Louis Guiyoule est auteur, compositeur, interprète, et multi-instrumentiste. Il apprend les percussions classiques dès l’âge de 7 ans au Conservatoire de Paris avant d’intégrer à 15 ans la Groove Academy pour se dédier à la batterie. Puis au chant et à la guitare à l’école ATLA. Il s’installe à Montpellier en 2012 pour se joindre au groupe Irie Jahzz. Il monte par la suite deux autres groupes : Soul K.L et Streets Souls. Depuis 2016, il se produit en son nom seul. Il a sorti en septembre son premier EP intitulé Peace of Mind.
Bonjour Louis Guiyoule et merci d’avoir accepté cette interview. Si tu as opté pour une perspective solo, tu as enregistré ton premier EP Peace of Mind avec le concours de tes musiciens. Peux-tu nous les présenter et nous parler des circonstances de votre rencontre ?
Louis Guiyoule : Salut Florian, je suis super content de pouvoir répondre à tes questions ! Nous sommes aujourd’hui un sextet. Il y a donc Valentin Jam à la batterie, Paul Parizet à la guitare, Bruno Ducret au violoncelle, Maëlle Desbrosses à l’alto, Nicolas Félices à la basse et moi-même à la guitare et au chant. J’ai bien du mal à me souvenir des circonstances amenant la rencontre de chacun des membres du groupe. Montpellier est une petite ville et le monde des musiciens y constitue un microcosme au sein duquel on finit inévitablement par croiser beaucoup de monde.
Les gars d’Irie Jahzz, au moment où j’ai intégré le groupe, connaissaient pas mal de zigues du milieu. Ils m’ont fait rencontrer un bon nombre de zicos et c’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Paul et Val. Au fil du temps, des relations se sont nouées. Paul et moi nous sommes rapprochés musicalement, ce qui a donné naissance à Street Souls. Quant à Nico, je l’ai rencontré par le biais de Paul : il a très vite adhéré au projet. Bruno était un bon ami de Val. C’est un musicien génial pour lequel j’ai une grande admiration.
La « collision » avec lui s’est faite dans une coloc ou l’on ne trouvait que de sacrés olibrius bourrés de talent. Pour ce qui est de Maëlle, c’est la dernière à avoir intégré le projet, même si on se connaissait depuis un bon bout de temps. On s’est croisés un soir devant un bar et, même si tout est assez flou encore aujourd’hui, je peux juste te dire que l’on est devenus très copains et qu’un beau jour, très naturellement, je lui ai dit : « Ça te dirait de faire partie de mon projet ? ». Ce à quoi elle m’a demandé, avec son humour que je ne peux retranscrire, pourquoi je ne lui avais pas proposé plus tôt.
Paris, Montpellier : un changement d’univers assez radical. Quelles sont les trois choses de Paris qui t’ont le plus manqué lors de ton arrivée à Montpellier ?
Louis Guiyoule : Je dirais d’abord : la sensation que le monde est ouvert sur une infinité de possibilités. Une ville comme Paris, avec son histoire, son activité fourmillante, est à la dimension des rêves que l’on fait enfant puis adolescent. J’imaginais qu’il était plus simple de s’y épanouir artistiquement qu’ailleurs. Les balades aussi. J’aime beaucoup marcher et Paris est une ville faite pour les flâneurs. L’activité culturelle, la diversité des concerts, des musées, des spectacles et des pièces de théâtre me manquent. Sans oublier les bistrots parisiens.
À l’inverse, quelles sont les trois choses que tu ne regrettes absolument pas ?
Louis Guiyoule : Je ne regrette pas le prix des loyers. Si tu ne gagnes pas 2000 euros par mois, tu vis dans un placard à balais, pour peu que tu veuilles habiter dans le centre névralgique de Paris. La météo : là-bas la pollution est assez envahissante et le soleil y est un intermittent fainéant. Et puis je ne regrette pas d’en être parti car à l ‘époque, mis à part une pige à Londres, je n’avais jamais vécu ailleurs.
Le choix de Montpellier lors de ton départ de Paris était-il seulement motivé par le fait de faire partie d’Irie Jahzz, ou existait-il d’autres raisons professionnelles et/ou plus personnelles ?
Louis Guiyoule : Comme je te disais, les apparts bien placés sont hors de prix. L’année qui précéda mon départ de Paris, je travaillais comme pion dans un bahut. Ce n’est pas avec mon salaire que j’aurais pu me payer autre chose qu’une cage à oiseau. Partir à Montpellier était un moyen pour moi de vivre décemment en étant indépendant.
Ton trio de références : Jeff Buckley, Bob Dylan et Billie Holiday. Pourrais-tu me citer pour chacun d’entre eux un seul titre de leur répertoire et dévoiler ce qui te touche plus particulièrement ?
Louis Guiyoule : Je suis content que tu me demandes de parler de mes « maîtres ». Le morceau de Buckley qui m’a marqué et dont je me suis le plus imprégné est Lovers should have come over que l’on retrouve sur l’album Grace. Je ne saurais pas comment définir en quelques mots le voyage que je fais lorsque j’écoute Buckley. Ce que je peux te dire en revanche, c’est que je n’aurais probablement pas fait de musique sans l’avoir écouté. Tout en moi entre en résonance avec sa zic. Son timbre de ténor léger si particulier, son interprétation, chaque morceau, chaque histoire contée semble avoir été vécue, si bien que l’on imagine entendre un être ayant traversé plusieurs vies.
Pour Billie, je choisis le morceau Don’t Explain. J’aime sa manière de chanter l’amour. Il y a quelque chose de déchirant en elle, et en même temps, de tellement doux et généreux. Enfin c’est ce que je me figure quand je l’entends. Chez Dylan, c’est la puissance de l ‘écriture que je trouve prodigieuse. Il y a un nombre incalculable de textes que je ne pige pas mais il m’en parvient quand même quelque chose qui nourrit mon imaginaire. Le morceau que j’ai le plus écouté est Let Me Die In My Footsteps que l’on retrouve sur des bootlegs. Il y a un rapport à la solitude qui m’a toujours fasciné chez Dylan.
As-tu dans ta famille d’autres personnes pratiquant la musique ? Quels sont les points de convergences que tu as avec elles ?
Louis Guiyoule : Mon petit frère est le premier à avoir pris une guitare et j’ai toujours jalousé son toucher. Il a le blues, et un jeu très fin inspiré de B.B.King. Je suis le seul à avoir voulu pousser l’expérience en dehors de ma chambre.
Comment l’as-tu vécu ?
Louis Guiyoule : J’ai commencé par mal le vivre. Tout d’abord parce que mes parents n’y voyaient aucune perspective d’avenir. Et puis, je dois bien l’avouer, parce que j’étais parfaitement inconscient de ce que cela impliquait. Quels sont les différents métiers du monde de la musique ? Comment en vit-on ? C’était un monde que je fantasmais beaucoup et que je n’ancrais dans aucune forme de réalité. J’ai beaucoup appris depuis. Aujourd’hui, mes parents ont fini par l’accepter et m’accompagnent dans ce que j’entreprends avec une grande bienveillance.
Vis-tu de ta musique aujourd’hui ?
Louis Guiyoule : Je ne vis pas de ma musique ou de la musique. Je travaille à mi-temps comme animateur sportif dans une école. En outre, je suis au Conservatoire en Musiques Actuelles à Nîmes. Sinon, je consacre le reste de mon temps à mon développement culturel et à mon projet.
« Je crois que ce qui me frappe surtout dans le monde d’aujourd’hui, c’est le manque d’audace et d’imagination »
Malgré les différentes configurations de groupe auxquelles tu as participé depuis 2012, on sent chez toi une âme artistique finalement assez solitaire. Ce ressenti te paraît-il juste ?
Louis Guiyoule : Ton ressenti est juste, oui. Je ne sais pas si j’ai une âme artistique solitaire, en tous les cas, plus les années passent, plus je m’isole. Entendons-nous bien : les musiciens qui m’accompagnent m’apportent énormément, et la musique ne serait pas la même sans eux. Mais il a toujours été clair dans mon esprit qu’au fil des années, il fallait, pour que je puisse raconter les histoires qui me tiennent à cœur, que je sois le seul à faire les choix artistiques finaux afin d’être le plus proche possible des idées, des sensations et des émotions qui m’habitent ou qui me traversent.
Peace of Mind, ton premier album « solo » paru le 17 septembre dernier, joue sur les mots d’entrée de jeu. « Paix de l’esprit », qu’on pourrait aussi interpréter phonétiquement par « une part d’esprit ». Est-ce à dire que ce premier disque fut pour toi un moyen de retrouver une certaine forme de sérénité en partageant une part de toi avec les autres pour t’en délester ?
Louis Guiyoule : Peace of Mind est effectivement un morceau dont j’ai eu besoin pour retrouver une forme de sérénité, pour me mettre sur un chemin. J’étais dans une période d’autodestruction dont je ne parvenais pas à m’extirper. J’avais besoin de me dire certaines choses, de me reconnecter aussi au monde qui m’entourait. J’avais besoin de me séduire, de m’aimer à nouveau, de rêver encore. Et puis, j’ai écrit ce morceau en pensant à une femme que j’aimais terriblement, et qui m’avait quitté.
S’il ne devait y en avoir qu’une, quelle serait la cause de tes plus grandes agitations intérieures ?
Louis Guiyoule : Il y a un sacré paquet de questions qui animent mon for intérieur ! Mais je crois que les premières sources d’agitations qui m’ont poussé à chanter sont l’abandon et la perte d’amour. Je parle de ce que les Grecs appelaient – je crois – l’Eros primordial, l’amour comme souffle créateur. Je parle d’un amour nourricier.
Rock my soul ouvre le bal de Peace of Mind. À l’instar du titre EP et de The Stairs, son enregistrement a été financé par la campagne KissKissBankBank finalisée avec succès en mars dernier. Dans ce titre, tu affirmes connaître les règles de ce nouveau monde à cet autre que tu sembles vouloir convaincre d’ébranler ton âme. S’agit-il uniquement d’une déclaration d’amour, ou un autre message se cache-t-il derrière ?
Louis Guiyoule : Rock my soul était avant tout un morceau léger, témoignant de la simplicité d’une connivence entre deux êtres partageant un sentiment amoureux naissant. Et puis finalement, je l’ai trouvé un peu gnangnan. Alors j’ai voulu y rajouter autre chose, j’ai voulu y parler maladroitement, car il est rare de voir des gens qui ne sont pas maladroits lorsqu’ils parlent d’amour, des idées préconçues que l’on peut en avoir. De l’égoïsme dont on fait parfois preuve en amour.
J’ai été marqué par une phrase de Jacques Lacan : « Aimer, c’est donner ce que l’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». J’ai voulu évoquer ce qu’il y a de personnel dans la manière dont chacun le vit. Ce qu’il y a d’universel aussi, car c’est un mot que l’on retrouve sur toutes les lèvres. Mais je ne fais que survoler tout ça. Le but était de laisser l’impression d’un morceau un peu plus profond qu’il n’y paraît.
Un autre morceau attrayant, le plus long de l’EP avec plus de 7 minutes au compteur : The Expanse of the sky. On perçoit les facettes de ses sonorités rappelant celles d’une prière. Celles aussi de Mojo Pin de Jeff Buckley. Quelles sont tes perspectives pour le monde de demain, différant de celles dont il semble vouloir se parer ?
Louis Guiyoule : Ah ! Je suis content si ce morceau t’a plu ! Avec Peace of Mind, c’est le deuxième morceau qui, comme tu le dis, résonne comme une prière, un serment, un vœu. Celui de ne pas abandonner, de ne pas s’abandonner. Jamais. J’ai 29 ans mais je reste un grand enfant, et ma connaissance de l’histoire et du monde d’aujourd’hui est très lacunaire. Tout va bien vite pour moi et je ne pourrais pas te dire ce que j’espère pour le monde de demain. J’essaie d’apaiser mes angoisses, de travailler à une indépendance pérenne, de prendre soin des gens que j’aime. C’est déjà beaucoup de boulot ! Pour te répondre, je pourrais paraphraser Brel en souhaitant aux gens d’avoir plein de rêves et d’en réaliser quelques-uns. Je crois que ce qui me frappe surtout dans le monde d’aujourd’hui, c’est le manque d’audace et d’imagination.
Elles ne t’ont pas fait défaut en tous les cas, et on souhaite que cela continue ainsi pour tes prochaines productions. Un grand merci une fois de plus pour cet échange Louis Guiyoule.
Louis Guiyoule : Merci à toi aussi Florian. Je suis très heureux d’avoir répondu à tes questions, d’autant plus que certaines ne m’avaient jamais été posées.
Louis Guiyoule : Facebook | Photos : Vincent Prete