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StaticObserver – Être l’instrument de tout ce qui vous dépasse… à l’intérieur

STATICOBSERVER

Jean-Baptiste Guignard est doué d’une parole qu’il est apte à disséquer pour expliquer ses origines, ses rôles, et son sens au plus grand nombre. Mais il est avant tout StaticObserver, un artiste à la voix de tête portant le message de tout ce qui l’entoure. Un projet collectif issu des tréfonds d’une science mémorielle sans frontière ni contrainte de temps. Un conte de fées trépidant dans lequel se conjugue innovation technologique et instrumentalisation de son propre moi. Ainsi, s’il existe des hauts et des bas vertigineux dans la réinterprétation des éléments structurants la démonstration musicale de StaticObserver, c’est tout notre être émotionnel qui vibre à l’écho de cet essentiel terriblement humain.

Bonjour Jean-Baptiste, et merci de nous accorder un peu de ton temps pour cette interview. « Notre monde, en tant que monde que nous présentons dans notre existence avec autrui, aura toujours précisément ce mélange de régularité et de changement, cette combinaison de solidité et de sable mouvant, si typique du vécu humain quand nous le regardons de près » : voilà une citation qui constitue à elle seule la synthèse de ton premier album sorti le mois dernier et intitulé Rabbit’s Run. Une citation qui doit sans doute raviver quelques souvenirs. Te rappelles-tu qui sont les auteurs de cette dernière ?

Cela pourrait être du Emmanuel Levinas. Ça me fait penser à ça en tous les cas. C’était un philosophe qui se situait entre la phénoménologie et la culpabilité, notamment celle en rapport avec la Shoah. Je ne sais pas si c’est tellement ça à vrai dire. Si tu n’as pas réagi, c’est que ce n’est pas la bonne réponse…

En effet, ce n’est malheureusement pas la bonne réponse Jean-Baptiste…

(rires)

Et notre échange va donc s’arrêter là (rires)

J’aurais mieux fait de ne pas appuyer sur le buzzer ! (rires) Mais il y a quand même un peu de ça sur cette idée pas complètement paradoxale et en même temps très figée. Parce qu’il y a toujours cet exercice d’écriture qui fait que tu rends les choses un peu tangibles. À partir de cette stabilité-là, tu fais un peu de canevas, puis tu découvres et tu vas à la marge. Mais je trouve cette citation très intéressante. De qui est-elle finalement ?

Il s’agissait d’une citation de Francisco Varela et Humberto Maturana, à l’origine d’un ouvrage intitulé l’Arbre de la Connaissance : racines biologiques de la compréhension humaine, et versés dans l’énactivisme, autrement dit, l’approche théorique de la cognition selon la notion d’énaction.

(rires) Oh la la, mon Dieu ! Varela et Maturana, mais c’est bien sûr ! Et je ne les ai pas reconnus. Si tu publies ça, je suis mort !

Mais je vais le publier !

(rires) Je n’ai pas reconnu Maturana et Varela, honte à moi ! Quoiqu’il en soit, cette citation fait sens, c’est sûr. Ceci dit, l’approche énactiviste s’appuie sur la phénoménologie et sur le bouddhisme. Aussi, d’une certaine manière, je n’étais pas très loin.

Il se trouve qu’avant de te lancer dans la musique et de créer le projet StaticObserver, tu étais – et tu l’es toujours d’ailleurs – docteur en sciences cognitives spécialisé dans la philosophie du langage et la linguistique. On te retrouve dans les répertoires du CRED (Cognitive Research and Enaction Design) et de l’Université de Technologie de Compiègne. Quel est ton Umwelt ? Autrement dit, ton monde propre ?

Si je te fais une réponse un peu philo, sciences cognitives, mon unwelt serait l’environnement immédiat dans lequel tu te trouves. Me concernant, ce sont souvent mes enceintes de monitoring. Elles me sont très chères puisque chaque qualité de son est très dépendante du système dans lequel tu es. D’un point de vue ironique, c’est un peu ce que je crois pour la composition et l’écriture. Je crois que tout ce qui est dehors, tout ce qui est autour en termes d’outils, d’instruments, est autant constitutif de l’écriture et de la composition que toi-même. Je ne crois pas du tout à cette idée de la composition dans l’abstrait. In abstracto, comme on le fait souvent dans le classique, à coup de partoches. Me concernant, je triture des sons, j’utilise des instruments dont je ne sais pas bien jouer, et je suis finalement très dépendant des outils qui m’orientent. De mes enceintes de monitoring au type de clavier que j’utilise en passant par l’ergonomie de chacun de ces outils : la manière dont ils vont ensuite m’orienter va me permettre de choisir telle ou telle touche, tel ou tel pad. Et puis, je mets souvent des trombones dans mes compos. En fonction de ceux dont je dispose, je me retrouve à ne pas jouer les mêmes notes. Parce que les tessitures ne sont pas exactement les mêmes, parce que ça joue faux. Par conséquent, j’aime bien cette idée que l’extérieur et ses contraintes orientent ta création. Un peu comme l’Oulipo et la littérature. Ça remet même en cause la propriété de la musique, c’est-à-dire que ton entourage fait autant partie de ta création musicale que toi au fond. J’aime bien être un outil des outils.

Comment passe-t-on d’un univers scientifique comme le tien à celui de la musique, nécessitant une réflexion créative qui dépasse en l’espèce celle de la cognition ?

C’est une super bonne question. Et je ne sais pas vraiment quoi répondre immédiatement. Ce que je sais, c’est que cela s’est fait un peu en même temps. Je finissais mon doctorat sur des problématiques que je me farcissais au quotidien et frontalement. J’étais en permanence entre les catégories de l’entendement de Kant et les derniers manuels d’utilisation d’Arturia, parce qu’il fallait aussi que je sorte un album. Je pense que ça répond en partie à ta question. En fait, j’ai la même manière d’être à l’écriture scientifique qu’à la composition. J’ai une hypothèse, j’essaie de m’appuyer sur ce que je connais pour la démontrer. En définitive, je pense qu’il s’agit de la même méthodologie. J’aime les choses alambiquées relevant de cette démonstration. Il existe un état de l’art, je ne pars pas de nulle part. J’en fais la synthèse afin de l’amener un peu plus loin. En toute humilité car la recherche demeure modeste. Tout comme la musique selon moi.

Il y a le lien de démonstration que tu évoques. Mais il y a aussi l’émotion faisant complètement partie de la cognition. Te concernant, le lien de l’émotion est-il le seul que l’on puisse exploiter pour manager une reconversion dans la continuité, d’un univers scientifique initial comme le tien à la musique ?

Il s’agit en effet de l’autre pan. Il existe évidemment une similarité de forme en termes d’écriture et de composition entre la recherche et la musique. Mais ce qui fait le lien entre les deux, c’est l’exaltation. Autant la psyché que la suite d’accords qui va me faire réagir sont importants. C’est ce que je recherche. Quoique je fasse à vrai dire, c’est ce qui me traverse qui est important. Et je prends au sens littéral l’expression « toucher l’autre ». La musique qui me plaît, du ressassement wagnérien à la techno minimaliste, c’est celle qui me touche. Et cela peut même parfois n’être pas plaisant du tout. Cette perspective fonctionne également pour le cinéma. J’adore Irréversible, pourtant, ce film me donne la gerbe. J’aime ce qui me déplace, ce qui m’émeut, ce qui me bouscule, ce qui me rend vivant.

Es-tu toujours dans la recherche et l’enseignement aujourd’hui ?

Je ne me consacre qu’à la musique depuis septembre 2014.

Pourtant, tu es découvert dès 2007 par Julien Birot, à la tête du label Such dédié notamment à la musique électro. Peut-on parler d’une rencontre décisive pour la suite de ton parcours musical ?

Oui, et à plusieurs titres. Car Julien Birot est aussi celui qui a participé à la réalisation de l’album qui a pas mal contribué à mon essor, avec le groupe Overhead et aux côtés de Nicolas Leroux. Cet album avait d’ailleurs bien marché, c’était au début des années 2000. Cet épisode est constitutif de mon expérience musicale. Julien Birot est venu cristalliser tout ça, à un moment pour moi où je ne croyais pas au sérieux de ma musique. Je ne pensais pas avoir quelque chose à dire mis à part chez moi en postant des sons sur MySpace©. Il m’a repéré, il m’a appelé, il m’a dit qu’il aimait beaucoup ce que je faisais et qu’il souhaitait m’accompagner dans la réalisation d’un album. Une confiance s’est instaurée, elle est devenue totale. Il m’a confié dès le départ le caractère très cinématographique de ma musique. Cela m’a amené à créer de la musique pour l’image. Quoiqu’il en soit, Julien Birot est exalté tout comme moi, c’est sans doute pour ça que nous nous entendons aussi bien. Nous sommes tous les deux perchés.

Qui est Julien Grolleau, qui t’accompagne dans le projet StaticObserver ?

J’ai rencontré Julien Grolleau en 2006 alors qu’il faisait partie du groupe bordelais Sowers. C’est avant tout un ami depuis dix ans. Cela compte beaucoup, surtout lorsque nous devons nous dire les choses clairement, en s’engueulant parfois. C’est aussi un excellent batteur qui m’a fait rencontrer un autre musicien de talent, Thomas Amilien, pianiste de formation et chef d’orchestre à ses heures. J’ai développé avec lui la solution logicielle pour smartphone du nom de Clay, permettant de modifier en temps réel une bande son musicale grâce à des mouvements des mains en trois dimensions. Je l’utilise sur scène pour faire ressortir encore plus l’aspect à fleur de peau de mes morceaux et les faire évoluer vers une expressivité corporelle prépondérante. Car nous existons dans le monde par le fait que nous soyons investis corporellement dans ce monde. Et nous ne le percevons ainsi que parce que nous agissons sur lui. Julien Grolleau n’échappe pas à la règle, puisqu’au-delà d’être un ami et un excellent musicien, il sera aussi mon témoin lors de mon mariage qui aura lieu dans un an.

Ton premier album, Rabbit’s Run, est donc sorti le mois dernier en version numérique, et ce mois-ci en version physique. Trois titres ont retenu mon attention. Commençons par le premier morceau de l’album, Rorschach Litany. On te suit dans ce long terrier étroit sur la pointe des pieds à l’instar d’Alice à la poursuite du lapin blanc. Le son est minimaliste, nos perceptions voguent entre ciel et terre. Ta voix grimpe telle celle d’un Thom Yorke, et le monde que tu annonces répond à celui de son groupe, Radiohead, notamment dans leurs albums Amnesiac et Hail to the thief. Comment peut-on rivaliser ainsi avec l’une des plus belles voix alternatives alors que l’on était quelques temps avant un pilier d’amphithéâtre ?

Merci ! Je ne sais pas si je peux rivaliser. C’est très sympa de le dire, mais le maître reste le maître. Et Thom Yorke est tellement haut perché dans tous les sens du terme que c’est très dur de rivaliser avec lui. Quoiqu’il en soit, Amnesiac est de toute ma vie l’un des albums de Radiohead que j’ai le plus écouté. Il est complet, et sur le plan des sonorités, c’est juste monstrueux. Like Spinning Plates est d’ailleurs mon morceau préféré. La profondeur du souffle et tout ce qu’il sous-entend me laisse personnellement sans voix. Sans parler du fait que cette époque laissait la possibilité de tout tenter sur le plan des structures musicales avec cette seule contrainte de toujours favoriser l’émotion pure. Concrètement, à la fin de ce morceau que j’ai cité, on sent qu’il se passe un truc, que Thom Yorke est en train de tomber. À moins qu’il soit sous LSD. Peu importe en fait. Là aussi, ça m’émeut. Tout comme le temps qui reste de Reggiani. Tout comme bien d’autres morceaux provenant d’univers très différents qui savent faire vaciller l’émotion aussi justement. Quoiqu’il en soit, j’ai enseigné pendant une dizaine d’années en amphi. Et la perspective est évidemment complètement différente. Lorsque je chante, la voix est la métaphore de ma mise à nu. Je cours à poil devant le spectateur en fait. Ça me coûte parfois d’ailleurs, car ce que je donne est très intime, très pulsionnel. Il s’agit de tout ce que je cache au quotidien. Et même si la musique est précisément construite, on ne peut pas tricher avec la voix. Il faut que ça sorte. Aussi, alors que j’étais un personnage devant mes étudiants, je ne peux plus l’être face à mon public.

Donner sans recevoir d’un côté, donner dans cet espoir, cette quête de retour d’un public de l’autre. Faire bouger les lignes et le vivre intensément ?

Oui, c’est exactement ça. Et je passe mon temps à me cacher de ça comme pour me donner l’impression que ça n’est pas là et qu’au fond je suis tout seul. Un exemple : j’ai souvent une boule quies dans une oreille et un retour oreillette dans l’autre. Si on y ajoute l’intensité des projecteurs, j’ai presque la sensation des fois d’être dans une bulle, et ça me va bien. Les moments vertigineux viennent lorsque ça s’arrête et que je me rends compte qu’il y a plein de gens en face de moi. C’est là que je perds pied. Sans doute devrais-je à nouveau consulter (rires).

On baigne dans le « bjorkesque » avec Homely Scaffold (qui m’a rappelé le titre I’m a Hunter sur son album Homogenic). On salue gaiement Jonsi au détour d’une de tes envolées lyriques dans Open Heart Zoo. Pour retomber violemment sur ton morceau Faulkner’s. William, son bruit, sa fureur, ne sont pas très loin. Que t’inspire cet essayiste ? L’instrumentalisation de ce morceau peut-elle être perçue comme un hommage ?

Tout ce que je retiens de ce que j’ai lu de Faulkner, c’est la complexité immédiate et dure qui finit par faire sens. C’est quelque chose de l’ordre de la performance. C’est dense, grandiloquent, et cela finit par faire structure. L’instrumentalisation du titre est en effet un double hommage. En premier lieu à William Faulkner qui m’a énormément inspiré, tout comme son livre The Sound and the Fury, que tu sous-entendais dans ta question. Ensuite, elle m’a permis de cristalliser mes années littéraires et la réappropriation que je peux faire des œuvres que j’ai pu lire, écouter. Comme dans un texte scientifique et au-delà des influences qui distinguent chaque musicien, je privilégie constamment la citation de mes sources. Elle me permet d’énoncer clairement ces mêmes influences. Comme John Barry dans mon titre Misfit aussi. C’est vraiment de la citation. Certes, j’en fais autre chose. Mais je ne triche pas, comme on pourrait le faire avec un sample par exemple.

Hugger-Mugger, qu’on peut traduire par câlineur-assassin, révèle les aspects volontairement schizophrènes de ton approche. La déstabilisation simultanée des neurones et de l’ouïe de tes auditeurs est-elle selon toi la clé d’un morceau réussi ?

La clé d’un morceau viscéral en tous les cas. Réussi : tout dépend de ce que l’on cherche à faire. Car ce morceau a tendance à déstabiliser. J’aime particulièrement ce morceau. Il y a cette espèce de double couche, une grosse épaisseur de synthés qui sonnent et qui grésillent. On baigne dans l’effroi total. On est en haut d’une falaise ou d’un immeuble, tout en marchant sur des œufs. Ce serait comme traverser une autoroute alors que l’on est un hérisson. On ne sait pas trop comment cela va se passer. Hugger – Mugger est le morceau le plus humain de l’album, et le plus psycho-orienté.

Et le dernier titre, comme si, en point final au Rabbit’s Run, tu avais voulu accompagner Alice jusqu’à la sortie du terrier.

On peut l’interpréter ainsi en effet.

L’univers graphique et musical de StaticObserver est empreint de celui de Paulie Jan, producteur parisien qui a sorti début 2014 son second EP instrumental intitulé Trunkenstein. Sa perspective créative demeure sombre et lunaire. Comment l’as-tu rencontré ? Pourquoi avoir décidé de collaborer avec lui sur ce premier album ?

Il s’agit du frère de Julien Birot. La boucle est ainsi bouclée. En fait, il y a eu un tournant entre la première partie de StaticObserver qui était plus jazzy et celle d’aujourd’hui avec un truc bien plus électro. Entre les deux, il y a ma rencontre avec Paulie Jan, qui est aussi un ancien photographe de guerre. Le seul moyen qu’il a eu de s’en sortir après ces années compliquées durant lesquelles il fut confronté à l’horreur a été de tomber dans l’émotion la plus totale. Il venait de sortir cette année-là un premier EP intitulé Humian. C’était en 2012. J’ai tout de suite adhéré à sa trame. Lui m’a poussé dans mes retranchements sur certains morceaux de mon premier album Rabbit’s Run. Il a bien fait car cela m’a embarqué ailleurs. Et pour la petite histoire, il va entamer un doctorat avec moi. Je trouve ça assez rigolo.

Quels sont les prochains évènements de l’Observateur Statique ?

Il y a pas mal de dates qui sont en train de tomber. Dans les plus importantes, il y a le Printemps de Bourges qui se dessine en région. Nous allons y représenter Bordeaux dans notre catégorie. Entre-temps, il y aura eu deux concerts privés : ça marche bien avec le format StaticObserver. D’autres scènes sont prévues, notamment sur Toulouse, ainsi que certains évènements en rapport avec l’art et la technologie, via Clay et les éléments graphiques et visuels de StaticObserver. Cela aura lieu à la Gaieté Lyrique début mars à Paris : le projet est d’ailleurs incubé là-bas. Nous serons également présents durant la semaine digitale à Bordeaux début avril dans la même perspective.

Un début d’année 2016 qui s’annonce bien pour toi et tous les membres actifs de StaticObserver. On ne manquera pas de suivre toute ton actualité sur ta page Facebook© dans ce sens. D’ici là, je te souhaite de bonnes fêtes de fin d’année Jean-Baptiste. Que la force de Thom et celle de Björk soient avec toi !


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