Steven Spielberg le magicien est de retour cette semaine avec son dernier long-métrage Ready Player One, l’adaptation du best-seller de science-fiction d’Ernest Cline. Derrière les effets spéciaux féériques et l’univers fantastique du film, un hommage à plus de trente années de pop culture et l’anticipation de mutations sociétales qui pourraient déconnecter définitivement l’individu de son humanité.
2045, dans un bidonville aux allures de camping de dernière zone. Les mobile homes s’y entassent pour former les piles informes et métalliques d’un monde égaré luttant pour sa survie. Une guerre qui n’a plus la forme de celles du siècle passé, et qui se déroule sur des champs de bataille virtuels, créés de toutes pièces dans l’Oasis.
L’Oasis : une échappatoire plus qu’un simple terrain de jeu. Un nouveau système planétaire forgé quelques années auparavant par un seul homme : Halliday (Mark Rylance). Un rêve éveillé pour des milliards d’êtres humains, devenu une alternative nécessaire à la réalité des hommes, qui disparaît une fois le casque de réalité virtuelle sur le nez.
Comme tous les jours, comme une grande partie de la population terrienne, Wade (Tye Sheridan) se faufile dans les méandres de cette décharge à ciel ouvert jusqu’à son antre : un van à l’abandon qui abrite tout son matériel pour se connecter à l’Oasis. En quelques minutes, il devient Parzival, un avatar à la recherche d’un œuf créé par Halliday avant sa mort. Trois énigmes, trois clefs, pour atteindre le graal et devenir le nouveau propriétaire de l’Oasis.
Vide existentiel interstellaire
Selon une étude menée sur l’année 2015 par l’institut Gfk et le Syndicat des Éditeurs des Logiciels de Loisirs (SELL), 53% des Français sont des joueurs réguliers. Les « No-Life », joueurs acharnés qui ne peuvent pas passer une journée ou presque sans jouer, représentent 24%, soit une hausse de 3% par rapport à l’année précédente.
En parallèle, l’enquête menée en 2014 par Antoine Chollet dans le cadre de son mémoire sur l’apprentissage dans les jeux vidéo (et plus particulièrement, les jeux de rôle en ligne massivement multi-joueurs, dits aussi MMORPG) auprès de 2628 joueurs, révèle qu’ils passent en moyenne 26 heures par semaine à jouer. Quitte à cumuler leur activité professionnelle et/ou leurs études avec ce temps de jeu.
Ainsi, au-delà du divertissement, Ready Player One donne l’opportunité à Steven Spielberg de porter à l’écran, et à sa manière, la réponse d’Ernest Cline à une réalité qui ne va qu’en s’intensifiant. Si le contact social « in game » avec les autres joueurs est aujourd’hui l’aspect le plus apprécié par les joueurs de MMORPG, nul doute qu’il révèle malgré tout un isolement de l’individu par sa prise de distance avec le monde réel, le coupant d’interactions interpersonnelles « in real life » qu’il avait naturellement par le passé, sans intermédiaire technologique et/ou virtuel.
L’affection pour susciter la réflexion
« La 20th Century Fox, Universal, Paramount, Sony, Disney… Tout le monde a accepté de nous aider. Ils nous ont permis de faire des références à leurs phénomènes culturels » (Steven Spielberg). Des phénomènes culturels qui génèrent les sourires des spectateurs les ayant connus et vécus durant leur enfance, leur adolescence. Et encore aujourd’hui.
Des phénomènes culturels qui ravivent donc les souvenirs de chacun d’entre eux. Dans les salles obscures, dans leur salon. Mais également dans leur chambre devant leur écran de télévision ou celui de leur ordinateur, manette à la main. Et quoi de plus forts que ces souvenirs-là ? Autant de gages d’une nostalgie pour des moments durant lesquels l’insouciance, la vie de famille, les premières amours et les bandes de copains se mêlaient à des défis permanents. En outre, à des imaginaires paraissant sans limite.
À travers les émotions suscitées dans la mémoire des aficionados d’une pop culture qui demeurera pour eux une référence à jamais, l’œuvre d’Ernest Cline, magnifiée à l’écran par Steven Spielberg, cherche à les bousculer. À les interroger sur les choix de société à opérer pour ressusciter l’envie de vivre cette bonne vieille réalité plus directement, plus instinctivement, et conférer à nouveau à celle-ci tout l’attrait et le sens qu’elle eut et qu’elle pourrait encore avoir demain, dès aujourd’hui.