Après avoir écrit et réalisé Juliette en 2012, premier long métrage au rendu mitigé, Pierre Godeau nous revient plus épris que jamais avec son second film, Éperdument, mettant en scène Guillaume Gallienne aux côtés de la nouvelle égérie de Sean Penn, Adèle Exarchopoulos. Plongée au cœur d’un système carcéral que se mue progressivement en prison des sentiments et du moi profond.
Sorti mercredi dans les salles, Éperdument est l’adaptation du roman de Florent Gonçalves paru en 2012 et intitulé Défense d’aimer. Dans son livre, l’auteur décrivait ce fait réel impliquant un ancien directeur de prison et une femme ayant servi d’appât dans l’affaire du « gang des barbares ».
J’aime un peu ce film : c’est ce que je ressens en tous les cas au début de sa projection en écoutant cette petite chanson et ce silence régnant dans les dédales de cette prison que cette jeune femme qui les parcourt impose. Ce qui me convainc de rester assis : mon souvenir de l’affiche du film, sombre et sauvage, le jeu de ces deux regards qui en dit long. Et Guillaume Gallienne qui, débarrassé de ces attributs pompeux de « la Comédie Française », fait figure une fois de plus de référence tant dans la technique qu’il déploie avec brio et simplicité que dans son ressenti d’acteur porté par la seule justesse du ton de sa voix.
Je l’aime beaucoup car Pierre Godeau réussit très vite le tour de force de murer le spectateur dans sa propre perplexité tout en l’excluant de ce procès à huis-clos à l’issue duquel Anna, la jeune héroïne nous ayant montrés le chemin et emprisonnée depuis déjà quelques années, sera jugée pour son crime. La nature de celui-ci n’est pas dite. On comprend qu’il a un rapport avec sa beauté, son charisme, cette fièvre qu’elle porte en elle et qu’elle sait instiller, instrumentaliser. On comprend qu’il n’est pas anodin car la peine pressentie pourrait dépasser les douze ans de réclusion criminelle. Autant dire la perpétuité pour une jeune adulte, fille d’une mère qu’elle aime sans pouvoir expérimenter pleinement son lien avec elle, orpheline d’un père parti ou mort : elle-même l’ignore.
Je l’aime passionnément au moment où l’histoire prend ce tournant déroutant et pourtant si humain. Lorsque l’inversion se produit et que la prison faite de pierres, de barreaux, de fils de fer devient celle constituée par l’enveloppe charnelle, spirituelle, sentimentale, faible de l’être humain. Lorsque le cœur ne cherche même plus à transiger avec la raison. Lorsque l’échappée belle devient la seule échappatoire. Lorsque creuser son trou jusqu’aux canalisations, jusqu’à sa liberté, revient à en creuser un sous ses principes jusqu’à sa vie. Celle que l’on a dans ses tripes, incarcérée par les formats et l’idéologie.
Aimer jusqu’à la folie ? Éperdument est bien plus élégant. Éperdument est bien plus allusion, intuition. Éperdument est un puzzle composé d’une infinité de pièces dans lequel les atrocités d’un gang côtoient les amours interdits et les systèmes de valeurs qui s’effondrent tant le modèle s’épuise. Tant le sens demeure aux abonnés absents.
Le désir de liberté déchaîne les passions les plus dévastatrices et simultanément les plus connectées à nous-mêmes. Jusqu’à la perdition de tout ce que nous sommes. Jusqu’à l’expression de cet essentiel qui fait toute la complexité de l’homme.