Xavier Dolan conte Juste la fin du monde. Sorti mercredi dans les salles, son septième long-métrage témoigne également de son amour pour le septième art. Une fois de plus, le petit génie québécois a tout compris. Une fois de plus, c’est avec cette capacité à mettre à jour la réalité des choses et la profonde teneur des relations interpersonnelles qu’il marque l’esprit du spectateur de son empreinte indélébile.
Louis (Gaspard Ulliel) est un écrivain à succès. Après douze ans d’absence, il décide de retourner voir sa famille. Son motif est on ne peut plus clair : il doit annoncer à ses proches sa maladie et sa fin prochaine. L’atmosphère régnant à son arrivée dans le hall d’entrée de la maison de sa mère (Nathalie Baye) tranche avec les perspectives sombres attachées à sa venue. Martine, une femme associant avec maladresse et excès les couleurs de ses toilettes et de ses fards, termine de sécher son vernis à ongles bleu, tandis que Suzanne (Léa Seydoux) est la première à prendre Louis dans ses bras. Puis viennent les présentations avec Catherine (Marion Cotillard) que Louis n’a pour ainsi dire jamais vue. Elle est l’épouse d’Antoine (Vincent Cassel), l’aîné de la fratrie, sans condescendance et tout entier dévoué à sa posture.
Au cœur des retrouvailles révélant une séparation trop longue, Louis ne dit mot sans pour autant consentir. Autour des mets préparés par sa mère ou entre quatre yeux avec chacun de ses proches, il s’éloigne progressivement de son objectif premier. Il doute, se souvient, se harcèle. Il laisse échapper le regard de trop, que seule la femme de son frère saura percevoir.
Expier l’indicible en famille
Huis clos peinant pour certains à se mettre en place, Juste la fin du monde fut sans nul doute voulu ainsi dès le départ par Xavier Dolan. Quelques commentateurs pourront juger les premières séquences du film trop longues : celles-ci constituent pourtant sa clé de voûte tout comme celle du réalisme de l’œuvre. Qui ignore encore ces quotidiens qui s’entrechoquent dans toute la routine qui les qualifie, lorsque les membres d’une même famille se retrouvent une fois l’an pour fêter Noël ?
Xavier Dolan axe ainsi son déroulé sur la captation précise de cette réalité. Elle lui permet comme dans Mommy d’introduire et de développer le fond même de ses pensées, autrement dit, celui de chacun de ses personnages. Les querelles et les discours de façades n’existent alors plus. L’essentiel de l’être se fait jour, dans ces ralentis tantôt souvenirs, tantôt expiations.
Juste la fin du monde : vol au-dessus des nus
Juste la fin du monde est juste un film exemplaire. Un film ressenti, un film vrai, un film réussi. Il confirme l’état de grâce sur lequel surfe Xavier Dolan. Une réalité, une de plus, la seule qu’il ne capturera et qu’il ne dévoilera jamais, car étant la conséquence du talent qui le constitue, de sa connexion avec le monde d’aujourd’hui, de son processus créatif hors-norme et de son travail enfin reconnus.
Juste la fin du monde a notamment reçu le Grand Prix du jury durant la dernière édition du Festival de Cannes. Mais qu’importe les certifications justifiées de ses pairs : Xavier Dolan est juste au-dessus du lot, passé maître dans l’art de conjuguer empathie et punch, de partager celui-ci et de le mettre en scène magistralement à travers des castings repositionnant les plus grands acteurs dans le premier rôle précédant tous leurs autres : celui d’un homme, d’une femme, d’un être humain sachant omettre l’inévitable non par ignorance, mais par cette volonté de se sentir vivre plutôt que d’être en vie.