Il y a quelques semaines, Skriber a eu l’occasion d’échanger avec Laurent Lamarca. Il était alors dans les derniers préparatifs de son nouvel EP Borderlune #2. Sorti de l’ombre en 2012 avec un premier single intitulé Little Rimbaud, l’artiste use d’un français romantique portant toute son envie poétique. Quant à l’homme, il dépasse ses craintes au profit de son message et d’un lien pérenne avec l’autre.
Bonjour Laurent et merci d’avoir accepté cette interview. Depuis 2010, tu traces ta route dans un décor musical à la française en mixant les genres pour les faire plier à ta seule identité. En 2011, tu te fais ainsi remarquer au Francofolies de La Rochelle. Tu es lauréat du FAIR en 2012, ce qui te permet un an plus tard de sortir ton premier album Nouvelle Fraîche, ponctué de singles tels que J’ai laissé derrière moi et Taxi salués par les médias et la critique. En octobre 2015, tu es revenu sur le devant de la scène avec un nouvel EP intitulé Borderlune, résolument tourné vers une exploration inédite et intuitive des mots. Le titre Le Vol des Cygnes est la chanson phare de cet EP annonciateur d’un second, Borderlune #2, sorti le 26 mai dernier, ainsi que d’un second album à paraître après l’été. Comment appréhendes-tu la sortie de ce nouvel opus ?
Laurent Lamarca : Je suis déjà plutôt content de sortir ce second EP ainsi que ce deuxième album. Je me suis en effet interrogé sur mon envie de les faire. Et c’est ma volonté de raconter une histoire particulière qui m’a convaincu. Ainsi, alors que Nouvelle fraîche était une compilation de mes titres écrits et composés entre 2010 et 2013, j’ai pris le temps de penser mon second album du premier au dernier morceau, de penser son chemin. Du coup, j’ignore comment il sera reçu. En tous les cas, il reflète bien la façon dont je vois la vie. Il délivre un message.
Au-delà de ta volonté de raconter une histoire particulière, existe-t-il d’autres éléments qui t’ont convaincu de faire ce second EP et ce second album ?
Laurent Lamarca : Lorsque je suis arrivé sur Paris il y a sept ans, mon premier projet était de jouer de la guitare et de composer pour les autres. J’avais décidé d’arrêter de chanter mes propres chansons à la suite de plusieurs expériences dans des groupes, loin d’être concluantes. Mais mon passé m’a rattrapé. En faisant écouter mon travail pour les autres, on m’encourageait à me lancer en mon nom seul. En 2010, un tourneur puis un éditeur m’ont rejoint. Puis un label, puis les Franco : c’était électrisant ! Tout ceci explique les questions que je me suis posées pour ce second EP et ce second album, dont une majeure : quel est l’élément qui fait de moi un chanteur à part entière ? Ces nouvelles pages de ma vie d’artiste m’ont conforté : je me sens vraiment à ma place. J’aime le partage, les autres. J’ai bâti mon identité autour de la tolérance et de la simplicité, l’optimisme sans naïveté. Ça me tenait à cœur de le mettre en musique. Je ne suis pas en quête de gloire, c’est avant tout ma passion pour la musique qui prime sur tout le reste, comme lorsque j’ai écrit un morceau pour les Fréro Delavega. J’ai un devoir : celui de me faire plaisir pour le transmettre ensuite au public.
On sent une volonté à peine voilée de retourner aux sources dans les deux EP Borderlune et Borderlune #2 : me trompe-je ?
Laurent Lamarca : C’est complètement ça ! Qui suis-je ? Quel est le monde autour de moi ? Quel est celui que j’aimerais connaître ? Je reviens sur ces questions, les prémices de ma musique et de ma passion, l’héritage de mes parents… J’ai grandi autour du rock et de la musique folk. Leonard Cohen, Bob Dylan, Neil Young, les Stones aussi : dans l’EP Borderlune, il y a cette volonté de créer un son moderne autour de tous ceux qui ont pu m’influencer, les leurs en particulier.
Quels sont les évènements qui t’ont conféré cette nouvelle maturité ? Y’a-t-il un lien avec le fait d’être devenu papa ?
Laurent Lamarca : Oui bien sûr ! Parce qu’il y a eu une rupture lorsque je suis devenu père. Parce que je me suis rendu compte que j’allais mourir un jour. En fait, quand tu as un enfant, tu lui donnes la vie, mais tu te donnes aussi la mort. Les questions en rapport avec l’existence se bousculent. Il y a aussi cet aspect lié au fait de transmettre quelque chose. Par conséquent, je profite de la vie autrement aujourd’hui, comme si chaque jour était mon dernier. Pour la vivre à fond, tout simplement. J’ai plus de facilité qu’avant à assumer mes choix, mes préférences. Je suis droit dans mes bottes sans perdre de vue mes valeurs. C’est sans doute pour ça que les deux EP Borderlune me ressemblent autant. Je suis très heureux de les faire écouter et je suis très à l’aise avec. J’ai vraiment franchi un cap en fait, tant dans ma vie personnelle avec la naissance de Lino il y a trois ans, que dans ma vie artistique avec Borderlune.
Le Vol des Cygnes est un tube. Un savant mélange de The Lumineers pour le rythme et l’atmosphère du titre et de Jean-Louis Aubert à la grande époque de Téléphone pour la voix. Un remix de cette même chanson clôture ton second EP Borderlune #2. Qu’en est-il des textes ? Hélène Pince est-elle intervenue dans leur écriture ?
Laurent Lamarca : Nous avons coécrit Hélène et moi le Vol des Cygnes. Nous travaillons ensemble depuis un certain temps maintenant. Nous fonctionnons de façon assez marrante en fait. Elle a l’habitude de m’envoyer de longs textes avec plein d’idées qui partent dans tous les sens et qui bizarrement répondent à des évènements que je vis à ce moment-là. C’est une profonde connexion entre elle et moi. J’imprime ces textes puis j’aligne les pages sur le sol. Je souligne des mots, j’entoure des phrases fortes. Souvent, le refrain s’y trouve. Puis je poursuis sa démarche, j’écris puis je mets en forme. La moitié des textes sur les deux EP Borderlune ainsi que sur le prochain album est écrite ainsi. Pour l’anecdote, nous nous sommes disputés Hélène et moi en commençant à bosser sur le texte du Vol des Cygnes. Elle m’a envoyé un mail que j’ai retravaillé en prenant l’inverse du sens de ses écrits. À la fin de nos habituels allers-retours, la chanson était née. J’ai connu Hélène en 2010 grâce à Jan Ghazi qui était à l’époque directeur artistique chez Jive Epic. Je commençais alors à écrire des chansons pour moi sans savoir si j’allais les chanter un jour.
Dans l’une de tes précédentes interviews, tu évoquais le fait que tu « aimes prendre le rôle de la personne qui a vécu l’histoire. » Comment dépasses-tu cet état de fait avec des chansons écrites et composées pour toi par d’autres ?
Laurent Lamarca : Pour te répondre, je vais m’appuyer sur mon titre Tombe la pluie disponible sur le premier EP Borderlune. Cette chanson a été écrite par Thomas Février que j’avais rencontré à Astaffort au centre des écritures de la chanson créé sur la base de l’association Voix du Sud et Francis Cabrel. J’y serai d’ailleurs en concert début juillet. Tout ça pour dire que j’ai passé quatre jours intenses là-bas car nous avions peu de temps pour écrire un maximum de chansons. Durant la dernière journée, je me suis retrouvé avec le texte de Tombe la pluie entre les mains. Dix minutes avant la restitution, je prends ma guitare pour commencer à le chanter. Je compose une musique sans me prendre la tête. Et ça fonctionnait bien ! En fait, au-delà de l’interprétation de textes qui me parlent parce qu’ils résonnent directement avec ma vie et les gens que j’ai rencontrés et/ou avec lesquels j’ai vécus, il y a ce hasard aussi à considérer. Il me permet de m’accaparer complètement l’existence des protagonistes.
« L’artiste doit raconter le monde. Pourtant, il est souvent mis de côté. Je me confronte à toutes les réalités, elles sont mes repères. Je les vis »
Tombe la pluie est une berceuse qui glorifie la solitude, la contemplation. Le « sourire encore enfant » évoqué dans cette chanson est-il aussi le tien Laurent ?
Laurent Lamarca : Totalement. Même si Thomas n’a pas écrit cette chanson pour moi au départ, je me suis reconnu dans ses paroles par l’insouciance et l’émotion qu’elles suggèrent. Je suis quelqu’un de très solitaire et de très romantique aussi, ce qui peut parfois prêter à confusion par le décalage que cela crée entre l’image que je renvoie et celui que je suis au fond. C’est finalement le cas pour beaucoup de gens.
Tu as déjà collaboré avec de nombreux artistes (Camélia Jordana, Renan Luce, Joyce Jonathan). Tu as fait les premières parties de nombreux autres en live (La Grande Sophie, Tryo, Cali). Si tu devais n’en citer qu’un, quel serait le souvenir de collaboration qui t’a le plus marqué ? Pourquoi ?
Laurent Lamarca : Ma collaboration avec les Fréro Delavega m’a beaucoup marqué. Alors que j’envoie d’habitude mes chansons à un éditeur, le lien avec les Fréro a été beaucoup plus direct. Ce sont eux qui sont venus vers moi. J’aimais déjà beaucoup leur identité, leur vision. Ils sont venus dans ma modeste cabine d’enregistrement à Saint-Ouen, nous avons refait le monde pendant toute une journée ! Le résultat de ces échanges est la chanson Le cœur éléphant qui fait partie de leur second album Des ombres et des lumières.
J’ai cru comprendre que ton prochain album s’inscrirait également dans cette dynamique collaborative. Tu y vois une possibilité « de créer différemment et en prise directe avec le public et plein d’artistes. » Que signifie créer différemment pour toi ?
Laurent Lamarca : Mon second album s’inscrit dans une perspective « classique ». Je l’ai écrit avec Hélène et arrangé avec des copains. Mais je suis profondément convaincu que l’artiste de l’avenir saura impliquer le public directement dans le processus de création. À travers tous les moyens de communication qui existent aujourd’hui, il est bien plus facile de faire faire de la matière artistique par les gens. Je trouve ça super beau, même si ça peut parfois être compliqué d’articuler tous les éléments et leur sens. Pour le clip du Vol des Cygnes, cent personnes ont peint l’oiseau en bois ! J’aimerais aller plus loin dans un prochain clip, voire même dans le cadre de la création et des arrangements d’un nouveau morceau. Sur mon Facebook, j’ai déjà lancé des chansons collectives pour lesquelles les gens proposent leurs idées sur la base d’un thème que je leur soumets. J’ai fait deux chansons éphémères de cette manière que j’ai ensuite diffusées un certain temps sur les réseaux. Ça ouvre un maximum de perspectives, les miennes aussi car il y a de nombreux thèmes que je n’aurais pas eu l’idée de concevoir sans cette méthode.
Il paraît que tu triais les fruits et légumes dans les grandes surfaces. Il paraît même que tu répondais au téléphone aux gens qui ne savaient pas se servir d’un ordinateur.
Laurent Lamarca : Tu t’es bien renseigné ! (rires)
Ça, c’était avant. Avant de quitter Lyon et ton groupe de l’époque pour rejoindre Paris et tenter ta chance. Quel est ce moment déterminant, ce déclic, qui te fait passer de l’autre côté ?
Laurent Lamarca : La fin de mon groupe y est pour beaucoup. Il avait changé de nom, évolué, mais il avait été le même pendant dix ans. Le jour où nous avons pris la décision d’arrêter a été l’un des pires de ma vie. Par la suite, j’ai eu une période compliquée. Mais à l’origine DU déclic, il y a une rencontre, celle avec mon manager Fabrice Martinez. Je l’avais rencontré sur Lyon. Il était parti un an avant moi à Paris. Il m’a proposé de le rejoindre. Pendant près de trois ans, nous ne nous sommes plus quittés. Je participais à tous ses projets : Fabrice est quelqu’un de talentueux. Nous nous sommes beaucoup appris l’un l’autre. Et tous nos efforts ont fini par être payants : c’est ce qui me permet de vivre de la musique aujourd’hui.
Durant cette période professionnelle très éloignée de ton profil artistique, n’as-tu pas eu l’occasion de vivre des situations du quotidien de beaucoup de gens et l’envie de les raconter en chanson ?
Laurent Lamarca : L’artiste doit raconter le monde. Pourtant, il est souvent mis de côté. Je me confronte à toutes les réalités, elles sont mes repères. Je les vis. C’est sans doute pour cette raison que je suis en couple avec une femme n’ayant aucun lien avec l’artistique, que je suis ami avec des gens qui n’en ont aucun non plus. Je pars à la rencontre des autres pour m’imbiber de leurs histoires puis les raconter. Je ne vois pas l’intérêt de raconter ma vie de musicien.
Pourtant, depuis tes débuts, tes chansons parlent souvent de cette vie de musicien, directement ou indirectement lorsqu’il s’agit des gens qui te sont proches, mais qui font partie de toi. Cette perspective va-t-elle évoluer dans ton second album ?
Laurent Lamarca : J’ai des ressentis que j’éprouve, et ceux des autres que je ne peux qu’interpréter. Cela suppose une démarche égocentrique en effet, mais qui a pour seul objectif d’être finalement partagée. J’ai commencé à écrire parce que je ne voyais que ce moyen pour évoquer mes états d’âme. L’écriture a été une sorte de psychothérapie pour moi. Et là on l’on dépasse ma seule vie personnelle et de musicien, c’est dans mon espoir constant que les gens se retrouvent dans mes propres ressentis. J’ai l’envie de poursuivre mes rencontres, mes voyages, mes collaborations avec d’autres artistes. J’ai l’envie d’avoir d’autres enfants. L’inspiration ne se trouve qu’en étant dans la vie, pas derrière un ordi. C’est cette vie-là et donc celle des autres que je m’approprie. Pour la partager et qu’elle résonne avec leur propre réalité.
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