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Neeskens | L’intimité de chacun au creux de sa voix

NEESKENS

Vers vingt heures ce soir-là, la pluie commença à tomber. Le festival des Voix de Moissac revêtit ses habits de la nuit, tournant le dos à la scène extérieure. Elle aurait dû accueillir Neeskens et ses deux compères. Le trio prit alors le chemin d’une alcôve aménagée pour le festival. Pas de gros son certes, ni de scène surélevée. Mais une musicalité nouvelle au cœur de la pierre. Au creux de la voix de Neeskens la faisant vibrer.

Bonjour Neeskens. Tu es le vainqueur des concours Lance toi en Live en 2009 et SFR Jeunes Talents en 2010. Voilà plus de huit ans que tu es sur les routes de France et d’ailleurs. Tu enchaînes les festivals ainsi que des premières parties aux côtés d’artistes tels que Cocoon, Cascadeur et James Vincent McMorrow. Tu te produis ce soir au Festival des Voix de Moissac après avoir sorti en mars dernier ton second EP intitulé 1999. Les Pays-Bas : c’est de là-bas que tu nous viens. Aujourd’hui, tu as élu domicile en Haute-Savoie. Aucun regret d’avoir choisi Zazie ce soir-là ?

Neeskens : Non, du tout. Je n’ai pas non plus de regret d’avoir participé à The Voice en 2015. Le choix de Zazie était évident pour moi. Nous avons pu rester en contact et j’ai même fait ses premières parties aux Folies Bergères en début d’année. Ça me fait très plaisir de la savoir près de moi. Notamment dans la perspective d’éventuelles autres collaborations musicales. Son univers me parle et je sais que c’est réciproque.

Que t’a-t-il manqué pour aller plus loin dans l’aventure ? Souhaitais-tu vraiment gagner le concours ?

Neeskens : Je ne sais pas trop ce qui m’a manqué. Globalement, je suis plutôt content de mes prestations. Même si l’épisode de la chanson imposée m’a un peu moins plu : je me suis moins reconnu dans cet exercice. Quoiqu’il en soit, sortir sur La légende de Jimmy fut plutôt une bonne chose. J’ai été surpris par l’émission. Avant de se lancer dans ce type d’aventure, on s’interroge sur le fait de savoir si on la fait ou pas. Je n’étais pas très fan du concept. Pourtant, je comprenais qu’il pouvait être un tremplin. Je sortais de l’enregistrement de mon premier album que j’avais financé seul. Si j’avais dû payer sa promo seul aussi, ça aurait pu devenir compliqué.

Nous avons la chance d’avoir également à nos côtés aujourd’hui deux autres artistes qui t’accompagnent sur scène : Cyrille Chambard à la batterie et Anis Bahmed à la basse et au clavier. Depuis quand vous connaissez-vous ? Pourquoi avez-vous décidé de faire de la musique ensemble ?

Neeskens : Pour résumer, je me suis retrouvé seul après une première longue histoire de huit ans avec un groupe rock de Haute-Savoie qui s’appelait Hymne. J’ai donc commencé à écrire et à composer seul. Au fil du temps, la nécessité est apparue d’étoffer les morceaux et de trouver des arrangements qui leur correspondent. J’ai joué avec plusieurs musiciens différents qui venaient d’un peu partout. Je me suis beaucoup cherché aussi. Ce chemin m’a permis de me remettre en question, de préciser ce que je souhaitais vraiment faire et de gagner en confiance. Je croisais souvent Cyrille et Anis dans des concerts et des soirées. Nous n’étions pas spécialement amis…

C’est-à-dire ?

Neeskens : Disons qu’on se connaissait peu et que je les appréciais bien. Notre première vraie rencontre fut…

Cyrille : drôle ?

Neeskens : (rires) Je vais laisser Cyrille répondre et raconter l’histoire…

Cyrille : Anis et moi collaborions déjà ensemble à l’époque. Nous accompagnions une artiste folk anicienne qui s’appelait Miel. Jusqu’au jour où nous avons participé à un co-plateau avec Neeskens. Il avait assuré la première partie de la soirée en guitare-voix. Nous l’avions déjà entendu Anis et moi et nous apprécions déjà ce qu’il faisait. Et l’anecdote est plutôt drôle car cette rencontre a eu lieu dans un tout petit bar d’Aix-les-bains de façon tout à fait improbable. Ce bar qui a depuis fermé ses portes. Ce soir-là, il y avait plus de vingt personnes et c’était archi-complet !

Anis : Je me souviens aussi que nous ne souhaitions pas jouer Cyrille et moi ce soir-là. Nous voulions juste que Neeskens continue à faire ses chansons. Nous avions vraiment accroché dès les premières minutes. Sa voix et sa manière d’interpréter ses textes, c’était vraiment quelque chose de fort.

neeskens anis cyrille moissac

Ton univers se revendique l’héritier de ceux de Jeff Buckley, Damien Rice et Nick Drake. On perçoit clairement leur influence dans la plupart de tes compositions. A contrario, pourrais-tu me citer des artistes aux antipodes de tes inspirations ?

Neeskens : Oui, je vais pouvoir le faire. Malgré tout, je tiens à préciser au préalable que ce ne sont pas les artistes ni les hommes que je viserai. Plutôt les formats musicaux très commerciaux qui leur sont imposés pour ensuite être imposés au public. L’année dernière par exemple, nous avons fait la première partie de Kendji Girac. Je respecte les goûts des gens qui l’apprécient. J’aimerais vendre autant de disques que lui et je ne critique pas la qualité de ce qui est fait. Mais cette musique et ses sonorités ne me parlent pas. C’est la même chose concernant Maître Gims. Une fois de plus, je ne connais pas l’homme et je le respecte tout autant que son public. Mais franchement, la production et les sons employés dans ses chansons, les placements de produits : ça ne me touche pas du tout, du tout, du tout. En fait, ce sont les recettes d’aujourd’hui. Je trouve qu’on impose beaucoup de choses aux gens en pensant connaître leurs goûts, et c’est bien dommage car il existe un grand nombre d’artistes qui mériteraient eux-aussi d’être connus.

Par exemple ?

Neeskens : Tu citais James Vincent McMorrow, on pourrait ajouter Piers Faccini. Il y en a bien d’autres et ils pourraient tous avoir également du succès. Si on donnait aux gens l’opportunité de les écouter. Actuellement, il faut aller les chercher soi-même pour les entendre et/ou les avoir vus en concert. En habitant à Paris, c’est un peu plus facile. Pour l’anecdote, j’ai la chance d’être intermittent depuis trois ans. Mais avant cela, j’ai travaillé dans plusieurs entreprises. J’ai notamment fait du nettoyage industriel dans une petite société. Je commençais mes journées à cinq heures du matin. Je retrouvais mes collègues qui écoutaient toujours la même radio locale diffusant le même genre de musiques que Fun Radio. Un jour, j’ai pris l’initiative de leur apporter un album de Piers Faccini. Ils ont tous adoré et étaient très curieux d’en savoir plus sur lui.

Comment l’expliques-tu ?

Neeskens : En fait, quand tu commences à cinq heures du matin et que tu finis ta journée crevé. Quand, en plus, tu as des enfants, d’autres passions que la musique, tu n’as pas forcément le temps, l’envie ni l’énergie pour chercher, faire des découvertes musicales. Et surtout, aller au-delà des formats que l’on t’impose et auxquels tu t’habitues. J’ai moi-même quelquefois des refrains entêtants : les professionnels de la musique savent ce qu’ils font. Mais il y a tellement de richesses dans les autres chansons ! La chanson française, entre autres, regorge de textes et de compositions splendides ! Je pense à la Maison Tellier, 3 minutes sur mer, Joseph Dahan, The Pirouettes

The Pirouettes que j’ai eu le plaisir d’interviewer en début d’année…

Neeskens : Nous les connaissons très bien. D’ailleurs, le premier album de Coming Soon, le premier groupe de Léo Bear Creek, a été enregistré dans le local où je répétais avec mon premier groupe à Annecy.

« Les années passent et tu n’es pas au rendez-vous. Cela signifie-t-il pour autant que tu n’existes pas, que ta musique n’existe pas ? Je ne crois pas. »

 

1999 est donc ton second EP sorti en mars dernier. Il fait suite au premier portant le nom de ta ville d’origine, Groenlo, et à un premier album éponyme paru, lui, il y a tout juste un an. Que s’est-il passé dans ta vie en 1999 pour que tu décides de dédier quatre chansons originales à cette année-là ?

Neeskens : 1999 n’est pas une année très gaie. L’album est axé sur la chanson Lucy. Cette fille décida de mettre fin à ses jours. Ce fut marquant pour moi car j’ai longtemps travaillé dans une entreprise de pompes funèbres. J’y ai beaucoup rigolé, faut pas croire. Mais j’y ai surtout croisé des histoires tragiques. Notamment celle de la défunte, Lucy, par l’intermédiaire d’un copain qui la connaissait personnellement. Il m’a raconté à l’époque qu’elle semblait aller très bien pour tous ses proches. Mais qu’elle avait apparemment réussi à leur dissimuler un mal-être profond qui l’avait donc pousser à se suicider. Ça m’avait bouleversé. En fait, je m’étais dit qu’il fallait être vraiment différent pour en arriver là. Cet évènement m’a révélé notre fragilité à tous. Y compris celle de ceux qui prétendent être les plus forts. Ce constat m’a conforté dans l’idée qu’il ne fallait pas craindre de raconter, de partager ses difficultés avec les autres. Parce que ça fait du bien de le dire…

Focus sur le titre qui m’a mis un sacré frisson : Wolves. Sur le plan de la composition, on sent les réminiscences de the XX, the Temper Trap et Bon Iver. Quant au texte, qui sont ces loups au bord de cette rivière d’âmes ?

Neeskens : Ce sont mes amis. Je puise en eux les forces pour continuer. Ils me protègent. Ils m’accompagnent partout où je vais et dans tout ce par quoi je me sens être fait. Notamment dans mon attachement aux éléments, à la nature. Ils sont là pour m’aider à traverser cette épreuve.

Laquelle ?

Neeskens : La traversée, vivre dehors face aux éléments, dans le froid, dans la nuit.

Est-ce ce que tu ressens profondément ?

Neeskens : Oui complètement. Je n’ai pas vécu concrètement cela. Malgré tout, c’est ce que je projette dans mes rêves. Je rêve de vivre cette histoire réellement. Je suis convaincu que l’on peut communiquer avec l’animal et qu’il peut nous rendre la bienveillance dont on fait preuve avec lui.

neeskens 1999 moissac

Pour clore cette interview, j’aimerais te faire part d’une incompréhension. Tu as une identité simple qui me touche, une patte vocale qui ne laisse pas indifférent non plus. Cyrille et Anis savent les porter avec justesse. Je sais que je suis loin d’être le seul à penser ça. Pourtant, ta musique reste encore confidentielle. En effet, j’ai été surpris par le nombre de likes sur ta page Facebook et par le nombre de vues de tes clips sur YouTube, réalisés notamment par la Song Factory. Au-delà des formats imposés que nous avons déjà évoqués tout à l’heure, comment peux-tu expliquer cette situation ?

Neeskens : J’ai eu un accident avec ma page Facebook. J’étais monté à plus de 13000 likes puis la page a été supprimée. J’ai bien tenté de la récupérer mais à deux jours près, il était déjà trop tard. Même si on peut relativiser les choses, ça a quand même son importance. Quant aux vidéos, je vais prendre le cas de celle de ma chanson Where bridges end. Elle fut tournée dans les Bardenas en Espagne. Le storytelling est très succinct, l’atmosphère du clip est très contemplative. Le clip était diffusé pendant mes passages à The Voice, ce qui pouvait laisser supposer une bonne visibilité. Nous en sommes à un peu plus de 40 000 vues sur Youtube. C’est un résultat correct mais loin d’être probant. Et je ne parle pas des autres vidéos faites dans le même esprit, la même volonté de valoriser fidèlement et esthétiquement mes chansons… Je ne pense pas que ce soit la faute des gens. Je pense qu’il s’agit plutôt de l’éducation que les médias leur donne.

C’est-à-dire ?

Neeskens : Je n’englobe pas tous les médias bien évidemment. La plupart propose des contenus très intéressants. Sans compter sur le fait que j’apprécie moi aussi me vider la tête en lisant ou en regardant des choses plus légères. En définitive, je crois que Cyrille, Anis et moi avons notre place dans le genre musical que nous défendons. Il reste de la place pour l’univers qui nous passionne. Mais il est vrai que les références que nous citons ensemble depuis tout à l’heure comme Bon Iver, James Vincent Mcmorrow, Half Moon Run, Piers Faccini, sont des pointures qui m’impressionnent. Et même si j’ai gagné en confiance ces dernières années, je sais aussi que ce monde musical au sein duquel nous souhaitons faire notre place est très exigeant. J’ai eu comme tout le monde mes ambitions, celles par lesquelles je souhaitais que le groupe auquel j’appartiendrai devienne le nouveau Blur, le nouvel Oasis, le nouveau Radiohead. Mais les années passent et tu n’es pas au rendez-vous. Cela signifie-t-il pour autant que tu n’existes pas, que ta musique n’existe pas ? Je ne crois pas. Et je prends aujourd’hui beaucoup de plaisir à composer et à jouer. Je me dis que l’avancée de groupe pourrait rester linéaire de cette manière. Avec, parfois, des titres qui approchent plus les étoiles. Mais j’existe, nous existons. Notre musique existe.

 



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