Sorti dans les salles en septembre 2020, Le bonheur des uns… est un film réalisé par Daniel Cohen qui, malgré des critiques partagées, ne manque pas de piquant. Au-delà de leur bonheur et du malheur des autres, l’heure est à une analyse parfois sarcastique de l’envie et de ses conséquences. Mais pas seulement…
Léa (Bérénice Bejo) est vendeuse dans un magasin de vêtements. Son hypersensibilité fait des merveilles et lui permet de convaincre toutes ses clientes, y compris les plus hésitantes. Et si elle passe beaucoup de temps à arranger ses rayons, elle est en réalité là sans l’être. Au travail, en pause, elle passe en effet son temps à observer, avec pudeur et bienveillance, les gens qui passent. Elle leur invente de multiples vies qu’elle couche ensuite sur le papier. Au détour d’une conversation imprévue avec un auteur célèbre, elle finit par en écrire un livre. Sans trop y croire. Pourtant, le succès est bel et bien au rendez-vous.
Ce succès en désarçonne plus d’un, à commencer par son conjoint Marc (Vincent Cassel). Il travaille dans une entreprise qui fabrique des pièces en aluminium. Il est terre-à-terre, sans doute un peu trop craintif quant au fait de la perdre elle. Par conséquent, lorsqu’elle lui demande de lire son manuscrit avant tous les autres, il accepte mais sans s’exécuter. À l’inverse, la meilleure amie de Léa, Karine (Florence Foresti), tombe des nues lorsque celle-ci lui fait part de son projet en cours. Elle et son mari (François Damiens) s’embarquent dès lors dans une quête artistique pour tenter de l’imiter. Entre l’indifférence doublée de rejet de son homme et l’envie exacerbée de sa copine depuis l’enfance, Léa ne sait plus, au bout du compte, à quel saint se vouer.
Le bonheur des uns… Qui interroge celui de chacun
La peur panique du choix éprouvée par le personnage de Léa trahit sa nature d’entrée de jeu. Voilà que nous avons affaire à une femme qui, malgré l’ambition qu’elle éprouve, tente à chaque fois de contenter les attentes de tous avant les siennes. Toute sa responsabilité, ainsi que la trame du scénario du film réalisé par Daniel Cohen, reposent sur cette nature-là. Une nature qui ne demande qu’à s’épanouir et que les autres le comprennent, sans pour autant être apte à s’imposer d’elle-même. Cet état permanent d’indécision mène Léa à perdre le contrôle de sa propre vie. Ceci étant, le « hasard » faisant bien les choses, la rencontre avec cet écrivain reconnu forme l’étincelle qui la décide finalement à se laisser tenter.
Chaque nouvelle étape vécue par le personnage de Léa est l’occasion de révéler les intentions des gens qui l’entourent. Si elles recèlent beaucoup d’amour et d’amitié, elles dévoilent le revers de ces derniers à l’instar de celui d’une médaille. Elles interrogent l’envie, la jalousie, le désir de possession, la propriété sentimentale. En parallèle, elles mettent à jour l’inégalité de beaucoup face à la juste considération des choses. Alors que son conjoint demeure tiraillé entre son refus d’être entretenu par sa femme et son angoisse de la perdre, Léa, elle, cherche seulement à le remercier et à l’aimer. Et là où sa meilleure amie voit une compétition, elle n’y voit que des confidences. Bien des biais d’interprétation existent au quotidien : les communiquer à l’autre semble être une bonne solution pour éviter les déconvenues, les ruptures et les caricatures. Hormis celles qui sont inévitables. Dans ce cas, autant apprendre à vivre avec. Ou sans, c’est selon. Mention spéciale pour Bérénice Bejo qui, grâce à une interprétation authentique et élégante, incarne idéalement la liberté de devenir soi et de fièrement le rester.