Mercredi sortait le premier long métrage réalisé par Jordan Peele, Get out. L’effet du film sur le spectateur français fut le même que sur celui du reste du monde, et pour cause : avec un budget de « seulement » 4,5 millions de dollars, Get out étonne et captive bien plus que d’autres super productions hollywoodiennes. Entre thriller et horreur, laissez-vous piéger à votre tour par la mécanique Peele.
Chris (Daniel Kaluuya) sort de la douche et commence à préparer son bagage. De son côté, Rose (Allison Williams) commande dans une boutique son cappuccino favori accompagné de douceurs. La voici quelques minutes plus tard devant la porte de Chris puis dans ses bras. Les deux tourtereaux sont sur le départ pour passer leur premier week-end chez les parents de la belle. Chris a le trac. Il s’interroge sur la réaction des parents de Rose quand elle le rencontrera pour la première fois, lui, l’Afro-Américain qui sort depuis 5 mois avec leur fille, une blanche. Rose s’empresse de le rassurer sur leurs intentions, leurs valeurs, jusqu’à évoquer leur orientation politique proche des Démocrates. Non, vraiment, Chris n’a aucun souci à se faire, au contraire.
Sur la route, ils croisent une biche qui percute de plein fouet le capot de leur voiture. L’arrêt est brutal. Chris descend et ne peut s’empêcher d’aller voir l’animal gisant dans les fourrés. Son regard croise le sien et instaure un malaise presque imperceptible. La police arrive sur les lieux de l’accident. Après un contrôle mouvementé, le jeune couple repart et arrive finalement à destination. Sur le perron de la riche demeure Armitage, Missy (Catherine Keener) et Dean (Bradley Whitford) attendent déjà leur fille et son nouveau compagnon. Chris croise le regard de leur jardinier Walter (Marcus Henderson) avant de les saluer, puis celui de leur domestique Georgina (Betty Gabriel).
L’imperceptible malaise gagne à nouveau Chris. Il ne le lâchera plus. L’image renvoyée par cette famille est trop belle pour être vraie. Perdu entre son amour pour Rose et l’envie de faire bonne impression sur sa famille, Chris se fait une raison. Jusqu’au moment de croiser Andrew (Lakeith Stanfield) le lendemain. Sa tête lui dit quelque chose. Chris décide alors de le prendre en photo avec son smartphone. Ce sera le flash de trop.
Piéger avec plaisir
Si le parcours de Jordan Peele en tant qu’acteur n’a jamais été remarquable ni remarqué, son premier film en tant que réalisateur l’est sans aucun doute. Avec Get out, l’Américain, originaire de New-York et âgé aujourd’hui de 38 ans, se distingue par la précision et l’originalité de son œil. Get out devient ainsi d’ores et déjà une référence du genre, osant même user des clichés de celui-ci pour faire pétiller l’intrigue avec désinvolture.
Spider Peele tisse sa toile sans que le spectateur n’y prenne garde. Le scénario, écrit également par ses soins, organise et avance avec tact les différentes pièces sur l’échiquier jusqu’au mat de l’assistance qui n’a rien vu venir. La tension initiée par Jordan Peele revêt même des atours hitchcockiens. Il y a un truc qui cloche, c’est sûr. On sait la justesse du ressenti du personnage de Chris. Pourtant, on ne réussit pas à mettre le doigt dessus. Lorsque le piège se referme, l’instant est jouissif. Tant pour son concepteur que pour le spectateur.
Bousculer les codes avec passion
Sur l’excellente bande originale composée par Michael Abels dont les partitions mêlent musique du monde, cordes, soupirs et influences oldfieldiennes, Jordan Peele instille le frisson dès les premières secondes du film. Si le rapt d’Andrew ouvre Get out, il inaugure également une chasse à l’homme d’un nouveau genre.
Le chasseur sachant chasser sans son chien a remplacé ce dernier par d’autres méthodes pour le traquer, le paralyser puis l’encercler. Lorsque la proie cède enfin à son instinct de survie, il est déjà trop tard. C’est alors l’ingéniosité fulgurante de l’homme qui intervient en dernier recours pour soutenir ce même instinct et permettre à la proie de prendre la place du chasseur. L’un de ceux sachant survivre et qui n’en est définitivement plus au stade des compromis pour préserver sa vie.