En février dernier sortait le nouvel album de Dewolff intitulé Roux-ga-roux. Guitare, batterie, basse, orgue Hammond, et bien d’autres : les instruments sont devenus les outils d’une expression émotionnelle réinventée à chaque opus, axée sur une volonté revendiquée de tout risquer pour cette passion dévorante commune aux trois membres du groupe : celle de la musique dans tous ses états. Rien de blasé dans les compositions de Dewolff. Seulement cette envie d’effacer l’artifice et de communier à cœur ouvert avec le public.
Entretien avec Robin Piso (orgue Hammond) & Pablo Van de Poel (auteur, compositeur, interprète) – Dewolff
Bonjour Robin et merci d’avoir accepté cette interview. Depuis 2007, tu fais partie du groupe néerlandais Dewolff fondé avec les deux frères Van de Poel, Pablo et Luka. Cette année, Dewolff a sorti son sixième album intitulé Roux-ga-roux en parallèle d’une tournée en Europe et en France, notamment à Lille, Paris et Nantes. Comment expliques-tu cet engouement persistant pour le rock des années 70 en 2016 ?
J’en suis le premier surpris. Nous aimons énormément le rock des années 60 et 70, nous baignons dedans en fait. Ce rock a toujours été là, il n’a jamais vraiment quitté le public. The Black Crows, l’un de ces groupes très influencés par le rock de ces années-là, jouait encore l’année dernière, et ce, depuis sa création en 1989 ! Ce fut un très grand groupe dont la musique venait du cœur. Et je crois que c’est la raison principale qui explique l’espérance de vie du rock de cette époque-là. Pas d’ordinateur ni de DJ : ce rock-là est fait par de vrais musiciens avec de vrais instruments, et il vient du cœur. Je pense que les gens sont très sensibles à ça.
Penses-tu qu’il existe aussi des raisons culturelles ?
Oui bien sûr. Chaque pays dispose d’affinités avec certains genres plutôt qu’avec d’autres. Par exemple, les gens aux Pays-Bas sont très fans de pop folk. C’est également le cas en Allemagne. Personnellement, ce genre-là ne m’attire pas beaucoup…
Certains artistes folk me plaisent beaucoup personnellement car leurs textes sont vraiment bien écrits et puissants…
Je partage ton avis. Mais tu n’as pas encore écouté les groupes folks hollandais ! (rires) Prends juste le temps de découvrir Nick and Simon : c’est si commercial ! Je respecte cette musique car je respecte avant tout son public, mais ça ne me parle pas du tout. Leurs morceaux sont formatés avec une durée bien précise et toujours la même, des refrains accrocheurs et entêtants sur lesquels tu finis par chanter avec eux. Même si les chanteurs ont une bonne voix, tout ce qu’il y a autour est trop facile. À la radio néerlandaise, on entend également beaucoup de musique électro, dance. Pour moi, ce n’est pas du tout la même perspective que ces groupes qui s’entraînent tous les jours, qui sont composés de vrais musiciens, qui livrent leur vie dans leur musique et sur scène.
Quelle est la différence de Dewolff, ce truc en plus qu’il réussit à mêler à ce rock des années 70 si particulier ?
Cela va faire dix ans l’année prochaine que Pablo, Luka et moi composons et jouons ensemble. Nous vivons tous les trois pour la musique. Nous nous imprégnons de tous les genres musicaux, même ceux auxquels nous ne nous identifions pas. Nous avons gardé toute notre curiosité et notre envie d’explorer. La chose que nous ne ferons d’ailleurs jamais est de limiter notre musique à un genre en particulier car nous faisons avant tout la musique qui nous plait. Nous aimons nos instruments et nous jouons de ces instruments dans cet élan. Nous préservons notre volonté d’évoluer en permanence. Elle nous guide et nous fait ressentir des choses vraiment spéciales sur scène. Enfin, nous sommes passionnés par ce que nous faisons. Et je crois que tu ne peux que réussir lorsque tu es passionné par quelque chose et que tu y crois. S’entraîner, explorer et évoluer : voilà le secret de notre truc en plus.
Une volonté constante de vous réinventer en fait ?
Oui exactement. Et du plaisir surtout ! Le public ressent cette démarche lorsqu’il est en face de nous en concert. Un trop grand nombre d’artistes, qu’ils écrivent, composent, jouent d’un instrument, restent sur leurs acquis. En parallèle, beaucoup de groupes se limitent à faire de la musique une ou deux fois par mois parce que leurs membres ont un travail alimentaire prioritaire sur la musique et leurs répétitions. Ils font passer tout ce qui compose leur vie avant la musique. Pourtant, c’est en se dédiant totalement à sa passion qu’on réussit à en faire sa vie.
Quand et comment as-tu rencontré Pablo et Luka ?
Il y a longtemps ! (rires) C’était il y a treize ans. J’ai commencé à jouer de la basse dans un groupe qui s’était formé dans la ville où j’habitais. Il y avait une chorale d’une vingtaine d’enfants également. Pablo était déjà dans ce groupe, c’est donc lui que je rencontrai en premier. Nous sommes devenus amis, puis il m’a présenté Luka. Ensuite, leurs parents ont construit un garage derrière leur maison. Nous avons commencé à répéter tous les trois, je me souviens très bien de ces premières répétitions ! Nous nous amusions beaucoup, et nous sentions que le courant passait bien entre nous. Le rendu était vraiment sympa, c’est pourquoi nous avons continué à répéter. Nous avons commencé à composer nos premiers titres, puis à nous produire dans des bars. Jusqu’à ce que nous signions avec un label.
Quel est LE moment qui t’a décidé à travailler avec Pablo et Luka ?
Pablo avait toujours voulu monter un groupe avec son frère, ils cherchaient d’autres musiciens pour le former. Il y avait ce groupe hollandais, Green Hornet, qui existe toujours d’ailleurs, et qui était composé de trois membres seulement : un guitariste, un batteur et un pianiste. Ils avaient trouvé cette configuration très intéressante. Elle permettrait de partir sur les routes plus facilement que si le groupe comptait cinq ou six membres. C’est pour cette raison qu’ils m’ont évoqué leur projet. Et j’ai trouvé à mon tour que cette perspective était vraiment cool. Sans parler de nos affinités musicales, nos caractères qui se complétaient vraiment bien. Je leur ai donc répondu : pourquoi pas ?
Dewolff a plusieurs influences dont certaines sont facilement reconnaissables sur Roux-ga-roux : Deep Purple, Led Zeppelin, The Rolling Stones entre autres. S’il n’y avait qu’une seule chanson qui puisse expliquer votre perspective musicale, quelle serait-elle ?
The Fan, par le groupe Little Feat. Il s’agit d’un groupe américain formé à la fin des années 60. Je te conseille d’écouter ce titre sur l’album enregistré en live qui s’appelle Electrif Lycanthrope. Little Feat a composé des chansons vraiment groovy et sexy mais très compliquées à jouer ! The Fan n’échappe pas à cette règle, mais au final, le morceau te donne le frisson et démontre une réelle maîtrise instrumentale. L’impact des émotions qu’il procure est terrible !
La voix de Pablo me fait penser à un mélange de celle de Steven Tyler d’Aerosmith et de celle de Robert Plant de Led Zeppelin. Que t’évoquent ces deux références ?
Quel compliment ! Ce sont deux très grands chanteurs. J’ai une préférence pour Robert Plant. Pablo a pris le temps avant de trouver sa propre voix. Le déclic pour lui s’est produit lors de sa première écoute de Leon Russell. La voix de ce pianiste-interprète est juste énorme. Elle rappelle celles des chanteurs de blues de la Nouvelle-Orléans. De nos jours, beaucoup de chanteurs ne font que chanter sans se demander comment ils le doivent ni quelle sera leur voix. C’est impossible de fonctionner ainsi car tout le monde n’a pas les capacités vocales d’un Robert Plant. Comme il est vrai que Robert Plant n’aurait pas pu devenir chanteur d’opéra avec son organe. La voix révèle un corps et l’identité de l’interprète, celle de son groupe.
Focus maintenant sur deux titres de Roux-ga-roux que j’ai plus particulièrement appréciés. Le premier est Sugar Moon. Quel est le message de cette chanson ?
Pour chacun de nos titres, nous débutons d’abord par la composition musicale. Puis vient l’écriture des paroles. Le mieux placé pour te répondre serait Pablo puisqu’il en est l’auteur. Et ça tombe bien puisqu’il est en enregistrement aujourd’hui, juste à côté. Je te l’appelle.
Super, merci !
Pablo : Salut là-dedans, ici Pablo !
Salut Pablo, merci de prendre quelques minutes pour répondre à nos questions en rapport avec les paroles des chansons de Dewolff ! Quel est le message dans Sugar Moon et la nature de la relation entre cet homme et cette femme ?
Pablo : Cette femme est le diable ! Elle traite très mal le protagoniste malgré qu’elle soit très dépendante de lui. Elle a un comportement très erratique, mais au final, c’est comme si elle avait besoin de trouver son véritable chez-elle. Ce que supposent les paroles : « But the Sugar Moon is gonna drive you home ». Autrement dit, elle lui fait subir toutes ces choses, mais qui l’accueillera chez lui à la fin de la nuit ? Et c’est justement lui, le protagoniste de cette histoire.
Es-tu ce protagoniste Pablo ?
Pablo : J’ai écrit ce texte à la suite d’une grosse dispute avec ma femme. Mais il ne s’agit pas d’une chanson autobiographique ni super réaliste. Et les femmes ne sont pas des démons pour moi, bien au contraire : ce sont les plus belles créatures que cette terre n’ait jamais porté ! Même si elles peuvent parfois être un peu irrationnelles émotionnellement. Elles prennent aussi un peu leur temps dans des situations qui nécessiteraient qu’elles réagissent plus spontanément. Chez la plupart des hommes, c’est le contraire : certains devraient sans doute plus réfléchir avant d’agir. Tu vois ce que je veux dire ?
Oui, je comprends. Le second morceau est intitulé Tired of loving you. C’est un titre instrumental diffusant une belle magie et dédié à l’évasion. Est-ce le type de morceau que Dewolff va réitérer sur de prochains albums ?
Pablo : Cela pourrait être le cas en effet. Tired of loving you est une chanson au blues très franc. L’une des plus simples aussi à composer pour nous dans Roux-ga-roux car c’est l’exercice pour lequel nous sommes faits depuis toujours : jouer de nos instruments et initier grâce à eux une émotion organique qui n’a pas besoin de mots pour être ressentie. Bien sûr, les paroles sont importantes dans une chanson. Mais parfois, elles sont aussi une solution de facilité qui suggère de réfléchir, de modifier les pensées que l’on souhaite traduire ensuite en musique. Tired of loving you révèle Dewolff dans sa composition la plus pure. J’ignore quelle forme prendront les titres de notre prochain album, mais une chose est sûre, c’est qu’il y aura plus de titres de cet acabit avec seulement nos instruments et nous.
As-tu l’habitude de dormir avec ton instrument ? (rires)
Pablo : Par le passé oui. Mais plus aujourd’hui, ma femme n’aimerait pas ça ! (rires)
Merci encore Pablo pour ces réponses, et bon enregistrement. J’ai une dernière question à poser à Robin s’il est encore dispo.
Pablo : Avec plaisir, merci à toi aussi. Robin, reviens !
(rires) Alors que revoici Robin…
Robin : Me revoilà, tout s’est bien passé avec Pablo ?
Oui, très bien ! J’ai une dernière question pour toi Robin. J’ai vu sur la page Facebook© de Dewolff que votre agenda concerts était rempli jusqu’à la fin du mois de janvier 2017 en Europe. Cela témoigne de votre irrésistible ascension. Le groupe a-t-il prévu de conquérir un autre continent, les États-Unis par exemple ?
Bien sûr, c’est notre rêve ! La plupart des artistes et des groupes que nous avons toujours écoutés Pablo, Luka et moi, sont originaires des États-Unis. De plus, nous avons déjà goûté à une expérience incroyable là-bas avec notre précédent album, Grand Southern Electric, puisque nous l’avions justement enregistré aux États-Unis. Nos tournées actuelles en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, et bientôt en Angleterre, nous aident à préparer ce projet de nous produire là-bas aussi. Car on ne peut pas se lancer dans une tournée américaine sans expérience, sans réfléchir ni planifier les différentes étapes en amont, sans constituer une équipe efficace. Sans doute réunirons-nous tous ces éléments d’ici fin 2017 ou 2018. À ce moment-là, nous réaliserons notre rêve !
Et pour finir, l’un de tes souvenirs les plus marquants en tournée ?
Lors de notre dernière tournée en Espagne, lorsque nous avions acheté des BB guns pour nous amuser un peu après nos concerts (rires). Ils ressemblent à de vrais Colt 45 et projettent des balles en plastique qui peuvent te crever un œil si tu vises mal ! Aux Pays-Bas, ils sont interdits mais en Espagne, tu les trouves entre les poupées et les Pokémons© dans n’importe quel magasin de jouet. Les balles en plastique laissaient des bleus énormes sur la peau, mais ils nous ont bien divertis !
Sans doute le BB gun sera le sujet de l’une de vos prochaines chansons (rires). Encore un grand merci Robin pour cet échange. On retrouve tout l’actualité de Dewolff sur son site officiel ainsi que l’ensemble de vos futures dates. À très bientôt !