Sorti mercredi dans les salles, Nocturnal Animals est le second film réalisé par Tom Ford sept ans après le bouleversant A Single Man. L’Américain étonne. Une fois de plus. Le thriller émotionnel et psychologique savamment pensé fonctionne. On nage en eau trouble dans les pensées les plus inavouables de l’être, sur fond d’art, de littérature, et de prises de conscience trop tardives. Mais la vraie force du film demeure son scénario, axé non pas sur une mais sur trois histoires égarées entre passé, présent, et fiction témoignant d’un futur plus proche qu’on ne l’imagine.
Susan Morrow (Amy Adams) est une galeriste d’art en manque de sens et d’inspiration. Dans son dos, les œuvres vivantes créées de ses mains de sa dernière expo dénonçant une société à laquelle elle est bien consciente d’appartenir. Devant elle, un avenir tout tracé qui l’angoisse et qui rend désuète sa réussite professionnelle et sociale. Le feu en elle s’est éteint. Elle ne peut même pas trouver refuge dans les bras de son mari (Armie Hammer), entièrement dévolu à sa tâche d’époux infidèle.
Jusqu’à la réception ce jour-là d’un manuscrit, et sur la couverture en caractères gras, le nom de son premier mari Edward Sheffield (Jake Gyllenhaal). Celui-ci use de son nouvel ouvrage à paraître pour renouer un lien qui semblait avoir disparu à jamais. Pari réussi, puisque l’émotion de Susan se fait jour et s’invite progressivement dans le quotidien de ses insomnies. Ses nuits deviennent alors le décor des scènes du livre écrit par Edward. L’histoire qu’il conte est celle d’un fait divers qui tourne mal. Son personnage principal, Tony Hastings (Jake Gyllenhaal, encore lui), est un homme faible laissant s’échapper ce qu’il aime le plus au monde sans pouvoir réagir. La violence du récit est palpable, elle fait renaître les souvenirs de Susan. Ceux de sa relation avec Edward, de leur première rencontre à leur dernier jour ensemble. Mais pas seulement…
Une exposition à cœur ouvert
Nocturnal Animals surprend, interroge, puis il fascine. Et ce ton est donné dès les premières minutes du film. Vous pourrez patauger un peu, mais gardez à l’esprit qu’il s’agit là de la même sensation que chacun éprouve lorsqu’il visite un musée et qu’il se retrouve confronté à l’expression artistique et au message dissimulé dans chaque réalisation.
On prend de la distance par rapport à l’œuvre après avoir pris connaissance de sa définition sur le petit carton blanc placé en bas à gauche et traduit en plusieurs langues. Puis on reste perplexes puis on fait appel à ses propres références, à son expérience, à son instinct. On se rapproche enfin pour analyser les éléments qu’on ne souhaite surtout pas omettre. Puis on tire sa conclusion et son message particulier pour le reste de sa vie. Nocturnal Animals est un tableau constitué de plusieurs autres composant son tout. Il nous fait suivre la même trajectoire, à ceci près que la conclusion est unique. Logique. Implacable. Et le réveil du maître des mots y est en grande partie responsable.
Quand l’écrivain assume et devient
La plume du personnage d’Edward Sheffield ne raconte pas ce qui doit être : elle dit ce qui est. Elle cache celle de Tom Ford, réalisateur et producteur de Nocturnal Animals, mais aussi son scénariste. De plus, elle révèle une incroyable majesté dans l’imbrication des scènes réelles et fictionnelles. Elle marque son tempo par une mise en perspective qui permet au spectateur d’imaginer tout autant que de reconnaître la cohérence de sa finalité.
Le casting révèle une panoplie de Nocturnal Animals tout à fait raccords avec l’essence du film. Jake Gyllenhaal est presque infaillible dans son double rôle. Et si Amy Adams excelle dans celui de la femme désabusée appelant à l’aide en secret mais sans trop y croire, on notera surtout la présence de Michael Shannon (Les Noces Rebelles, Boardwalk Empire) dans le rôle du lieutenant, chargé d’une enquête dépassant ces seules attributions. Le regard qu’il pose sur Tony Hastings n’est pas anodin. Il a ce rien de paternel qui trahit le message caché du film lui-même. Peu importe ensuite comment on le qualifie, car la logique des sentiments est celle qui ouvre justement les portes de toutes les interprétations possibles.