Cette semaine sortait dans les salles obscures le dernier long-métrage de l’italien Matteo Garrone (Reality, Gomorra) : Tale of Tales. Adaptation chimérique des contes de Giambattista Basile, ce film est aussi l’occasion de pénétrer un monde bien réaliste, une histoire sans fin heureuse délivrant une morale très humaine.
C’est sur le regard perdu et désespéré de la Reine de Selvascura (Salma Hayek) que s’ouvre Tale of Tales, LE conte des contes sans conte de fées.
Imaginez quelques instants la détresse de cette Altesse ô combien respectée par ses sujets, hantée par cette perspective de ne jamais pouvoir enfanter.
La Reine se lève, et part se réfugier dans sa chambre. Son Roi la suit dans ses quartiers afin de la consoler, pour finalement lui faire la promesse de remédier à sa tristesse et son malheur. Ce sera chose faite dès la séquence suivante, à la suite d’une bataille aquatique fantasmagorique prédite par cet homme vêtu de noir, avec à la clé le cœur de ce dragon d’eau tué avec courage éveillant instantanément celui d’un nourrisson.
Tout en éteignant simultanément celui du Roi aimant, abandonné au trépas sur les rives de sa passion…
Tale of Tales est une fresque, un tableau de maître animé par les sentiments les plus incertains que peut expérimenter l’être humain, avec, en toile de fond, l’espoir que tout se termine bien pour ces héros dont les univers s’emboitent comme des poupées russes, et qui finissent par voler en éclats les laissant maîtres de leur seule solitude.
Du roi s’improvisant dompteur au détriment de son rôle de père et de sa raison, à cette teinturière dévorée par sa naïveté et sa dépendance à sa sœur cupide, les personnages sont hauts en couleur et tranchent radicalement avec les scènes telles qu’on serait en droit de les attendre.
Que dire de cet autre Roi volage de Roccaforte (Vincent Cassel) qui, enfin transporté par l’une de ses nombreuses conquêtes, sera à nouveau forcé au célibat suite à la nouvelle métamorphose de sa bien-aimée ?
Que penser de cette princesse offerte à un ogre des montagnes, revenant quelques temps après avec sa tête coupée par ses soins entre les mains, pour monter sur le trône seule et bouleversée à jamais ?
Tale of Tales sait jouer sur plusieurs nuances en même temps, et insinue dans l’esprit du spectateur sa volonté qu’il en fasse de même. La bande originale signée Alexandre Desplat (Imitation Game, The Grand Budapest Hotel…) incarne à merveille cette distorsion récurrente, par le murmure de notes aux consonances médiévales, douces, parfois même enfantines, lorsque les corps sont tranchés et les vices libérés.
Tale of Tales est surprenant, comprenez-le dans toute l’interprétation qui sera la vôtre à la sortie de la salle. Ça passe ou ça casse, mais cela ne peut vous laisser indifférent. Car au-delà de la notion de maîtrise de son propre destin dépeint telle une pitance menant à la potence, le film est en définitive une leçon de vie en équilibre à l’instar du funambule sur un fil ardent, capable de se brûler les pieds par amour de sa démence. Ou pour éviter d’y chuter : à vous d’en juger.