Samedi dernier, à l’Ocean Climax à Bordeaux, Skriber a eu l’opportunité d’échanger avec Be Quiet à sa sortie de scène. Enfants du pays jouant à domicile, c’est dans leur loge à ciel ouvert que j’ai pu évoquer les débuts très prometteurs du groupe, défiant les normes de la réalité.
Bonjour Be Quiet, et merci d’avoir accepté cette interview, en direct du Festival Ocean Climax à Bordeaux. Vous venez juste de sortir de scène. Louis Whitechapel (guitare), Quentin Whitechapel (batterie), Pierre Graber (basse) : la création de votre groupe remonte à 2009 mais sa composition n’était pas la même que celle d’aujourd’hui. Parlez-moi de vos débuts.
Quentin Whitechapel : Salut Florian ! À la base, il y avait Ben et moi pour le chant et la batterie. On jouait avec un autre bassiste, un autre guitariste. Notre style de musique était bien différent, c’était du rock alternatif. Au fur et à mesure, on a voulu explorer autre chose et on a rencontré Louis, Pierre et Matei. Du coup, on s’est séparé de nos deux précédents acolytes, pour tomber sur la formation d’aujourd’hui. Elle existe depuis 4 ans.
Donc c’est vraiment une question de style musical, peut-être d’entente ?
Quentin Whitechapel : C’était une direction musicale que nous voulions prendre et que certains refusaient. Le changement s’est donc fait naturellement.
Ça valait le coup de faire un point sur ce sujet. Aujourd’hui, vous êtes cinq, et ce depuis 2013, date à laquelle est sorti votre premier EP Primal. Celui-ci a reçu de très bonnes critiques. Il vous a ouvert l’accès aux scènes françaises. Il est une quintessence du new wave et d’électro, avec une trame musicale rappelant celle de Radiohead, Bowie, The Cure. D’autres influences musicales vous ont-elles guidés dans la création de ce premier EP ?
Quentin Whitechapel : My Bloody Valentine, the Horrors.
Louis Whitechapel : Ce sont tous ces groupes des années 80, cette musique rock, alternative, qui nous ont vraiment guidés. Ce premier EP disposait d’une direction vraiment affirmée. On avait envie de poursuivre dans ce style-là et de le mener jusqu’à ses limites pendant plusieurs années. C’était une première pierre à l’édifice, le nôtre. Nous souhaitions voir ce que ça allait donner dans le futur pour nos morceaux suivants. C’est pour cette raison que l’on ressent énormément les influences que vous avez évoquées Quentin et toi sur ce premier enregistrement.
Le but de la création, c’est de réinventer les choses. Comment avez-vous fait pour vous distinguer des autres groupes émergents, à l’instar de Griefjoy ?
Louis Whitechapel : Le challenge réside justement là. Un groupe jeune et nouveau comme le nôtre doit d’abord gagner en maturité. En parallèle, il doit se dégager de ces artistes fétiches qu’on a cités tout à l’heure, car c’est en effet assez naturel de vouloir singer les sonorités des groupes qu’on écoute en boucle. Petit à petit, grâce à l’expérience, on tente de développer nos propres sons, de les transcender. Certains aspects demeurent difficiles à maîtriser. Le plus dur est de se détacher de nos influences, tout en s’en inspirant.
Vous envoyez sur scène, j’étais là pour le vivre avec le public tout à l’heure juste avant cette interview. Du coup, je m’interroge : pourquoi Be Quiet ?
Quentin Whitechapel : Benjamin, le chanteur de notre groupe, est parti pendant deux ans en Angleterre. Il en est revenu avec une très bonne pratique de l’anglais. À son retour, nous avions voulu faire un test de synthé avant d’intégrer Matei. C’est là que notre manager – qui s’appelle aussi Benjamin – a commencé à chanter durant les essais. Il chantait bien trop fort et surtout très faux. Du coup, l’autre Benjamin lui a sorti tout naturellement : « Be quiet ! » (tais-toi !). Nous nous sommes tous arrêtés de jouer, car nous savions que nous avions enfin trouvé notre nom de scène. C’était en plus un véritable contrepied par rapport au punch de notre musique. Nous adorons notre nom et le souvenir de groupe qui y est attaché. On n’a pas cherché à coller à une identité imposée ou à trouver un nom qui veuille forcément dire quelque chose. Be quiet, c’est cru et incisif.
Au moment de composer et d’écrire un nouveau morceau, comment se passe le processus créatif au sein de votre groupe ? Qui fait quoi ?
Louis Whitechapel : Il y a plusieurs manières de composer, ça dépend du morceau. En général, sur la base d’une idée, je fais une maquette sur ordinateur. Un squelette électronique en fait. Nous l’écoutons en studio, et nous décidons ensemble de creuser l’idée ou pas. Le cas échéant, nous ajoutons les grattes, la batterie, le chant. Puis ce sont nos désirs respectifs qui finalisent le morceau.
Un petit mot maintenant sur Whitechapel, ton nom Louis, ainsi que celui de Quentin. Vu le peu de ressemblances physiques, j’imagine que cela n’a rien à voir avec un lien familial quelconque…
Quentin Whitechapel : Des frères de sang non, de cœur oui !
Louis Whitechapel : Quentin était trop éloigné de notre lycée pour faire les allers-retours tous les jours. Du coup, il vivait chez moi la semaine. Nous étions en permanence fourrés ensemble. Un soir, en écoutant Screaming Lord Sutch, nous sommes tombés sur l’un de ses morceaux phares, Jack the ripper (Jack l’éventreur). Il se trouve que Whitechapel est le quartier de Jack the ripper. Et comme The Horrors, un autre groupe qu’on adore, avait fait une reprise de ce même titre de Scream Lord Sutch, nous avons décidé de prendre le même nom de scène : Whitechapel.
« Quand on est en concert et qu’on voit les mêmes têtes, on se dit que c’est vraiment incroyable. Les gens qui font le déplacement, c’est toujours un réel plaisir de les voir et de partager notre envie et notre rêve avec eux. Grâce à eux. »
L’un des morceaux sur ce premier EP Primal, intitulé Trees for seas, a des échos très marqués à Bowie et Radiohead. Qui plus est, il y a cette volonté de raconter une histoire à la manière de ces idoles que vous avez écoutées dans votre jeunesse. Un début, un milieu, une fin…
Quentin Whitechapel : Exactement. On a voulu sur ce morceau, et sur cet EP, avoir une vue d’ensemble, s’accaparer les grandes lignes des compositions de ses grands artistes que tu cites. Ça nous a permis de nous faire la main, et de voir comment ça se passait. Par la suite, on a pu développer quelque chose de plus précis notamment concernant nos idées. La plus importante de toutes était de raconter notre histoire dans le même esprit que nos modèles, parce que c’était évident pour nous. Avec cette nouveauté que nous pouvions proposer.
Suite à la sortie de ce premier EP, vous multipliez les scènes, au Bus Palladium à Paris, à Rennes, à Bordeaux bien sûr. J’aimerais que vous me citiez à tour de rôle un souvenir de scène, de concert qui vous a marqué plus particulièrement.
Louis Whitechapel : Pour moi, ce sera Le Grand Souk à Ribérac. Assez drôle comme histoire, on venait de commencer le set. La météo était menaçante. C’est là que nous décidons de jouer pour la première fois un morceau intitulé Flood. À ce moment précis, il y a eu une tempête de ouf, un truc démentiel ! C’était assez intense comme sensation, il y avait la sono qui tournait, les gens trempés, des grêlons : c’était vraiment impressionnant de voir ça ! C’était surtout hallucinant de voir se matérialiser ce qui se passait dans nos têtes alors que l’on jouait ce titre et pas un autre.
Une sorte d’invocation des Dieux ?
Louis Whitechapel : C’est ça oui ! (rires)
Quentin Whitechapel : Pour ma part, ce fut sans hésitation Beauregard dans le Calvados, l’année dernière. Tout simplement parce que nous partagions la scène avec Portishead. Il n’y a pas d’autre explication.
Et vous les avez rencontrés ?
Quentin Whitechapel : Non, on avait trop peur ! On franchit pas leur palier comme ça, on ne peut pas : trop de respect ! Plus tard peut être, j’espère.
Pierre Graber : Moi, c’était aux Halles de Douarnenez dans le Finistère en 2012. C’était le premier concert loin de chez nous. On avait fait huit heures en camion, le premier souvenir de voyage avec le groupe. ! Un gros concert avec un accueil de dingue là-bas, ils étaient trop cools, ça m’avait marqué.
Sortie de votre second EP l’année dernière, intitulé Affliction. Aucun point de repère par rapport au premier jet, le synthé prend corps, impose son style, un rythme symétriquement opposé à Primal. On est dans quelque chose qui parait vraiment différent et en même temps, il y a une certaine forme de continuité, notamment grâce au titre Zelda. Est-il devenu votre titre signature ?
Quentin Whitechapel : Pendant un temps, il l’était. On clôturait à chaque fois notre set avec ce titre. C’était un morceau qui était vraiment fort, mais on a bien évolué entre le premier et le second EP. On essaye de garder une ligne de rock avec de bonnes guitares en évoluant.
Louis Whitechapel : Zelda nous a permis de repositionner les choses, pour renforcer la patte électronique et synthé massif d’Affliction. Nous souhaitions définitivement assumer ce nouveau tournant, tout en gardant cette trame rock qui fait partie de nos gènes.
Qui est Zelda ?
Louis Whitechapel : C’est la personne qui m’a influencé pour écrire cette chanson. Mais je préfère conserver son anonymat.
Pour financer la production de vos premiers vinyles et CDs de cet EP, vous vous êtes appuyés sur le crowdfunding. 62 particuliers fans ont apporté l’argent suffisant pour produire vos supports, en 40 jours. Comment gérez-vous l’engouement des fans ? Quel est, selon vous, le profil type du fan de Be Quiet ?
Louis Whitechapel : Réponse un peu classique mais le but pour nous est de ne pas viser un public en particulier. Nous sommes extrêmement fier de nos fans, une fierté d’autant plus énorme que nos moyens sont encore limités. Quand on est en concert et qu’on voit les mêmes têtes, on se dit que c’est vraiment incroyable. Les gens qui font le déplacement, c’est toujours un réel plaisir de les voir et de partager notre envie et notre rêve avec eux. Grâce à eux.
Internet, les réseaux sociaux, le crowdfunding, ça rend bien plus palpable votre public ?
Louis Whitechapel : C’est une arme massive pour nous, pour les jeunes groupes de notre trempe qui sont en devenir ! Aujourd’hui, le bouche à oreille ne suffit plus, on se développe grâce au net et aux réseaux, c’est une question de stratégie. C’est comme ça qu’on gère nos fans, notre visibilité, c’est comme ça qu’on peut véhiculer nos chansons plus vite. Quant au crowdfunding, c’était un rêve de concrétiser un enregistrement, d’avoir un objet, pouvoir le donner à la fin d’un concert ou en voiture. Nous sommes des amoureux éternels du vinyle. D’avoir le nôtre, c’était très gratifiant. Tout autant que de vivre cette aventure via le crowdfunding.
En juin dernier, vous avez sorti votre nouveau single Ichor : c’est quoi ce délire avec ce pack de lait ?
Louis Whitechapel : Dans la mythologie grecque, l’ichor est le sang des Dieux. Par ironie et cynisme, nous avons voulu réduire ce terme à une vulgarisation marchande, ramener ce truc hyper divin à l’état de brique de lait pour que tout le monde s’en arrose, de la tête aux pieds ! C’est aussi un moyen pour nous de valoriser avant tout le plaisir.
Ce single annonce t’il la sortie de votre prochain EP ?
Louis Whitechapel : Oui ! Soyons dingues : on peut d’ores et déjà t’annoncer sa sortie le 9 octobre prochain. Il comportera sept titres.