Menu Fermer

Oddfellow’s Casino | L’étrange musique de David Bramwell

david bramwell

David Bramwell nous vient du Royaume-Uni. Il est auteur, compositeur, interprète. Il est également producteur radio à la BBC. Depuis 2002, il explore les pans les plus étranges et extrasensoriels de sa personnalité grâce à Oddfellow’s Casino, un projet musical au sein duquel il fédère des artistes sachant tout comme lui dépasser la seule idée du bizarre au profit de la découverte constante des intentions profondes et contradictoires de l’être. Mais aussi celles de son pays. Entre nature, littérature, utopie et fantastique, David Bramwell et Oddfellow’s Casino reviennent le 7 juillet prochain avec un septième opus intitulé Oh, Sealand, porté en France par Microcultures.

Bonjour David et merci d’avoir accepté cette interview. En la préparant, j’ai découvert ton vaste monde composé de tes lectures publiques, de tes écrits, de tes prestations radios, de tes podcasts et de ta musique. De The Catalyst Club au Oddfellow’s Casino, en passant par The Haunted Moustache et The number 9 bus to Utopia, ce monde est dédié à des sujets et des souvenirs peu communs. Quel homme se dissimule derrière l’artiste ?

David Bramwell : (rires) Très bonne question… Je crois que l’homme a une passion profonde pour la création, sous toutes ses formes et par n’importe quel moyen. L’écriture, la radio et la musique sont devenus ceux qui me collent le plus à la peau aujourd’hui. Je suis fasciné par l’inhabituel et l’excentricité. Tout comme par les gens qui en ont fait leur vie. Ils sont mes héros, à l’instar du philosophe anglais Alan Watts, du chanteur Paul Young, de la sublime Kate Bush. Ces personnalités ont bâti et porté leur propre chemin avec détermination. Ils l’ont assumé et ont initié de nouvelles idées, de nouvelles façons de concevoir la société et la culture.

C’est d’ailleurs dans ce sens que j’ai écrit mon dernier livre The Odditorium. Tout mon parcours est à l’image de The Haunted Moustache, un parcours qui m’a permis de visiter les sciences, différentes églises, le culte agnostique… Toutes ces expériences que je fis étaient en-dehors des normes. Quant à Oddfellow’s Casino, ce projet me permet d’exprimer ma nature plus nostalgique, plus mélancolique, tout en demeurant axé sur des thématiques liées elles-aussi à l’inhabituel. En effet, Oh, Sealand évoque entre autres cette principauté indépendante que peu de gens en France, mais également en Angleterre, connaissent.

Il s’agit d’une ancienne plate-forme militaire appelée Fort Roughs et construite par l’Angleterre lors de la Seconde Guerre Mondiale dans l’optique d’une éventuelle invasion allemande. Depuis les années 60, Michael Bates et sa femme y ont élu domicile et souhaitent en faire une principauté indépendante reconnue. Toute leur famille y a vécu : voilà le genre d’histoire qui me captive, en tant qu’homme et en tant qu’artiste dans mes différents travaux. C’est dingue quand on y pense que cette famille ait décidé de vivre au milieu de la mer du Nord malgré l’hostilité de l’environnement !

De quoi rêve l’homme que tu es ?

David Bramwell : Durant la nuit, mes rêves sont souvent connectés à l’eau. Aux rivières, aux lacs. L’eau est une symbolique de notre inconscient et de nos désirs physiques. Cela fait sans doute écho aux clichés axés sur les recherches de Jung, mais après tout… Je m’égare parfois aussi dans mes idées, dans des univers fantaisistes. J’ai également été professeur de musique pendant plus de vingt ans en rêvant d’être ailleurs qu’au travail (rires). J’ai eu la chance de pouvoir abandonner mon emploi il y quelques années.

Je crois que j’ai aujourd’hui réalisé les rêves que j’avais mais que je ne pouvais concrétiser lorsque que je l’occupais encore. Il y a une certaine forme d’égoïsme dans cette démarche qui fut la mienne. L’art suppose en effet d’être souvent autocentré alors que lorsqu’on enseigne, on est avant tout dans la dynamique de donner du temps aux autres. Mais je me donne différemment aujourd’hui, au public, et je suis heureux de le faire à travers l’écriture, la musique et la radio.

david bramwell

Tu es né à Scunthorpe, une petite ville située dans le Nord de l’Angleterre. Tu déménageas à Doncaster et tu y vécus de tes six ans à ta majorité. Puis tu t’installas à Brighton après des études en géographie. Quelle fut l’influence de ta famille dans ton choix de dédier ta vie à l’écriture et à la musique ?

David Bramwell : Pour être honnête, elle eut une faible influence sur mon choix. Les intérêts de ma famille ont toujours été très différents des miens. Dès que j’ai commencé à étudier à Coventry, j’ai soudain pris conscience de la distance entre moi et les sujets que j’abordais. C’était comme si mes études me poussaient vers les sciences alors que j’étais vraiment attiré par tout ce qui touchait de près ou de loin à la création et à l’art. Un nouveau monde s’est offert à moi dès mon arrivée à Coventry, notamment grâce aux rencontres que j’y fis. Je me souviens de ma première écoute à l’époque de la chanson de Sugarcubes, Birthday : je me suis demandé comment une chanson telle que celle-ci pouvait exister !

La façon dont Björk chantait, dont les musiciens jouaient : ils me semblaient tous complètement bourrés ! Je n’avais jamais entendu une chose pareille avant à Doncaster. Certains livres m’ont également fait le même effet. À Coventry, il y avait une librairie de livres d’occasion. Je me suis complètement immergé dans l’écriture des auteurs français tels que Sartre, Camus. Dans celle existentialiste de Hermann Hess également. De mon enfance, je n’ai en fait gardé que les endroits et la géographie dans mes écrits et dans mes paroles de chansons, dans cette perspective de connexion entre l’esprit et la géographie.

Entre nos émotions et des routes, des espaces, des souvenirs, des expériences vraiment particulières, qui nous permettent d’en tirer et d’en écrire l’histoire. C’est ce que je fais dans ma musique. C’est ce que nous faisons dans le cadre du projet Oddfellow’s Casino, et ce, depuis notre tout premier album sorti en 2002, Yellow Bellied Wonderland. Et ne me demande pas d’où provient le nom de cet album. Car en français, on pourrait traduire Yellow Bellied par le fait de manquer de courage. Mais de mon côté, c’était une réelle référence aux espaces et à leurs liens avec les gens.

Existe-t-il dans ton enfance des éléments particuliers qui puissent expliquer la façon dont tu choisis les sujets que tu développes dans tes écrits, à la radio, dans ta musique ?

David Bramwell : Je marchais beaucoup lorsque j’étais gamin. Nous n’avons pas les reliefs dont vous disposez en France, mais la campagne et les réserves naturelles autour de Doncaster, l’endroit où j’ai grandi, offrent de très beaux paysages. C’est ce qui m’a permis de tomber amoureux de la nature. C’est pour cette raison que ma musique ne traite pas que des gens : elle est aussi influencée par ces paysages et par cette nature. Par tous les oiseaux, l’environnement.

Quel est le sujet qui te fascine le plus et que tu n’as pas encore abordé dans tes chansons ?

David Bramwell : Voilà encore une très bonne question. Difficile également. Et bien, il y a des thématiques découvertes à travers certains ouvrages qui flottent dans ma tête et que je n’ai pas encore eu l’occasion de creuser, à l’instar du trickster (ndlr : en français, le farceur ou l’escroc). Ce sujet me fascine et je souhaite l’explorer plus en profondeur. En France, il est souvent représenté par le renard. Il peut aussi l’être par le poisson d’avril. Chaque culture compte un personnage mythologique qui désorganise le monde, le déroulement normal des évènements.

Dans les dessins-animés, ce rôle était dévolu à Bugs Bunny. En Scandinavie, il s’agissait de Loki. Pourquoi chaque culture à travers le monde a-t-elle créé ce type de personnage apportant la tromperie et le mensonge, pour représenter ses actes, allant à l’encontre de ses intérêts et de sa continuité, qu’elle s’infligeait à elle-même ? Tout en sachant que ces « démons » lui sont parfois tout autant utiles pour avancer que le reste. Je ne sais pas si j’aurai l’occasion d’explorer ce sujet par la musique, mais je le ferai sans doute par l’écriture ou la radio.

« J’ai toujours voulu savoir si j’étais capable d’écrire sur l’amour ou sur quelqu’un un usant de chemins parfois inhabituels. Je voulais aussi dire les choses à une personne, pour les célébrer d’une certaine manière »

Sur le site d’Oddfellow’s Casino, on peut trouver sa description atypique. Le projet est ainsi qualifié « d’ensemble dont les performances musicales et scéniques gravitent autour des coins oubliés de l’Angleterre, des paysages, des fantômes, de la mort et d’un spectacle victorien passé dont le groupe tire son nom ». Quels thèmes la musique est-elle capable d’aborder contrairement à l’écriture seule ?

David Bramwell : Très bonne question une fois de plus… Il y a dans la musique une douce mélancolie, une douce tristesse, dans le sens d’une nostalgie profonde, qu’il est difficile de ressentir ainsi par l’écriture. Dans notre cinquième album paru en 2013, The Raven’s Empire, il y avait clairement l’intention de rassembler les thèmes des hantements et des histoires de fantômes dans un même disque. Il se trouve que ces thèmes sont connectés à cette nostalgie que j’évoquais, notamment à travers l’un de mes souvenirs.

Il y a une chanson de notre album Dust paru en 2016 qui le suggère, elle s’intitule The Lights on Ermine Street. J’étais enfant et je me souviens, enfin, je pense me souvenir d’avoir vu entre les arbres, dans la rue où j’ai habité jusqu’à mes six ans, un visage fantomatique. Cet évènement est resté gravé dans ma mémoire, bien que je ne sache pas s’il s’agit d’un vrai souvenir ou d’un faux. La musique me semble ainsi être le moyen de partager plus directement les émotions. La musique vous prend par le cœur immédiatement. Les arts visuels et l’écriture établissent plus instinctivement une relation avec notre intellect puis une autre avec le cœur.

Oh, Sealand est donc le septième d’Oddfellow’s Casino. Il sortira le 7 juillet prochain. Le label anglais At The Helm Records et le label français Microcultures collaborent et travaillent ensemble sur cette sortie. En parallèle, une campagne de crowdfunding a été lancée sur le site de Microcultures : l’objectif a été placé à 2500 euros, qui serviront à financer la fabrication, les relations presse et la promotion. Pour le moment, cet objectif n’a pas été atteint. Que pourrais-tu dire aux gens pour les convaincre de participer ?

David Bramwell : (rires) S’ils ont déjà eu l’occasion d’écouter nos précédents disques, et même si ce n’est pas le cas, ils auront la joie de découvrir des titres inédits. Et ce, trois ans après la sortie du dernier album d’Oddfellow’s Casino, The Water between us. Je n’intègre pas Dust paru en 2016 et qui est principalement composé de b-sides. Je crois qu’il y a des titres très forts sur Oh, Sealand, de bons ingrédients et des collaborations très intéressantes, comme celle avec l’auteur de BD Alan Moore, notamment sur le titre The Ghosts of Watling Street écrite en hommage à un livre qui m’a particulièrement plu.

Des sonorités attrayantes, des arrangements qui se conjuguent à la composition musicale. Mais Oh, Sealand, c’est bien plus encore. Je pense qu’Oddfellow’s Casino a un bon soutien en France. J’espère que Microcultures réussira à atteindre l’objectif de campagne fixé. En tous les cas, j’espère que les gens qui n’en avaient pas encore fait le choix participeront à cette campagne pour collaborer au succès de ce septième album !

Oddfellows Casino

On vous le souhaite bien entendu. Folk, résonances acoustiques et voix harmoniques : voici en tous les cas le menu de Oh, Sealand. Josephine est l’un des titres qui a attiré mon attention, et ce dès le titre. Connais-tu Alain Bashung ?

David Bramwell : Non. Mais il semble que je devrais…

Alain Bashung est en effet un très grand auteur, compositeur et chanteur français décédé en 2009. Dans son répertoire, on trouve notamment une chanson intitulée Osez Joséphine. Si on peut imaginer celle(s) qui se dissimule(nt) derrière les paroles de Bashung, à qui fait référence ta Joséphine ?

David Bramwell : (rires) Il s’agit d’une ancienne petite amie. J’aime écrire des chansons d’amour. Il en existe des magnifiques. J’ai toujours voulu savoir si j’étais capable d’écrire sur l’amour ou sur quelqu’un un usant de chemins parfois inhabituels. Je voulais aussi dire les choses à une personne, pour les célébrer d’une certaine manière. Je voulais une chanson telle que celle-ci pour cette personne-là car je ressens toujours une profonde émotion même si notre relation amoureuse n’est plus. Nous sommes restés proches, nous écrivons des livres ensemble. Le prochain qui sortira dans l’année s’intitule The Mysterium (ndlr : cette ancienne petite amie ne serait-elle donc pas Jo Keeling ?), qui traite des mystères modernes. Notre relation se poursuit donc de façon créative, et non plus de façon romantique.


David Bramwell : site officiel

D'autres articles qui pourraient vous intéresser :