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Ariel Ariel – Sa mélodie est une île, son île votre oasis

Ariel Ariel
Crédit photo : Miguel Ramos

Une âme à l’eau bercée par les vagues dansant entre la Martinique et la France : voilà l’image que je retiens d’Ariel à la suite de notre interview. Fondateur du collectif Ariel Ariel ayant sorti son premier EP Mwen Menti le 6 mai dernier, le jeune prodige tissant les sons de ses origines à ceux de cette ère fait preuve d’une humilité et d’un humanisme constants qu’il entretient attentivement pour conserver toute son ouverture au monde.

Entretien avec Ariel Tintar – Auteur/compositeur/multi-instrumentiste/interprète – Ariel Ariel

Bonjour Ariel, et merci d’avoir accepté cette interview. Tu es à l’origine de la création du collectif Ariel Ariel en 2014, création née de ton envie d’exprimer complètement ta personnalité, d’explorer tes origines culturelles, et de ta rencontre avec Blandine Millepied. Avant ça, tu avais fait partie du projet Tabloïd John, puis tu avais rejoint le groupe bordelais Pendentif à la guitare et au clavier. Tu es toujours membre de ce groupe dont le premier album intitulé Mafia Douce est sorti en septembre 2013 et dont le second opus est en cours de préparation. Tu as également intégré le projet de Blandine, Sahara. Comment as-tu trouvé les ressources suffisantes pour concilier ces différents projets musicaux et le travail d’introspection nécessaire pour la conception de ton premier EP Mwen Menti sorti le 6 mai dernier, sans tomber dans une schizophrénie dévorante ?

C’est une question que je me pose toujours à l’heure actuelle (rires). Je crois que je me la poserai encore longtemps. Je ne sais pas si j’ai réussi à concilier tout cela, je pense être encore en train de concilier en fait (rires). Pour tout te dire, j’ai même rejoint récemment un autre projet sur Bordeaux nommé Cliché, qui a sorti son second EP Carré Magique en avril dernier. J’ai la motivation, l’envie, le temps, et la souplesse qu’il faut pour passer d’un projet à l’autre sans trop me perdre. Jusqu’à présent, ça a toujours bien fonctionné même si cela a pu parfois être un peu compliqué au niveau de l’organisation. J’ai restreint mes activités au niveau de certains groupes, à l’instar de Pendentif pour lequel je ne compose plus. Je me borne à conseiller et à faire les arrangements de certains morceaux. Idem pour Cliché. Je m’investis pleinement dans Ariel Ariel et Sahara qui sont finalement devenus mes deux projets principaux.

De Ravel à Björk en passant par Radiohead et John Wizards, le panel de références que tu cites dans tes interviews est très large. En parallèle, Mwen Menti sonne comme une déclaration d’amour à la culture créole et à tes origines que tu avoues connaître peu, mais aussi à un son très empreint des standards britanniques de la pop et du rock. J’ai aussi pensé à Sébastien Tellier, Philippe Katerine et Polnareff à l’écoute de certains de tes textes. En quoi la formation de pianiste classique que tu reçus au Conservatoire de Bordeaux dès l’âge de huit ans, et tes origines au-delà des mers, ont-t-elles contribué à ta perspective artistique actuelle ?

Comme tu l’as dit, je suis un musicien issu d’une formation classique. Jusqu’à mes dix-sept, je n’écoutais presque rien en musique moderne même si je connaissais les grandes références comme Radiohead. Mais j’étais finalement inculte parce que très concentré sur la musique classique. Je me voyais concertiste, et tout le monde au Conservatoire me voyait également ainsi. La crise d’adolescence est passée par là : j’ai arrêté le piano du jour au lendemain et j’ai quitté le Conservatoire. Je n’ai plus fait de la musique pendant trois ans.

Comment expliques-tu cette crise d’ado avec le recul ?

Comme tous les ados, je ressentais des choses au fond de moi que j’avais du mal à exprimer.

Quelles étaient ces choses ?

Elles étaient principalement liées à ma famille. Mes parents n’avaient jamais été ensemble. Il y avait une grosse différence d’âge entre eux. Mon père étant très vieux, il décida à un moment donné de repartir à la Martinique pour y « finir sa vie ». Ma mère resta en France : c’est une personne très zen. Nous avons continué à vivre tous les deux. Mais moi, je me sentais séparé par toutes ces choses. Je n’avais plus vraiment l’envie, seulement celle de faire un peu n’importe quoi et d’expérimenter plein de choses. Notamment en musique, car c’est à cette période que je me mis à écouter de l’électro, de la pop, du rock, de l’alternatif, de la musique française, anglaise. À sortir et à aller voir mes premiers concerts…

Quel était ton premier concert ?

C’était…

Tout le monde se souvient de son premier concert…

La vérité, c’est que j’assistai à mon premier concert à dix ans avec ma mère (rires). Elle fut toujours fan de Zouk Machine !

Au moins, nous savons désormais que ce fut le premier vrai concert auquel tu assistas ! (rires)

(rires) Comme il se délecte ! Tu as l’air si content de toi ! (rires)

La vérité nue : c’est mon crédo (rires). Quoiqu’il en soit, Zouk Machine et leur titre Maldòn berça aussi mon enfance, et rappelle-toi, il resta classé plusieurs semaines dans le top 50 après sa sortie. C’est un titre qui me renvoie à plein de souvenirs…

Oui, moi également ! Et c’était vraiment l’objectif de ce premier EP Mwen Menti : rassembler toutes mes expériences vécues, tous ces souvenirs et toutes mes rencontres pour en faire ce disque. Même si je considère que j’en suis toujours aux prémices de mon exploration.

Ariel Ariel

Comme toi plante le décor du ton premier EP : une avancée conquérante qui enivre à la première écoute et cette pointe de nostalgie sentimentale qui accentue l’effet percutant du morceau. Comme toi tranche avec ton sentiment d’être apatride que tu évoques dans certaines de tes précédentes interviews. As-tu finalement accepté d’être multiple ?

Bonne question. Ce qui est sûr, c’est que je suis encore dans cette recherche. Ai-je accepté ? Ai-je compris ? Je ne le sais même pas. Je découvre mes facettes musicales et personnelles et les mêlant constamment de la manière la plus étroite possible. Comme toi est un titre que j’ai fait il y a longtemps. J’ai l’impression de ne plus vraiment y être, j’ai d’ailleurs beaucoup hésité à le mettre dans cet EP. Finalement, je ne regrette pas car je n’ai plus de doute sur sa présence dans Mwen Menti. J’ai aussi considéré le voyage dans un sens chronologique, avec l’ordre des chansons qui correspond aux instants où je les ai effectivement écrites. Et je suis heureux d’avoir commencé par ce titre-là.

Mwen menti est la chanson qui a donné son nom à ce premier EP. C’est aussi le récit d’un mensonge en rapport avec tes origines, ton quotidien. Peux-tu nous l’expliquer plus précisément ?

Il existe plusieurs lectures de ce titre très personnel. Je suis arrivé en France à l’âge de trois ans, dans un monde un peu nouveau. Pour moi, pour mes parents. On tombe dans un monde que l’on veut très vite adopter. Souvent, on se retrouve dans la situation de mentir pour faire semblant d’être comme les autres.

Mentir à qui ?

Par exemple, lorsque j’étais au collège. J’étais en classe aménagée musique. Or, la majorité des élèves qui étaient dans cette classe étaient issus de familles aisées. Ma famille était plutôt modeste. Je me demandais comment j’avais pu faire pour intégrer moi aussi cette classe. Et je mentais pour être à la hauteur des apparences, à celle de mes camarades, et pour survivre dans ce milieu. Je le faisais également pour mes parents, et par extension, pour tous les Créoles. D’ailleurs, en creusant mes origines quelques temps après, j’ai découvert que cette démarche était un peu inhérente au peuple créole, à sa culture mise sous les verrous parce qu’elle n’existe qu’à travers la culture française. Vivre pour les Européens, puis devoir plaire aux Européens à ton arrivée en France sous peine que personne ne s’intéresse à toi.

Penses-tu que cela ne concerne que ceux qui viennent d’îles, de pays aussi éloignés que peut l’être la Martinique ?

Les Antillais répondraient non à cette question. Mais c’est la vision profonde que j’en ai. Quand on considère une île comme la Martinique, dépendante d’un territoire comme la France si éloigné d’elle, cela en fait un peuple immobile que ne développe pas une réelle culture propre et qui est sans cesse dans le paraître faisait tout pour plaire au territoire dont elle dépend, en l’occurrence la France, à l’Europe. En tous les cas, c’est ce que j’ai compris à l’époque et c’est ce que j’ai essayé de transmettre, de par mon expérience et en lisant Aimé Césaire. Il faut essayer de trouver en soi une vérité et il nous faut, nous, Créoles, user de notre force intérieure, de notre passé pour y parvenir de façon créative, nous découvrir, et faire avancer l’art.

Dans Condition féminine, tu t’appuies sur le sample d’un morceau de Francis Bebey intitulé Condition masculine pour « ironiser sur la condition de la femme sans prendre position », déclaration que tu as faite dans l’une de tes précédentes interviews. Mais l’ironie n’est-elle pas déjà une prise de position ?

Complètement. Je suis un fervent défenseur des droits des femmes. Qui ne peut pas l’être de nos jours ? J’ai en effet écrit cette chanson à cause de celle de Francis Bebey. Condition masculine décrivait de façon ironique l’apparition de la condition féminine qui permit aux femmes de se défaire de l’emprise des hommes. Réalité qui est encore loin d’exister en Afrique. Ainsi, j’ai imaginé dans Condition féminine une « vérité » dans laquelle les femmes chercheraient naturellement à se faire dominer et à rencontrer toujours les mauvais hommes. Bien évidemment, il s’agit aussi d’un parallèle avec la culture créole car c’est comme si les femmes aux Antilles n’arrivaient jamais à tomber sur des mecs biens. Car aux Antilles, être un mec bien, c’est en fait avoir plusieurs femmes et les tromper en permanence. D’où l’ironie du sort de ces femmes.

Au-delà de ta condition d’artiste, ce premier EP a-t-il été le moyen pour toi de t’affirmer en tant qu’être humain à part entière ?

Mwen Menti m’a permis en effet de m’affirmer clairement sur plein de choses, de soulever des problématiques que j’ignorais auparavant. Il est toujours difficile de s’engager, surtout lorsque l’on chante en français. J’ai appris à synthétiser les éléments que je pioche à droite et à gauche. Et je suis heureux que tu aies évoqué le fond de ces éléments car cela signifie que j’ai réussi à susciter l’intérêt sur ces derniers, en les disant sans trop les dire.

Mon île nous enveloppe dans un nuage de vapeurs parfumées. C’est l’un de tes titres les plus réussis, celui qui m’a fait planer à très haute altitude. Ta voix est celle susurrée d’Alain Souchon sur un texte qui rappelle ceux coécrits avec Laurent Voulzy. Ariel, fils caché de ce duo de légende ?

C’est étrange ce que tu dis. Mon père était très fan de Laurent Voulzy, et j’ai été bercé par ces chansons d’une certaine manière. Quant à Souchon, j’ai découvert son travail récemment avec le projet Pendentif. J’ai pu creuser ses chansons plus en profondeur. Du coup, j’ignore si on peut me qualifier ainsi. Ces deux grands artistes m’ont sans aucun doute influencé. Surtout Laurent Voulzy lié à mon enfance tout comme Henri Salvador qui, pour le coup, avait dans son répertoire des chansons très enfantines, faussement naïves. Elles me plaisaient beaucoup.

Un grand merci à toi Ariel pour ce moment au cœur de toute ton intimité d’artiste et d’homme. On retrouve toute l’actu d’Ariel Ariel sur votre page Facebook©. Une très bonne continuation à vous tous !


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