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Pleine Lvne | Mélancolie hurlée à l’envi

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Pleine Lvne est un jeune groupe lyonnais formé par Laure Villemin et Nicolas Gasparotto en 2017. À 35 et 31 ans, ces profs de musique troquent leurs enseignements quotidiens pour livrer leurs sensations à travers leur propre musique. Une musique qui, si elle invite à parcourir les airs, dissimule une quête de sens confiée à demi-mot dans Tempest, un premier EP paru le 2 mars. Rendez-vous en terre bien connue souvent perdue, d’un simple regard ou d’une unique intention.

Bonjour et merci d’avoir accepté cette interview. J’aimerais d’abord revenir sur vos parcours respectifs. En commençant par toi Nicolas. Tu es auteur, compositeur, interprète et producteur et tu as déjà fait partie de plusieurs groupes de rock et hardcore : Medusa in my Knickers, Parmi les loups, Fallaster. Tu as ensuite participé à un projet électro : Septanbre, qui avait intégré la sélection Rhône-Alpes Arts en septembre 2012. Trois ans plus tard en septembre 2015, tu as sorti un premier EP en solo intitulé We Kneel in the Shade, en guitare-voix.

Nicolas Gasparotto : Salut Florian. C’était très folk, très acoustique, très épuré. Il s’agissait en fait des prémices de Pleine Lvne.

J’ai pris le temps d’écouter ce premier EP, tu t’en doutes. Si j’ai pu effectivement distinguer les correspondances entre ce projet solo et le premier EP de Pleine Lvne sorti début mars, Tempest, on est très éloigné de cette première phase de ton parcours rock et hardcore. Qu’as-tu gardé de cette période pour l’écriture et la composition des titres de Tempest ?

Nicolas Gasparotto : C’est vraiment une super question. C’est peut-être éloigné effectivement en termes de style. En termes d’énergie aussi, qui n’est pas la même lorsque l’on produit ou que l’on écoute du hard ou de la musique folk. En revanche, j’ai conservé une forme de mélancolie de cette époque. Ces groupes de hard et de métal sont coutumiers de cette mélancolie, ce qui fait qu’il est complètement possible au sein d’un même album de retrouver des morceaux très agressifs et d’autres beaucoup plus atmosphériques, tristes, calmes. C’est quelque chose qui m’a toujours parlé, aussi bien dans ces sphères musicales que dans mes influences, à l’instar d’un groupe comme Katatonia. J’ai enlevé le côté agressif du hard pour n’en conserver que le fond mélancolique, introspectif. Y compris au niveau des paroles.

Elle te vient d’où cette mélancolie, au-delà des genres et des groupes de musique que tu as connus ?

Nicolas Gasparotto : Je ne pourrais pas vraiment l’expliquer… En tous les cas, il y a quelque chose qui touche au cœur, à l’âme. Et je trouve que la musique mélancolique est plus que de la musique. Il y réside une émotion durable, profonde. Je suis bien plus attiré par cette mélancolie musicale que par le genre dans lequel elle s’exprime.

pleine lvne live

S’il ne devait y avoir qu’un titre phare incarnant complètement cette mélancolie que tu évoques, lequel serait-il ?

Nicolas Gasparotto : Sans hésitation et parce qu’il se trouve en plus que j’en ai parlé avec un ami très récemment, ce serait la chanson Unfurl de Katatonia. Il illustre bien ce mélange qui me parle tant, fait de mélancolie, de poésie, de sonorités un peu électro, d’une voix très douce. C’est LE titre qu’il faudra mettre à mon enterrement (rires).

Ta première rencontre avec la musique, c’était quand ? Quelle formation musicale as-tu suivie ?

Nicolas Gasparotto : C’était un parcours qui fut assez long, décousu aussi. En gros, j’ai commencé la guitare classique assez jeune. Je n’ai pas été vraiment intéressé par l’instrument. Du coup, je me suis mis à la MAO (ndlr : Musique Assistée par Ordinateur) vers l’âge de 13 ans. J’ai tout de suite été séduit car elle me permettait d’exploiter complètement mon côté créatif et mon goût pour la composition. Le métal est arrivé quelques temps plus tard, et là, il était évident qu’il fallait que je reprenne la guitare. J’ai donc commencé à jouer de la guitare électrique, notamment au sein des groupes que tu citais tout à l’heure, et ce pendant une dizaine d’années. En parallèle, j’avais toujours l’envie de participer à des projets plus électro.

D’où le projet Septanbre

Nicolas Gasparotto : En effet. Avec toujours cette formation continue, en autodidacte sur le terrain, mais aussi au sein du Conservatoire de Lyon. J’y ai passé un diplôme d’études musicales. Voilà comment on pourrait résumer les choses, de mes 7 ans à aujourd’hui.

Passons à Laure. Laure Villemin, violoniste et professeur de musique. Tu as notamment enseigné au sein de l’école d’Oullins et celle de Vénissieux. Tes études de violon se déroulent à Grenoble puis à Villeurbanne. Tu intègres ensuite le Centre de Formation des Enseignants, le CEFEDEM Rhône-Alpes, entre 2006 et 2007.

Laure Villemin : Rien ne manque, c’est exact.

Une formation plus classique que celle de Nicolas. Quant à tes influences, on passe de la musique classique aux musiques actuelles. Les musiques irlandaises aussi : tu as d’ailleurs participé au spectacle Legend’Eire. On apprend également que tu apprécies tout particulièrement l’improvisation XXe et Renaissance : peux-tu nous en dire plus ?

Laure Villemin : En tous les cas, tu ne manques pas d’infos ! Effectivement, j’ai une formation musicale très classique que j’ai entamée très tôt. Ma maman est chanteuse lyrique : j’ai donc baigné dans la musique classique, l’opéra et la musique sacrée entre autres. J’ai également joué en orchestre. Un orchestre de musique contemporaine intégrant des chœurs, qui s’appelait l’Ensemble Relecture et Création, et dans lequel j’ai pratiqué l’improvisation contemporaine dans le cadre de ma formation. Ce qu’on appelle improvisation contemporaine concerne des textures sonores, des modes de jeu dépassant les limites du classique. Je m’en sers dans mon langage musical comme beaucoup d’autres violonistes et d’orchestres en musiques actuelles.

Des groupes, comme Other Lives par exemple, développent des textures de cordes, des glissades et des textures très organiques. Je retrouve cette approche contemporaine lorsque nous enregistrons avec Nicolas. Je ne joue pas du tout en mesure, volontairement, pour casser le côté métrique et intensifier les aspects éthérés, vaporeux de la musique. Un nuage sonore en fait. Il s’agit d’une application du langage contemporain dans les musiques actuelles. Quant à l’improvisation Renaissance, ça fait très longtemps que je ne pratique plus. Il faut savoir que l’improvisation remonte à l’époque grégorienne. Beaucoup de musiciens passent par l’improvisation pour créer. Moi-même, je passe par elle. Par des croquis sonores.

Je possède d’ailleurs un violon que j’ai un peu déréglé pour accompagner Nicolas, qui est accordé en scordatura, une technique qui date de l’époque baroque. C’est comme un open sur une guitare. Ainsi, mon violon résonne beaucoup plus et s’accorde à la voix de Nicolas. En définitive, le langage que j’utilise est teinté de beaucoup de choses : de mon enfance, de mon éducation musicale, de musiques actuelles.

« Je pense qu’au-delà de la musique dite universelle, des lignes existent qui touchent les gens sans que l’on puisse expliquer pourquoi. »

À quand remonte ton premier coup de foudre musical ? C’était où, avec qui ?

Laure Villemin : Ce sont plus des rencontres que des répertoires ou des styles musicaux qui m’ont vraiment inspirée et encouragée à faire moi-même de la musique. J’ai eu plusieurs claques musicales dans ma vie, notamment avec Olivier Messiaen et Henri Dutilleux.

Qu’écoutais-tu à 5 ans ?

Laure Villemin : Des choses que j’écoutais par obligation, à l’instar justement d’improvisations signées Messiaen. C’était barbant pour moi…

Et mine de rien, c’est resté…

Laure Villemin : Oui. C’est devenu ma Madeleine de Proust lorsque j’ai réécouté ça plusieurs années après, comme la Turangalîla Symphonie. C’était à l’auditorium de Lyon. Une claque monumentale en définitive, avec des orchestres vraiment impressionnants. Ce qui m’a beaucoup encouragé à faire de la musique, c’est aussi la musique chorégraphique. J’écoutais le Sacre du Printemps de Stravinsky quand j’étais ado. Et jusqu’à mes 20 ans, mon rêve était d’écrire une musique de ballet ou une messe.

Il ne s’agit pas ici du Sacre du Printemps mais de celui de la tempête. Nous y reviendrons dans quelques instants. Pour le moment, je voudrais qu’on explore ensemble le pourquoi du comment vous vous êtes rencontrés. C’est tout de même fou ce choc artistique, musical et culturel, qui s’opère lorsque l’on parle de vos parcours individuels respectifs. Quand une admiratrice enthousiaste de Mozart rencontre un aficionado de Rammstein… Quelles ont été les circonstances de votre rencontre ?

Laure Villemin : Nous nous sommes rencontrés par le biais de nos collègues de travail et de croisements professionnels sur Lyon. Tu évoquais justement cette rencontre entre Mozart et Rammstein (rires) : je crois que la mélancolie est l’élément qui nous a rassemblés. J’ai senti en Nicolas le fait de pouvoir être comprise dans ma sensibilité, dans certaines parties créatives intimes. Je pense qu’il y a une résonance par rapport à la personnalité de Nicolas et à ce qu’il propose artistiquement.

Nicolas Gasparotto : C’est tout à fait ça. Ensuite, le projet Pleine Lvne a vraiment commencé en septembre 2017. Ces débuts coïncident avec la sortie du clip de notre premier single, Tempest. Avant ça, nous avions avancé dans l’ombre pendant un an. Nous n’avions pas encore le nom du projet. Il s’agissait plus d’un travail musical. Nous avons travaillé huit morceaux en tout, totalement acoustiques, et axés sur mon travail en solo. Elle venait chez moi, j’allais chez elle. La transformation s’est produite progressivement. Le projet a pris une tournure plus électrique.

Une sensibilité partagée donc, à travers deux univers qui pourront paraître pour beaucoup très éloignés l’un de l’autre. Et qui finissent par se rejoindre avec Pleine Lvne. Pourquoi ce nom ?

Nicolas Gasparotto : Il s’agissant pour nous de celui qui symbolisait le mieux le yin et le yang. La Pleine Lvne est belle, romantique, esthétique. Mais elle est aussi inquiétante, angoissante.

Passons maintenant à cet EP, Tempest, paru le 2 mars. En commençant par revenir à cet article que j’ai trouvé sur le web, consacré au Toué. Je crois que Laure va immédiatement tilter. Pour faire court, le Toué est un cri de détresse, une douleur, qui a donné naissance à un genre musical que l’on rencontre chez les Kroumen de Côté d’Ivoire. Cet article date de 2012 : il est introduit par une citation de Stendhal tirée de ses Lettres sur Haydn : « Rien n’est plus absurde que toute discussion sur la musique. On la sent ou on ne la sent pas, puis c’est tout. » Et il se poursuit par une autre citation tirée quant à elle de ton mémoire de fin d’études Laure : « La musique, on s’accorde à le dire, serait intraduisible par les mots. » Je profite donc de la présence de Nicolas, le songwriter de Pleine Lvne, pour te poser la question suivante : en quoi la musique pourrait-elle alors être porteuse de sens et par quels moyens l’exprimer ?

Laure Villemin : C’est une très bonne question. J’avais intitulé ce mémoire duquel cette citation est tirée : Du discours sur la musique au discours musical. Je l’avais rédigé dans la perspective d’enseignement connectée au métier de professeur. Dans sa responsabilité de pouvoir démystifier et de rendre accessible les « tours de magie ». Il y a toujours une part de magie dans la musique, et heureusement d’ailleurs. Mais si je veux par exemple faire une musique mélancolique, je sais quel timbre je vais plutôt utiliser, quelle tonalité, à l’instar d’un créateur de parfum qui va articuler telle ou telle note autour de celle de tête qui correspondra le mieux à l’objectif attendu. Cette citation tirée de mon mémoire méritait d’être à nouveau contextualisée.

Quant à la question du sens en musique, il s’agit là d’une question vraiment intéressante qui reste difficile à expliciter. Je pense qu’au-delà de la musique dite universelle, des lignes existent qui touchent les gens sans que l’on puisse expliquer pourquoi. Des lignes intégrées dans une tradition aussi, dans une sensibilité qui se transmet de génération en génération sur des ressentis musicaux, des phénomènes artistiques qui correspondent à des émotions bien particulières. En tant que prof, nous tentons d’expliquer comment on fabrique ça. Si cela ôte une partie de la magie de la musique : désolé !

Alors oui et non, car de la magie, il y en a dans ce premier EP, Tempest. Et notamment dans sa progression à travers ses trois titres qui racontent déjà une histoire. Je vais très simplement partager la façon dont je l’ai perçue. Cette progression semble s’appuyer sur l’occurrence d’un évènement dévastateur. Une introspection nécessaire lui succède en seconde plage avec le titre A Clouded Look. Pour finir sur un isolement qui semble inévitable dans Safe in the Dark. Quelles sont les connexions entre cette histoire et ta réalité Nicolas, toi qui est le songwriter de Pleine Lvne ?

Nicolas Gasparotto : Les liens avec ma réalité, notre réalité, me paraissent difficile à percevoir en fait. Comme le disait Laure juste avant, ce qui me plaît dans la musique, c’est justement ce côté magique…

Où chacun se fait sa propre interprétation…

Nicolas Gasparotto : Oui, il y a de ça. Magique aussi dans le sens où les choses sortent un peu comme ça. Du coup, ça peut être expliqué mais pas toujours explicable. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire par là…

Je comprends. Ceci dit, il s’agit d’une réponse que l’on me fait assez souvent. Mon idée, c’est d’aller au-delà de cette réponse, et de creuser, notamment le ressenti très personnel de l’artiste. L’artiste devant sa page blanche et ses lignes de partitions vides, et qui les remplit. Et en l’occurrence, à deux. Quels sont les liens entre ce qui est évoqué dans ces trois morceaux et vos réalités ?

Nicolas Gasparotto : Je vois. Le titre de l’EP qui porte celui de notre premier single, Tempest, n’a pas été choisi par hasard en effet. Musicalement, on ne s’imagine pas cette tempête. La chanson est très mélodique, très douce. Cela rejoint cette dualité portée par le nom de notre projet.

À quoi pensais-tu lorsque tu as écrit le texte de Tempest ?

Nicolas Gasparotto : À la souffrance humaine. Comment peut-on vivre, agir et réagir avec cette souffrance-là ? L’idée de Tempest est d’imager des situations parfois très complexes. Comme lorsque l’on va rendre visite à une personne en souffrance. Comment va-t-on réagir ? Comment va-t-on se positionner par rapport à elle ? J’aime bien les mots de la fin : si tu ne peux pas guérir la souffrance des autres, fais attention à ce que tu peux leur dire.

pleine lvne studio

On perçoit une vraie intimité, et une corrélation très personnelle…

Nicolas Gasparotto : Oui et non parce que j’aime bien aussi que les textes de nos chansons restent des textes de chansons. Ensuite, elles peuvent être tirées d’expériences singulières ou de nos vécus. Ce n’est pas évident en tous les cas de parler des textes. J’aime bien qu’ils puissent avoir un côté réel, ou pas. Qu’ils puissent traduire des sensations. A Clouded Look et Safe in the Dark n’ont pas été écrites de la même manière que Tempest : elles sont justement des chansons de sensations. Essayer de mettre une sensation sur le papier, c’est très compliqué. Il y a une sensation par exemple que je n’ai pas encore eu l’occasion de traduire musicalement : il s’agit de celle que l’on ressent bourré à 5h du matin, au milieu d’un endroit bruyant et baigné de lumière, sans savoir où l’on est (rires). C’est typiquement le genre de sensation que Pleine Lvne pourrait demain mettre en musique. À l’instar de A Clouded Look pour tenter de traduire cette sensation de nuage cotonneux ; de Safe in the Dark pour tenter de transmettre ce que l’on ressent perdu au milieu de nulle part dans l’obscurité et comment on fait pour s’y sentir bien malgré tout.

Après la contemplation, après l’introspection, après cette sensation de sécurité dans l’obscurité, quelles seront les prochaines grandes thématiques « sensationnelles » qui seront évoquées dans les chansons de Pleine Lvne ? Des concerts sont-ils déjà prévus ?

Laure Villemin : Pour nos prochaines compositions, le fait d’avoir pris le temps de nous connaître esthétiquement comme le disait Nicolas tout à l’heure nous permet de créer aujourd’hui un univers commun qui reste fidèle à toutes nos sensibilités. Notre but est de trouver une multitude de couleurs, de concevoir aussi de toutes pièces des objets esthétiques. C’est un terreau fertile qui va nous permettre de continuer à nous exprimer, que ce soit durant nos phases créatives mais aussi sur scène. Comme lors de notre prochain concert qui aura lieu jeudi 5 avril au Kraspek Mysik à Lyon, en première partie de Tit For Tat.


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