Son chant est un murmure, ses accords, les nuages invisibles qui le porte. Depuis Glasgow, Gareth Dickson propage ses recueils et son ouverture à des réalités découvertes récemment. Elles le dépassent et nourrissent ses nouvelles compositions exposées au grand jour dans son dernier album Orwell Court paru en 2016. Rencontre avec un Écossais qui ne mâche pas ses mots et qui ne ménage pas sa gratte. Magnifiquement.
Bonjour Gareth, et merci d’avoir accepté cette interview. Tu as sorti il y a deux ans ton album intitulé Orwell Court. Deux ans déjà. Quels ont été les trois événements majeurs qui ont ponctué ta vie artistique et personnelle depuis, et pourquoi ceux-là plutôt que d’autres ?
Gareth Dickson : Bonjour Florian, merci également à toi. Bonne question. Ma vie artistique et personnelle sont floues. Elles sont étroitement liées, impossible de les séparer dans un sens. Depuis la sortie de l’album, j’ai passé beaucoup de temps à essayer de réaliser des choses qui me permettent de vivre de ma musique. J’ai pas mal tourné, cela prend énormément de temps car il faut beaucoup d’organisation, de préparation, de répétitions. Être loin de chez soi suggère de rattraper la vie quand on revient. J’apprécie cette vie même si elle laisse peu de temps pour essayer d’être créatif. La majeure partie de mon temps de travail a été consacrée à ça.
Ces derniers mois ont été plus calmes en termes de tournées. J’ai donc pu à nouveau écrire de la musique. J’ai acheté une guitare classique en cordes de nylon, j’ai composé des morceaux instrumentaux que j’espère sortir à un moment donné, sans savoir quand. Enfin, j’ai également écrit deux longs morceaux de dix minutes chacun pour un projet auquel on m’a demandé de contribuer. Le projet précisait que les chansons devraient durer au moins dix minutes tout en impliquant une chanteuse invitée. J’ai quelqu’un de très spécial en tête pour une des chansons. Je pourrai en dire plus une fois qu’elle aura été enregistrée. Il s’agit de grandes collaborations pour moi, chronophages certes, mais très importantes.
Ils sont nombreux à vanter ta maîtrise de la guitare, rappelant celle de Bob Dylan ou de Nick Drake à bien des égards. Quel est le message entrelacé dans les paroles et les accords de tes chansons, notamment dans Orwell Court ?
Gareth Dickson : Le message insinué dans Orwell Court est très différent de celui de tous mes albums précédents. Dans le passé, mes chansons étaient davantage liées à ma vie personnelle et à mes propres pensées. Orwell Court concerne davantage le monde, et en particulier la façon dont le pouvoir opère par la tromperie et la propagande. Il y a tant de choses que nous considérons comme vraies à propos de notre monde, et qui ne s’appuient en définitive sur aucune preuve… Orwell Court est une déclaration personnelle à ce sujet. C’est ma réaction à ce que je découvre moi-même dans ma propre société. Cela semble très naïf, mais j’ai été éduqué, comme beaucoup de gens, à croire que nos chaînes d’informations, et nos médias en général, disaient plus ou moins la vérité, que nos pays étaient plus ou moins les gentils.
Découvrir la vérité a été un choc. Ce fut aussi fascinant car cela m’a permis d’approfondir ma vision de la nature humaine et du monde en général. Une autre chose fascinante à propos de ce voyage : la littérature. Elle est pleine d’exemples allant dans ce sens. L’un des exemples les plus célèbres est celui de George Orwell dans son ouvrage 1984. Mais il y en a beaucoup d’autres. Le nom de l’album vient d’une rue près de chez moi qui s’appelle Orwell Court, à côté d’un hôpital où George Orwell s’était fait soigner après avoir contracté la tuberculose. Je passais près de cette rue presque tous les jours. Son nom était resté coincé dans ma tête. Il m’a semblé que c’était un bon titre d’album.
En 2005, tu es devenu le nouveau guitariste de Vashti Bunyan à l’occasion de son grand retour, trente-cinq ans après l’échec de son tout premier album studio : Just Another Diamond Day. Quels seraient les trois mots qui pourraient selon toi définir précisément votre relation sur scène et dans les coulisses ?
Gareth Dickson : Difficile pour moi de me limiter à trois mots pour révéler ce que je ressens. Nous tournons ensemble depuis plus de dix ans, j’aime beaucoup Vashti en tant que personne, musicalement aussi. J’ai passé beaucoup de temps avec elle, mais aussi avec son partenaire Al et leur famille. Notre relation fait justement écho à un lien familial, plus qu’à un partenariat professionnel. Nous sommes devenus amis car nous avons passé beaucoup de temps ensemble en tournées, bien plus parfois qu’avec nos proches respectifs. Forcément, ça resserre les liens.
Sur scène, c’est toujours intense, nous sommes tellement impliqués dans la musique ! C’est évidemment notre identité. Nous sommes très concentrés, durant chaque concert, sur notre performance. Le but ? Qu’elle rende vraiment justice à la musique et au travail que nous avons fait en répétant. Des aléas peuvent rendre les choses très difficiles. À l’opposé, ça peut être magique quand tout se passe bien. Le juste milieu est assez rare finalement.
« J’ai été éduqué, comme beaucoup de gens, à croire que nos chaînes d’informations, et nos médias en général, disaient plus ou moins la vérité. Que nos pays étaient plus ou moins les gentils. »
Vashti Bunyan a attendu trente-cinq années avant que son talent soit reconnu, avant de réapparaître. Aujourd’hui, elle est appelée “la maîtresse de la musique psyché folk”. Que penses-tu de la décision de Vashti Bunyan d’arrêter sa carrière musicale suite à l’échec commercial de son tout premier album ?
Gareth Dickson : Je pense que les choses sont très différentes aujourd’hui par rapport à l’époque. À l’heure actuelle, si tu n’as pas beaucoup de succès en tant que musicien, il existe toujours une autre voie à suivre : elle peut être extrêmement difficile, mais elle existe. Le matériel d’enregistrement à domicile est devenu relativement bon marché, plus besoin d’un label pour enregistrer un album. Il y a beaucoup de petits organisateurs qui produisent des concerts pour trouver des moyens de jouer en direct. Internet permet également de créer ta musique, de la diffuser à tous ceux susceptibles de l’écouter : plus besoin de radio pour partager ta musique avec le plus grand nombre. Tous ces moyens afin de poursuivre une carrière n’existaient pas il y a trente-cinq ans.
Dans les années 60, si les gens n’achetaient pas tes disques et que tu n’avais pas le soutien d’un label, tes options étaient très limitées. Cela étant dit, une grande partie de l’argent a disparu du monde de la musique d’aujourd’hui. Et cette facilité pour faire de la musique signifie aussi désormais que le marché est complètement saturé. On peut très vite se perdre dans un océan de musique. En parallèle, essayer de progresser sur la scène musicale d’aujourd’hui peut parfois sembler impossible. Mais pas tout à fait. C’est la difficulté à laquelle nous sommes confrontés maintenant. Vashti a pris sa décision en se basant sur les réalités d’un monde que je ne connais pas vraiment. Elle a continué à avoir une famille et une vraie vie, ce que je n’ai personnellement pas encore réussi à faire. En effet, le prix à payer pour survivre dans le climat actuel reste assez élevé.
Tu tournes actuellement en France, tu te produiras d’ailleurs ce vendredi 5 octobre au Festival Ellispe à Toulouse, ainsi que le lendemain dans la commune d’Arthez-de-Béarn au Pingouin Alternatif. Est-ce la tournée annonçant (enfin) la sortie d’un nouvel album d’ici les prochains mois ?
Gareth Dickson : J’espère que oui ! J’ai commencé à travailler sur un nouveau lot d’enregistrements comme je l’ai mentionné tout à l’heure. J’ignore le temps que cela prendra pour accéder à cette confiance qui me permettra de constater une progression suffisante depuis mon dernier travail qui puisse justifier de les libérer. Je cherche constamment à ne pas me répéter musicalement. Parfois, cela demande du temps d’aboutir à quelque chose de nouveau, que l’on ressent ainsi profondément.
Quoiqu’il en soit, je pense me diriger vers des morceaux moins «politiques» que ceux de mon dernier disque. Orwell Court a su capturer ma pensée à ce moment particulier. Elle est toujours présente et restera intacte, même si je me suis remis du choc de mes découvertes depuis. Je dois à présent trouver le moyen d’exprimer ce qui m’intéresse actuellement. La trame de mon prochain album sera sans doute plus personnelle à l’instar de mes premiers titres. Nous verrons bien.
Dernière question Gareth Dickson : peux-tu me citer un artiste que tu as récemment découvert et dont l’émotion t’a bouleversé ?
Gareth Dickson : L’une de mes découvertes les plus récentes qui me vient à l’esprit est Jake Xerxes Fussell. Je l’ai vu en concert dans une petite salle à Glasgow. Il chante surtout des chansons américaines traditionnelles. Il les fait à sa manière. J’ai acheté son disque au salon et je l’ai beaucoup écouté depuis. C’est un grand musicien qui mérite vraiment d’être connu.
Skriber vous fait gagner deux albums Orwell Court. Pour tenter votre chance, envoyez-vous votre nom, prénom, adresse e-mail, numéro de téléphone, en indiquant dans votre message le code “Gareth Dickson”, accompagné de votre adresse postale. Utilisez le formulaire de contact accessible sur le site. Vous avez jusqu’au 9 octobre minuit pour participer. Deux d’entre vous seront tirés au sort parmi tous les messages envoyés à la rédaction de Skriber. Chacun recevra un exemplaire physique de l’album : bonne chance à tous !
Gareth Dickson : site officiel | Photo : Kotryna Ula Kiliulyte (header)