Mercredi sortait dans les salles obscures le long-métrage 2015 de Woody Allen intitulé L’homme irrationnel. À la fin de la projection, cette douce sensation envahissant tout votre corps ainsi que votre esprit, signature inimitable du grand Woody, confrontant comme à son habitude ses personnages et leurs méandres psychologiques à ce que nous aurions pu être entre ses mains et à leurs places.
Voilà quelques semaines que je n’avais pas pris le temps d’écrire quelques lignes dans cette rubrique cinéma. Certes, un manque de temps m’en a empêché. Mais ce motif n’est pas le seul qui puisse expliquer cette inactivité soudaine.
L’industrie du cinéma dans sa globalité connaît actuellement une crise majeure liée directement à l’originalité des scénarios qu’elle désigne unilatéralement comme étant ceux de demain. D’un côté, des machines futuristes, des supers-héros bodybuildés, l’horreur ridicule, les figures de proue tirées de « best-sellers littéraires ». De l’autre, l’entre-soi, le bon sentiment dégoulinant, l’élitisme made in Paris, la culture exemplaire qu’on voudrait en tous les cas nous imposer comme telle.
Au centre, le vide. Un néant créatif, imaginatif, réaliste, intellectuel. À quelques exceptions près.
Je regrette de ne pas avoir écrit fin juillet sur l’adaptation de l’œuvre de Saint-Exupéry, le Petit Prince, et signée Mark Osborne, qui a su réinventer cette histoire universelle en réussissant l’exploit de ne pas l’entamer.
Je regrette de ne pas avoir écrit sur le film de Jonathan Demme, Ricki and the Flash, ce biopic émotionnel déroutant sorti début septembre, et porté par une Meryl Streep d’une justesse toujours aussi poignante.
Je regrette aussi de ne pas avoir mis en lumière le long-métrage d’Afonso Poyart, Prémonitions, sorti une semaine plus tard. Malgré le choix facile d’Anthony Hopkins pour ce rôle central de John Clancy, le duo formé par ce dernier et Colin Farrell avait pourtant transcendé l’intrigue machiavélique et ésotérique de cette production.
Je regrette également l’impasse que j’ai faite sur Life, le biopic dédié à James Dean et réalisé par Anton Corbijn, dans lequel le jeune Dane Dehaan incarne complètement son rôle en dépit de ces ambivalences qui manquent aux contours de son personnage, révélant une direction artistique sélective quant à la personnalité sulfureuse de James Dean plus qu’un défaut d’interprétation.
Je regrette par-dessus tout de ne pas avoir écrit sur Marguerite, cette baronne fortunée ressentie dans ses moindres failles humaines par une Catherine Frot qui laisse une fois de plus sans voix.
Quoiqu’il en soit, je ne regretterai pas de ne pas avoir valorisé la dernière œuvre de Woody Allen, L’homme irrationnel, témoignage de la main d’un maître inimitable lorsqu’il s’agit de mettre le spectateur au pied du mur.
On y retrouve son égérie du moment, Emma Stone, qui après avoir donné la réplique à Colin Firth l’année dernière dans Magic in the moolight, se retrouve cette fois-ci face à Joaquim Phoenix, toujours plus troublant de réalisme quant à son jeu.
Un jeu qui n’en sera finalement pas un entre cette étudiante en philosophie mêlant assurance et romance, et ce professeur irrationnel et irrésistible venant tout juste de débarquer sur ce campus à quelques encablures de Providence.
Les grands noms de la philosophie classique et moderne servent une analyse finalement très pragmatique du monde et de ses acteurs dont ils finissent par se retrouver totalement exclus. Cette réflexion pousse à l’introspection, et initie une relation à l’autre progressivement bouleversée. Le prof alcoolique et souffrant de sa liberté trouve par ses propres moyens le sens de sa vie. L’étudiante privilégiant autant son intellect que son instinct en fait de même, sans s’en rendre compte.
L’issue de cette histoire, comme toutes celles de Woody, est empreinte de cette élégance rare marquant votre visage de ce petit sourire presque invisible. Avec cette question dans votre tête se posant très simplement à vous : qu’aurais-je fait à sa place ?