Carmen Maria Vega n’est pas une artiste comme les autres. Carmen Maria Vega est rare. Depuis la sortie en 2009 de son premier album éponyme, elle ne fait pas que chanter. Non. Elle incarne. Elle habite. Une foule de personnages qu’elle semble connaître depuis toujours tant les traits qu’elle leur donne sont réalistes, justes. En avril dernier, elle a décidé de donner vie au sien dans son troisième opus intitulé Santa Maria, et de faire exister celle qu’elle avait décidé d’être. Rencontre avec une Artiste des temps nouveaux, à la croisée de Jacques Brel, de Catherine Ringer et de Juliette.
« Sainte Marie, mère de Dieu » : c’est la première pensée que pourrait avoir une majorité de gens suite à la sortie de ton troisième album Santa Maria. À l’écoute du titre album en première plage, Marie semble être aussi ce phare dans la nuit qui te permettrait de trouver la liberté en parallèle de ton identité. Où en es-tu aujourd’hui ?
Carmen Maria Vega : Et bien déjà, je ne suis pas croyante ! (rires) J’en suis à cette tournée qui a succédé à la sortie de l’album Santa Maria il y a un peu plus de six mois. On a écumé pas mal de dates avec Kim Giani, le réalisateur du disque. Il m’a aussi accompagnée durant toute la phase d’écriture. Cet album est un spectacle. C’est très intense. C’est vraiment une joie de faire ça avec Kim. Nous avons choisi de n’être que tous les deux sur scène : c’était risqué mais j’avais envie de jouer les funambules après la comédie musicale. J’avais besoin de revenir à quelque chose de très minimaliste. Et en même temps, comme cet album est très introspectif, c’était assez logique finalement.
Tu me dis que tu n’es pas croyante. Mais alors, en quoi et en qui crois-tu ?
Carmen Maria Vega : En moi, c’est déjà pas mal ! (rires) C’est un travail quotidien de longue haleine, qui durera jusqu’à la fin de ma vie. J’ai grandi dans la religion catholique, ce qui explique que j’ai une passion pour toutes ces bondieuseries, icônes et images saintes. Mais j’ai très vite arrêté d’y croire, un peu comme le Père Noël. Car j’ai rapidement compris que pour obtenir les choses dans la vie, le moteur était d’abord soi. Chacun est son principal allié, comme il peut devenir aussi son principal ennemi. Si on décide de prendre soin de soi, il peut se passer des choses chouettes quand même.
Existe-t-il un moment en particulier qui explique que tu pris tes distances avec la religion ?
Carmen Maria Vega : Je me souviens que j’avais voulu me faire baptiser à l’âge de huit ans. J’ignorais si je l’avais déjà été, vu que j’avais été adoptée. C’était pour faire comme tout le monde, entrer dans le moule, me rassurer. Il ne s’agissait pas pour moi de me rapprocher d’un être spirituel. Il n’y a pas vraiment d’évènement qui puisse expliquer le fait que je me sois éloignée de la religion. C’est plutôt la vie en elle-même. Si je crois aux forces de la nature, je ne crois pas au vieux barbu perché sur son nuage qui nous observerait en se marrant.
À Mistinguett, Reine des années folles que tu as incarnée pendant deux ans dans la comédie musicale du même nom, répond donc cette femme bouleversante qui confesse ses difficultés à retrouver ses origines, à se définir en tant qu’être singulier, à qualifier sa vie. « Le résidu d’Amérique » : c’est la manière dont se nomme La fille de feu. « L’âme amère, la peau brûlée, l’odeur de chienne crevée » : ce sont aussi les tiennes dans Amériques latrines. Que révèle ce morceau sur tes origines et sur l’estime que tu as de toi ?
Carmen Maria Vega : Amériques latrines évoque la violence régnant au Guatemala, mais pas l’image que j’ai de moi : je m’aime bien ! (rires) Même si cette violence fait partie de moi, chacun a finalement sa part d’ombre : cela ne veut pas dire que je ne m’estime pas. Ce qui a été difficile au moment où je suis parti, ce fut plus de se prendre les réalités de ce pays en pleine figure. Je ne m’y attendais pas. On en parle très peu en France et en Europe. J’étais restée sur l’image d’un pays qui sortait d’une guérilla. J’imaginais, j’espérais que le pays allait mieux. Au final, le pays va plus mal que lorsque la dictature était encore en place, ce qui est quand même hallucinant. C’est vraiment la première fois que j’ai côtoyé la peur de près, où je sentais la mort tout le temps. Le Guatemala est le pays qui compte le plus d’homicides quotidiens par arme à feu après l’Afghanistan, entre 13 et 16 meurtres par jour. C’est un pays qui est sous le joug des narcotrafiquants. C’est un pays corrompu, nécrosé. Le genre de pays où l’on se demande s’il s’en sortira un jour. Ce n’est pas impossible, mais il faut que le peuple se relève. Cela peut prendre du temps. Mais j’espère vraiment qu’il s’en sortira. L’espoir existe car la jeune génération commence à se rebeller.
Ce troisième album se distingue par des textes forts alliant intimité, détermination, émotion. Comment s’est organisé le travail d’écriture ?
Carmen Maria Vega : D’un auteur à l’autre, ça a été très différent. J’ai eu des jolis cadeaux spontanés comme le titre Santa Maria qui m’a été offert par Baptiste Hamon et Alma Forrer. Il s’agit de deux jeunes auteurs en lien avec Kim, que je ne connaissais pas et qui sont devenus aujourd’hui des amis. C’est assez troublant car tous les textes de l’album qui sont les plus personnels sont ceux de gens qui me connaissaient le moins. Amériques Latrines est un autre exemple : les paroles ont été écrites par David Assaraf. Je l’avais rencontré au Printemps de Bourges. Nous avions vécu le festival ensemble en devenant rapidement complices. Il avait été très touché par mon histoire et m’avait envoyé son texte trois semaines après être rentré à Paris. J’avais été sidérée par la justesse de son écriture. Quant au texte de La Fille de Feu, Chet Samoy en est son auteur. Il est également chanteur et manager d’artistes. Pareil : nous nous connaissions assez peu, même si je savais déjà son talent.
Le grand secret est sans aucun doute l’un des plus beaux textes, écrit pour toi par Mathias Malzieu. Ou quand la quête de ton identité se transforme en road movie. Qui représente ce « on » qui a cherché à te préserver de ton identité ?
Carmen Maria Vega : Préserver… Je dirais plutôt cacher la vérité. Ce « on » représente à la fois l’État guatémaltèque, qui a menti sur les clauses d’une adoption qui était évidemment falsifiée. L’association qui a fait l’adoption. Et enfin, l’État français qui a aussi participé à ça. Ce « on » n’a bien sûr aucun rapport avec ma mère biologique ou mes parents adoptifs. Ils ont été les victimes de ce trafic d’enfants tout comme je le fus. J’avais 26 ans quand j’ai découvert le pot aux roses. C’était en 2011, année durant laquelle je partis pour la première fois dans mon pays d’origine. J’ai rencontré Mathias Malzieu l’année suivante en 2012. Je lui ai demandé peu de temps après d’écrire sur cette thématique-là. Il m’a rédigé un premier texte qui est paru sur mon second album Du Chaos naissent les étoiles. Puis, lorsque j’ai débuté mon travail sur l’identité, je suis à nouveau allé le voir. Il m’a envoyé un premier jet une semaine après, puis il m’a fait écouter la chanson avec un son tout pourri sur son smartphone. Je fus à nouveau sidérée. C’était beau et ça servait une cause universelle : celle de savoir d’où l’on vient. Même si l’identité, c’est aussi ce que l’on construit, ce qui fait de nous ce que l’on est. Le grand secret va au-delà de la chanson écrite pour moi : c’est une chanson écrite pour Carmen qui fait résonner également ce qui existe entre Mathias et moi.
Au final, malgré le fait de ne pas connaître le secret de ton identité, tu as réussi à te faire un nom et à le chanter haut et fort. Quelles sont ces choses qui t’ont aidée à surmonter le poids de ce secret d’identité, pour en quelque sorte rééquilibrer les choses et te permettre d’avancer ?
Carmen Maria Vega : Je suis fondamentalement quelqu’un qui va de l’avant. Il fallait que tout ça devienne de la matière créative. Et pour arriver à ce résultat, il fallait déjà être prêt pour en parler. C’est pour cette raison que le titre de mon deuxième album, Du Chaos naissent les étoiles, a pris tout son sens lorsque je suis revenue du Guatemala en 2011. On y parlait pas encore de mon histoire : je n’étais vraiment pas prête pour en parler. Il fallait que je fasse le ménage et que j’entame une véritable introspection. C’est pour cette raison que je me suis dédiée à d’autres projets musicaux. Et je n’aurais pas pu faire Santa Maria si j’avais encore été en crise et déprimée. Je crois que c’est important que chacun transforme ses propres casseroles en matière positive.
« J’ai surtout trouvé qui j’avais décidé d’être. C’est finalement ce qu’il y a de plus important, malgré les mensonges et tous ces trucs. Ouais, je suis plutôt en paix avec mon passé maintenant »
Du Chaos naissent les étoiles : tel est donc le titre de ton second album, qu’on a effectivement envie de faire rimer avec anticipation voire prémonition. Peut-on dire aujourd’hui que Carmen Maria Vega est une étoile qui a -enfin- trouvé le ciel dans lequel s’installer ?
Carmen Maria Vega : Ouais, ouais : je crois que Vega n’est plus très loin (sourire). On est pas trop mal… J’ai surtout trouvé qui j’avais décidé d’être. C’est finalement ce qu’il y a de plus important, malgré les mensonges et tous ces trucs. Ouais, je suis plutôt en paix avec mon passé maintenant. Après, la vie est longue. Mais en tous les cas, j’ai trouvé ma place, et j’y suis bien.
Dernière question, que je qualifierais d’incasable, du fait qu’elle ne semble pas être directement connectée à la thématique globale développée dans Santa Maria. Et pourtant… Bradé : plus qu’une chanson, une véritable histoire qui dévoile toute la finesse et l’intensité de ton interprétation. On pourrait avoir du mal à cerner la relation entre ce récit et Carmen Maria Vega. Pourtant, on comprend l’évidence de la connexion entre les constations de ce titre et la force de ton engagement. Était-il si aliéné ? Penses-tu que cette question puisse un jour trouver une réponse ?
Carmen Maria Vega : Je ne sais pas. Il s’agit là du cancer de notre société. Si je pense qu’il n’appartient qu’à nous d’être en paix avec nos propres démons, Bradé est une chanson qui évoque le licenciement économique. Elle parle aussi du travail comme composante de qui nous sommes, et de ce que nous construisons durant toute notre vie. Nos racines ne sont pas les seules à constituer notre identité. Il y a également les décisions que l’on prend, par choix ou parce qu’on nous les impose. Ce qui nous amène parfois à ne plus savoir qui nous sommes. Le texte de Bradé est très important pour moi. Il a été écrit par Matthieu Côte. C’était un auteur lyonnais. Il est mort il y a neuf ans d’une crise cardiaque alors qu’il n’avait que 29 ans. C’était un ami. Il était trop jeune pour partir. Il avait un répertoire de dingue. J’avais déjà interprété certains de ses textes, notamment Qu’est-ce qu’ils sont cons en 2012. L’honneur sur Santa Maria est aussi de lui. Il avait cette aptitude à être d’une force incroyable lorsqu’il écrivait sur des thématiques sociétales : de vrais coups de poing. Il y avait aussi de la violence dans ses mots : ça me parlait, évidemment. Et cela avait un véritable écho quant à la notion d’identité.
Pour aller plus loin : que penses-tu de notre président récemment élu qui n’hésite pas à qualifier « d’illettrés » et de « fainéants » ceux que le marché du travail ignore. Et donc, comme tu le définissais à l’instant, qui les écarte d’une partie de leur identité ?
Carmen Maria Vega : Je t’avoue que ça fait plusieurs mois que j’ai arrêté de regarder les infos pour mon bien-être mental. Tout me dégoûte en ce moment. D’un président à l’autre, les choses ne changent foncièrement pas. Dans l’absolu, ils restent des pantins qui s’expriment comme ils peuvent : et ils ne savent pas le faire en général. Quant à la question de fond relative au fait de déprécier les individus alors qu’ils font vivre la France, cela va au-delà de l’irrespect. Je t’avoue que je suis un peu blazouille. Pourtant, il ne faut pas se laisser abattre par tout ça. Il ne faut pas que nous nous tirions dans les pattes, qu’on se ligue les uns contre les autres. C’est le jeu des médias depuis toujours en fait. Dès qu’un problème est pointé du doigt, ça dure six mois avant qu’ils ne choisissent un autre problème pour détourner les regards et faire oublier le reste. Je crois que la période est très compliquée pour tout le monde : ça fait un moment et cela semble parti pour durer un peu. Il faut se serrer les coudes. Ce président, celui d’avant, celui encore d’avant : je me demande en fait si nous avons déjà eu un bon président.
Carmen Maria Vega : Site officiel | Facebook | Photos : Julien Jovelin, Patrick Roy, Yann Orhan