En 2010, Jason Reitman envoie George Clooney dans les airs dans la peau d’un pro du licenciement externalisé. Entre isolement volontaire et premières amours déçues, le film développe un cynisme singulier pour dépeindre son époque.
Ryan Bingham (George Clooney) a un rêve : atteindre les dix millions de miles pour faire partie du cercle très fermé des grands voyageurs de la compagnie American Airlines. Constamment In the Air pour les besoins de son activité professionnelle, il plane 322 jours par an au-dessus du sol américain. Son job ? Mettre à la porte les salariés des entreprises qui réduisent leur personnel. « Et qui n’ont pas les couilles de le faire elles-mêmes. » Aussi se retrouve-t-il en première ligne à leur place, confronté à la détresse de collaborateurs qui ne comprennent pas. Et qui s’interrogent, d’une part, sur les raisons qui ont motivé leur employeur à user de cette méthode après plusieurs années de bons et loyaux services. D’autre part, sur leur avenir.
La vie de Ryan est millimétrée. Passer le moins de temps possible dans son appartement sans âme. Ranger les mêmes affaires de la même manière dans un valise pratique permettant de gagner de précieuses minutes à l’aéroport. Choisir la meilleure file au moment du passage des portiques de sécurité. Idéalement, passer après des voyageurs d’origine asiatique, plus rapides que les familles nombreuses et les couples de retraités. Et, de temps à autre, donner des conférences pour enseigner la méthode la plus efficace pour se libérer du poids de ses responsabilités.
Voilà à quoi se résume le quotidien de Ryan, sans attache, sans contrainte. Jusqu’au jour de cette rencontre fortuite avec Alex (Vera Farmiga), doublée de l’arrivée de la jeune Natalie Keener (Anna Kendrick) dans la boîte qui embauche Ryan depuis des années. Celle-ci est en charge d’initier le licenciement de masse à distance par webcams interposées. Dès lors, tout patine. Jusqu’où ces changements mèneront-ils Ryan ?
In the Air : attention à la chute
On doit au réalisateur canadien Jason Reitman une filmographie de choix. Celle-ci est axée sur l’humain et sur les dérives de notre temps. Révélé en 2005 avec son premier long métrage Thank you for smoking, il est également à la réalisation pour Juno (2007), Last Days of Summer (2014). Et plus récemment pour Tully, sorti en juin 2018. Charlize Theron y incarne les espoirs et les désillusions de Marlo, une mère en détresse luttant pour réhabiliter son statut de femme, et contre les diktats sociétaux qui voudraient qu’elle ne soit plus qu’un « ventre » à qui toute existence sociale, en dehors de sa famille, devrait être proscrite.
In the Air ne déroge pas à la règle « reitman-ienne » visant à assurer l’élargissement des horizons du spectateur. Quitte à user d’une noirceur d’approche subtile qui peut en effet en heurter certains. Pourtant, il s’agit de servir la bonne cause si tant est que l’on pose les bonnes questions dès le début. Et c’est le cas dans In the Air, ouvrant sur ces têtes anonymes décrivant leurs ressentis profonds après leur licenciement. Leur vie d’après, quand dans l’esprit de plusieurs d’entre eux, elle n’existe déjà plus.
Le film s’appuie sur un scénario coécrit par Jason Reitman et Sheldon Turner, adapté de l’œuvre de Walter Kirn, et récompensé notamment aux Golden Globes l’année de sa sortie. Il ne promet rien. Voilà pourquoi il étonne. Et certaines scènes dévoilent un sens aigu des réalités. Celle de l’homme dans son rôle de façade au travail, dans ses ruines lorsqu’il ne l’est plus. Dans son plus simple appareil lorsqu’il est à découvert. Face à un employeur absent, à une personne qu’il n’a jamais vue, ou face caméra. Et face à lui-même, aux espérances qu’il nourrissait en secret sans se les avouer.