement dénuée de lumière. Qu’elles pouvait finalement apporter du réconfort. J’y vois du sens, une sorte de pis-aller aussi.

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Voltaire disait en son temps : « Je suis comme les petits ruisseaux : ils sont transparents car ils sont peu profonds. » Peut-on dire que Seasons confère à Charlotte Savary une profondeur qu’elle n’avait pas avant ?

Charlotte Savary : Oui, puisqu’on n’avait pas eu l’occasion auparavant de m’entendre m’exprimer par moi-même. Par conséquent, le ruisseau a pu rejoindre une rivière au cours plus important à ce niveau-là.

« Même si je dois reprendre un jour un travail alimentaire, je continuerai à composer car cela me fait du bien » : selon toi, que te manque-t-il aujourd’hui pour pouvoir t’imaginer dans une vie qui restera, jusqu’à la fin, dédiée à l’écriture, à la composition, à la musique ?

Charlotte Savary : Pour le coup, nous allons aborder des considérations terriblement matérielles. Aujourd’hui, avec tous les changements ayant lieu dans l’industrie du disque, un artiste est moins sûr qu’hier d’exister ou de continuer à exister. À vivre en tant qu’artiste. J’espère vraiment pouvoir faire de la musique jusqu’à mon dernier souffle créatif. Surtout, j’espère pouvoir le faire de façon complètement indépendante. Je ne ferai pas ce qui ne me correspond pas, simplement pour rester dans la musique, comme d’autres le font. Autrement dit, partir vers des choses plus commerciales et/ou me travestir. J’espère pouvoir continuer à travailler avec ma voix. Donner des cours, faire des voix off pour des documentaires, des publicités, des contenus institutionnels. Cela me permettrait d’en vivre et de me laisser beaucoup de temps pour la création.


Charlotte Savary : Facebook | Photos : Nakissa Ashtiani (header), John Duquoc (make up), Nicolas Tath (studio vintage)

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