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Junius Meyvant | Changer soi-même avant de changer le monde

JUNIUS MEYVANT floating harmonies

Depuis vendredi, un nouvel air venu des contrées islandaises souffle sur le monde et la folie des hommes. La voix de Junius Meyvant pique à la façon d’un acupuncteur aussi ancien que les étoiles les points et les méridiens de corps s’abandonnant progressivement aux mélodies célestes de son premier album studio Floating Harmonies. Au croisement de Memory avenue et de Family boulevard, un feu de cheminée crépite et nous réchauffe. Flamboyant dans le regard de nos êtres chers assis eux-aussi sur les divans, notre moi prend les mains de notre mère et laisse les notes cajoler notre âme : c’est ça, l’effet Junius Meyvant.

Bonjour Unnar et merci d’avoir accepté cette interview. Depuis la sortie en 2014 de ton premier single Color Decay, tu sembles avoir enfin trouvé ta voie. Tu fais de la musique depuis ta plus tendre enfance et tu appris les bases à l’école avant d’en être renvoyé. Tu avais deux passions dans lesquelles tu souhaitais t’engager plus que tout : la peinture et le skateboard. C’est finalement la guitare que tu trouvas un jour chez tes parents qui décida de ton destin. Aurais-tu pu anticiper ce dénouement ?

Junius Meyvant : En fait, je souhaitais au départ jouer de la mandoline. La guitare fut un accident, j’avais alors vingt-et-un ans. Je n’avais pas d’idée précise en tête. J’ai juste commencé à jouer mes premiers accords. Je ne pensais vraiment pas avoir la patience de m’asseoir et d’apprendre à manier un instrument pendant des heures avec une telle concentration : ça bouge tellement en moi et dans mon esprit ! C’était sans doute un signe du destin, et un vrai miracle ! (rires) Je regardais des émissions musicales à la télé, j’écoutais les artistes que j’aimais avec attention. Je trouvais ça plutôt cool en fait.

Ton premier album intitulé Floating Harmonies est donc sorti vendredi. Il rassemble tous tes titres depuis 2014. Mais avant d’en parler, j’aimerais savoir comment tu as vécu la reconnaissance du public et de tes pairs lorsque tu reçus le prix du meilleur espoir et celui de la meilleure chanson lors du Iceland Music Awards de 2015 ?

Junius Meyvant : C’était très étrange pour moi. Je découvrais ce qu’était la notoriété, je n’y étais pas vraiment préparé. Les félicitations des gens me bouleversaient, j’ignorais ce que je devais leur répondre. J’avais du mal également à les accepter. Au fond de moi, je me sentais très heureux et flatté. Mais je ne comprenais pas le sens de ces prix. Surtout celui que j’ai reçu pour mon morceau Color Decay. Que signifie réellement « la chanson de l’année » ? Il y a tellement de chansons qui sortent en une seule année, tant de talents musicaux différents ! Je crois que j’avais pris une certaine distance par rapport à la compétition avant même le début de la cérémonie. Je crois que c’est ce qui m’a permis de rester objectif. Car oui, je peux aimer une chanson détestée par une multitude d’autres personnes, et vice-versa : tout ça est si aléatoire !

junius meyvant iceland music awards

Le président de l’Islande était juste derrière toi durant la cérémonie, c’est ce qu’on peut voir sur une photo que j’ai trouvée sur le web. Quel sens à ton succès pour les Islandais ?

Junius Meyvant : (rires) Si tu es reconnu en Islande dans un domaine particulier à l’instar de la musique, c’est toujours une bonne chose. L’Islande est un petit pays et l’industrie du disque y occupe une place de choix. Nous disposons de quelques ambassadeurs connus à travers le monde.

Björk, Sigur Rós

Junius Meyvant : Oui, ainsi que des prophètes moins connus.

Sóley pourrait en faire partie…

Junius Meyvant : Oui, sans aucun doute, j’aime beaucoup son univers. Ásgeir aussi commence à faire sa place, il a une très belle créativité. Il y a évidemment bien d’autres artistes à découvrir venant de chez nous. Pour chacun d’entre nous, il est important de représenter notre pays de mieux que nous puissions le faire à travers notre musique.

Tu fais de nombreuses références aux valeurs de ta famille notamment dans ta chanson Pearl in Sandbox : quelle est la place de tes parents dans ton quotidien ?

Junius Meyvant : Cela dépend si j’ai besoin d’argent ou pas (rires). Je plaisante bien sûr ! Mes parents ainsi que mes beaux-parents sont tout pour moi, pour notre famille. Mes parents sont installés sur les îles Westmann depuis des années. J’ai grandi là-bas et j’aime leur rendre visite régulièrement avec ma femme et mes deux enfants. J’y recharge mes batteries par la même occasion : l’endroit s’y prête complètement. Chaque nouveau moment passé avec eux permet d’entretenir les liens qui nous unissent. Ils transmettent aux enfants leurs enseignements, l’histoire de la vie. Ils sont aussi d’une grande aide pour mon épouse lorsque je dois me consacrer complètement à la musique ou lorsque je pars en tournée.

À quoi ressemble ta famille de l’intérieur ? Quelle place la musique y tient-elle ?

Junius Meyvant : As-tu vu le film avec Robert De Niro et Ben Stiller, Mon beau-père et moi ? Il décrit bien l’atmosphère régnant dans notre famille depuis toujours (rires). Mes parents s’apparentent à d’éternels hippies. Mon père par exemple adore faire la cuisine à deux heures du matin ! Il y a toujours eu beaucoup de choses au sein de notre foyer qui n’avaient aucun sens mais qui faisaient malgré tout que notre famille était adorable. Je me sens vraiment chanceux pour ça. De plus, nous avons tous reçu le cadeau de la musique et nous jouons tous d’un instrument : je fus le dernier à le découvrir, bien après mes trois frères et ma sœur. Ils ont tous participé à la réalisation de Floating Harmonies en jouant sur différents morceaux.

Deux de mes frères ont joué par exemple sur mon titre Domestic Grace Man. Même mes oncles ont apporté leur contribution ! Mon père est le génie de la famille : il a écrit et composé de nombreuses chansons et joue de plusieurs instruments. Cela lui vient de son enfance, de l’Église, ainsi que de son parcours de pasteur pendant près de trente années. Son éducation tout comme son apprentissage de la musique furent donc très stricts. Ma mère est la seule à ne pas jouer d’un instrument. En revanche, elle chante depuis des années. Sa tête fonctionne comme un ordinateur : elle n’a besoin d’entendre une chanson qu’une seule fois pour l’interpréter à son tour ! J’ai toujours su chanter et ce très naturellement : je crois que cela me vient d’elle.

junius meyvant islande

Quelle est ta vision du monde d’aujourd’hui Unnar ?

Junius Meyvant : Internet nous connecte et fait paraître le monde plus petit. Mais nous n’avons finalement jamais été autant éloignés les uns des autres. Tout le monde peut désormais dire et partager ce qu’il pense, ce à quoi il croit, avec la planète entière. Mais il n’a jamais été aussi facile et rapide de perdre son boulot en quelques secondes. Le fait que le monde paraisse plus petit fait que la crise économique mondiale tout comme les conflits semblent être sur le seuil de notre propre porte. Pourtant, chaque pays, chaque culture dispose de ses modes de fonctionnement spécifiques. Par conséquent, la situation est faussée.

Internet fait paraître le monde bien meilleur qu’il ne l’est en réalité. Celui d’aujourd’hui n’est pas pire que celui des années 70. Mais le monde sait tout maintenant et les médias s’en emparent pour forcer l’opinion de chacun. Malgré les interactions infinies sur le web et les réseaux sociaux, pourquoi est-il devenu si compliqué pour des individus de se regrouper pour initier collectivement des changements sérieux et durables pour notre monde, nos enfants, la planète ?

Sans doute la réponse se situe-t-elle chez ceux qui ne veulent pas que cela change. Chez ceux qui forcent les personnes à se diviser puis à ne pas agir. Sans doute la meilleure façon de changer le monde est de changer avant tout soi-même. L’existence nous enseigne que rien n’est acquis et qu’il faut être capable de se remettre en question ainsi que ses actes. Cela va bien plus loin que la simple notion de bien ou de mal car nos actes définissent ce que nous sommes et seront demain ceux de notre fin ou de notre complète réalisation.

Signals est ma chanson préférée. Seulement six lignes de texte, mais un sens et une voix qui m’ont transporté. C’est magique, irréel, abstrait, très puissant. Tu y parles à Dieu. Quelle est ta relation à lui ?

Junius Meyvant : Je suis un être spirituel et je crois en Dieu mais je ne pratique pas au sens religieux du terme. Comme mon père, j’ai grandi avec l’Église. Mais je suis incapable de me lever tous les dimanches matin. Il serait peut-être bon que je le fasse malgré tout. Je ne sais pas. Signals a deux significations en réalité. La première concerne les gens qui aiment profondément Dieu et qui aident leur prochain. La seconde, ceux qui prétendent aimer Dieu et qui l’utilisent pour commettre des actes très mauvais. Certaines personnes tuent au nom de Dieu. Mais si on part du principe que Dieu a conçu l’homme à son image, alors tu détruis la création de Dieu lorsque tu tues un autre homme.

« Si tu perds l’esprit, la spiritualité, tu égares aussi le chemin vers tous tes sens. Nous avons tous un esprit, un corps et une âme. Les trois se combinent à l’infini pour que nous fassions face à la vie »

J’ai lu que tu avais dû annuler deux concerts en France et notamment à Paris suite aux attaques terroristes du 13 novembre 2015 à Paris. Peux-tu me dire comment tu as vécu ces évènements tragiques ?

Junius Meyvant : J’étais sonné. Ce fut vraiment choquant pour moi comme pour de nombreuses autres personnes aussi bien sûr. Les terroristes de cette attaque étaient en mission pour ce nouvel état à plusieurs noms, pour leur nouvelle loi indicible. Ils ont tué pour installer autre chose à la place de ce qui existe et que leurs promesses soient exaucées. Tuer pour des promesses. Tuer pour remplacer le roi par un autre… Certains de ces terroristes étaient très jeunes, et pourtant, ils étaient armés et tiraient sur la foule. Quelle tristesse de voir et de vivre cela ! J’ignore leur passé, les organisations pour lesquelles ils travaillent. Celles qui leur disent qu’ils prendront soin de leurs familles s’ils font ce qu’elles leur ordonnent, qui leur disent qu’elles les tueront s’ils ne se soumettent pas.

En parallèle, que penser de celui s’étant fait sauter à l’extérieur du Stade de France ce soir-là, et non à l’intérieur ? Quel sens cet évènement peut-il avoir ? Personnellement, je crois que ce terroriste a pris la décision au dernier moment d’épargner les centaines d’innocents qu’il aurait tués s’il était allé jusqu’au bout de sa mission. J’ai envie de croire en cela. C’est sûr, de nombreuses autres explications sont possibles. Mais au final, même sous la contrainte la plus extrême, chacun finit par se retrouver avec sa seule conscience, sa petite voix qui l’interroge sur ce qu’il est en train de faire.

Je rappelle que j’ai grandi au sein d’une communauté très religieuse. Aussi, je peux comprendre certaines choses, car certains discours étaient parfois sévères et opposaient le monde entier à nous. La différence, c’est quenous n’avions pas d’arme ni de comportement radical. J’ai pu connaître des enfants ayant grandi dans des circonstances dramatiques et misérables : ce n’est pas pour autant qu’ils sont devenus des tueurs une fois adultes. Quel est l’enseignement primordial de Dieu ? L’amour. Il nous invite à tendre l’autre joue lorsqu’on nous frappe sur la première. Tuer au nom de la religion n’a aucun sens pour moi. Opposer la Bible et le Coran n’en a aucun non plus.

junius meyvant team

Je voudrais conclure cette interview sur une thématique plus personnelle. Tu parles d’amour et de tes sentiments dans ton album notamment dans ta chanson Manos. « Sans ton amour nous mourrons jeunes » : est-ce une prière, un espoir que tu souhaitais partager avec quelqu’un en particulier ?

Junius Meyvant : Manos évoque l’amour que l’on veut bien porter à soi-même. Perdre sa trace mène à notre mort. Celle mentale, menant à celle physique. Car si tu perds l’esprit, la spiritualité, tu égares aussi le chemin vers tous tes sens. Nous avons tous un esprit, un corps et une âme. Les trois se combinent à l’infini pour que nous fassions face à la vie. Chacun de nous lutte au quotidien. Personnellement, l’humour et le fait de ne pas prendre la vie trop au sérieux sont deux choses qui m’ont beaucoup aidé. Après tout, si un problème subsiste, combien de chances existent pour qu’il ne se résolve jamais ? Surtout si je me donne les moyens de le résoudre ?

Merci Unnar pour ce dernier enseignement…

Junius Meyvant : C’est malin, tout le monde va me fuir en disant ça ! (rires)


Junius Meyvant : site officiel

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