Lydie Baron et Jean-Baptiste Prioul forment depuis un peu plus de dix ans le duo Léonard. Ses sonorités pop, rock et folk à la française se conjuguent à des textes écrits à quatre mains. Des textes qui, par les intentions de leurs auteurs et par la force des choses, parlent très souvent d’amour depuis la sortie du premier EP éponyme du duo en 2012. Son troisième EP, Asynchrones, est paru au mois de février dernier.
Lydie Baron, Jean-Baptiste Prioul, bonjour, et merci d’avoir accepté cette interview. L’histoire de votre duo scénique est aussi celle de votre couple depuis plus de douze ans. À quoi ressemblait votre toute première rencontre et vos premiers émois à deux ?
Jean-Baptiste Prioul : Bonjour Florian, merci à toi pour cette interview d’une grande précision à laquelle nous nous prêtons avec délectation. Nous nous sommes rencontrés lors d’un Printemps de Bourges, nous collions des affiches pour des potes. C’était la nuit, les rues étaient désertes : on a beaucoup ri. Nous étions loin d’imaginer que nous ferions de la musique ensemble et que nous jouerions dans la programmation officielle de ce festival quelques années plus tard !
Quel âge aviez-vous à l’époque ?
Lydie Baron : Nous étions de jeunes étudiants. Nous n’avions pas du tout dans l’idée de rencontrer le grand amour !
Votre relation amoureuse est-elle le fruit d’un coup de foudre ou d’un rapprochement progressif et émotionnellement « maîtrisé » ?
Lydie Baron : Un coup de foudre contre lequel nous avons lutté un bout de temps. Nous ne nous sentions pas prêts, trop jeunes, pas finis. Nous sommes alors devenus amis et nous avons pris le temps de nous observer, de communiquer. L’écriture à quatre mains commence d’ailleurs à ce moment-là. Nous avons aussi pris le temps de nous laisser traverser par toutes sortes de sentiments, de l’amour fou à la détestation absolue… Une tempête émotionnelle dont nous ne sommes jamais vraiment sortis.
Avec le recul, quels éléments vous paraissent déterminants dans la construction à long terme d’une relation intime telle que la vôtre ?
Jean-Baptiste Prioul : Notre amitié profonde est à la base de tout. C’est grâce à elle que nous gardons une admiration intacte l’un pour l’autre et que nous pouvons notamment travailler ensemble et nous supporter (dans les deux sens du terme) dans cette aventure qu’est Léonard.
Dans une précédente interview, vous aviez déclaré : « Comme nous sommes un couple amoureux, nous nous étions promis de ne pas écrire sur l’amour pour éviter une redondance un peu mièvre ». Force est de constater qu’il vous a été difficile de tenir cette promesse. En effet, après deux premiers EPs dont le second, paru en 2014, s’intitule Des Chansons d’Amour, vous remettez le couvert dans Asynchrones, votre troisième opus sorti en février dernier. Le thème de l’amour est-il seulement une source d’inspiration répondant aux attentes du public du duo Léonard, ou est-il aussi le moyen d’exorciser ses complexités qui pourraient toucher le couple de Lydie et de Jean-Baptiste ?
Lydie Baron : Nos chansons sont issues d’une écriture très introspective. En lisant nos textes, on peut tout savoir de notre couple alors que nous n’en parlons jamais dans la vraie vie. Avec le temps, nous assumons de mieux en mieux cette forme d’impudeur parce que ce que nous racontons touche à l’universel. Nous traversons tous les mêmes passions. Écrire des chansons est une façon très poétique de faire de ses problématiques intimes un langage universel et, pour reprendre les mots de Kundera dans L’Immortalité (un livre phare pour cet album), de se sentir appartenir à un tout… De toucher à l’immortalité. Que cherchons-nous d’autre quand on créé ?
Quels sont les trois choses les plus compliquées à manager au quotidien lorsqu’on fait de la musique en couple ?
Jean-Baptiste Prioul : Le baby-sitting de notre enfant (rires), l’exigence extrême que nous avons l’un envers l’autre (que nous ne nous permettrions pas d’avoir vis-à-vis des copains par exemple), et les engueulades de répét’ qu’il faut réparer avant d’aller se coucher. Mais ça, c’est plutôt agréable (rires).
L’équilibre entre vous deux est-il toujours facilement réalisable, ou l’un d’entre vous doit-il malgré tout parfois prendre la barre pour repositionner le couple et le duo sur les bons rails ?
Jean-Baptiste Prioul : Ça dépend vraiment des périodes. Parfois, tout roule, nous n’avons même pas besoin de nous concerter pour savoir où aller. Et puis des fois c’est la guerre et nous engageons un bras de fer qui nous permet d’argumenter et de beaucoup progresser au final. Nous avons chacun des qualités très différentes qui font notre force, nous savons donc respecter le choix de l’autre quand il est bien justifié. Cette gymnastique nous permet de toujours nous poser la question du sens. C’est pour ça que nous aimons cette écriture d’équilibriste qu’est Léonard, qui fait passer des parcours en solo comme étant bien insipides à côté.
Et si vous écriviez et composiez demain une chanson totalement originale qui ne parle pas d’amour ni de votre couple, ni de ses joies, ni de ses méandres, de quoi parlerait-elle ?
Lydie Baron : Ça nous arrive régulièrement ! Nous ne sommes pas monomaniaques (rires). La chanson brumaire, par exemple, parle de la révolution d’un timide. Actuellement, nous sommes inspirés par des choses très extérieures à notre relation ; des amis qui partent faire le tour du monde, le regard des réfugiés de guerre, des orphelins rencontrés en Inde, la religiosité de nos contemporains…
Avant de faire de la musique Lydie, tu as étudié aux Beaux-Arts de Bourges pour te consacrer à l’illustration, aux albums et magazines jeunesse. Dans ton portfolio en ligne, on retrouve certains de tes travaux, notamment tes illustrations conçues pour un album de Liz Van Deuq que Skriber a déjà eu le plaisir de rencontrer il y a quelques mois. C’est en passant les portes du musée d’Orsay à 8 ans que tu compris que ta vie serait dédiée aux arts. Comment cela se traduit-il concrètement à cet âge-là sur le plan émotionnel ?
Lydie Baron : J’ai été éblouie. Je me revois courir d’une salle à une autre en découvrant les sculptures monumentales, les peintures immenses… En sortant du musée, j’ai demandé à ma mère une boîte de peinture. Le soir, je me lançais dans ma première « œuvre » et prenais la mesure de la longue et passionnante route de travail qui m’attendait !
Te souviens-tu d’une œuvre en particulier qui t’avait marquée lors de la visite de ce musée ?
Lydie Baron : J’ai le souvenir d’une immense toile avec une tête coupée qui roulait sur des marches. Elle était signée par Henri Regnault (Exécution sans jugement sous les rois maures de Grenade). Cette peinture m’avait fascinée, non pour son aspect terrifiant mais parce que le peintre avait éclaboussé sa toile très académique avec son pinceau pour faire les giclées de sang… La peinture devenait soudain expressive et contemporaine : un monde s’ouvrait à moi !
« Nous pensons que l’art n’est pas fait pour imposer ou enfermer l’individu dans des idées précises mais pour proposer et ouvrir à la liberté de réflexion et d’action »
Jean-Baptiste, tu es aujourd’hui employé administratif. Tu avais confié que ta guitare était le seul instrument présent chez toi lorsque tu habitais encore chez tes parents. S’il ne devait y en avoir qu’une, quelle serait cette grande référence artistique dans laquelle tu te reconnus instantanément et qui te poussa à entamer et à persévérer dans l’apprentissage et la maîtrise de ton instrument ?
Jean-Baptiste Prioul : Enfant, j’aspirais à jouer du piano, du synthé, du saxo ou encore de la batterie… La guitare n’était pas expressément mon instrument de prédilection. Et encore aujourd’hui, ce n’est pas la maîtrise technique de cet instrument qui m’intéresse mais le son que je crée via les effets. La pratique de la guitare aurait sans doute tendance à m’ennuyer s’il n’y avait pas tout ce jeu autour du son et de l’écriture qui me remet toujours au cœur de la création. Dans leur démarche à la fois artistique et littéraire, Radiohead est indéniablement le groupe qui m’a « accouché » de cette créativité latente.
Quel âge avais-tu lorsque tu t’identifias à cette référence pour la première fois ?
Jean-Baptiste Prioul : Quand j’étais ado. J’avais commencé par écouter les disques de mes parents, Bowie, Hendrix… J’enregistrais sur des K7 des compils de Kraftwerk et Jarre. On m’avait prêté des disques de Nirvana (impeccable pour commencer la guitare) et je découvrais tout juste la “Britpop” via la guerre Blur/Oasis.
Es-tu le seul musicien dans ta famille ?
Jean-Baptiste Prioul : Bizarrement, il y a eu après moi une émulation familiale. Mon frère a joué de la guitare, de la basse, de la batterie. Ma sœur de la batterie. On a fait des bœufs à l’infini, des copains nous rejoignaient par moment, puis une copine…Lydie.
Asynchrones est donc la troisième production de Léonard depuis 2012. Paru en février, les sept titres qui la composent renforcent en peu plus encore la gémellité vocale et d’interprétation entre Lydie et Muriel Moreno aka la chanteuse emblématique du groupe Niagara. Le clip du premier single Ce Charme Fou a été réalisé par Marie Hendricks. Vous lui avez donné carte blanche parce que vous saviez « qu’elle trouverait un nouvel angle à cette chanson […] L’histoire qu’elle en a faite en est une nouvelle ». Si vous souhaitiez effectivement atteindre cet objectif, était-ce seulement pour offrir une autre strate de lecture pour ce titre comme vous l’avez déclaré, ou s’agissait-il aussi pour vous deux de bien distancier l’histoire racontée dans cette chanson et celle de votre couple dans la vie ?
Lydie Baron : Nous pensons que l’art n’est pas fait pour imposer ou enfermer l’individu dans des idées précises mais pour proposer et ouvrir à la liberté de réflexion et d’action. C’est pour cette raison que nos chansons ont souvent plusieurs sens de lecture. C’est typiquement le cas de Ce Charme Fou que nous avons écrite à la suite d’un deuil et qui revêt pourtant des allures de chanson d’amour. Il était donc tout à fait normal, évident, de laisser Marie Hendriks développer sa propre interprétation d’artiste vidéaste. Sa mise en scène de la « mise en abîme » de notre couple est tout à fait judicieuse car il y a de ça en Léonard.
« Dis-moi au revoir et ne te retourne pas. Je sais ton départ : nous l’avons joué tant de fois » : si chaque morceau dans Asynchrones témoigne d’une forte sensibilité textuelle et instrumentale, Au Revoir en dernière plage est sans doute celui qui initie la mise à nu la plus touchante. L’intensité de ce titre m’en a rappelé un autre. Dans sa chanson Sur Toi tirée de son album La Zizanie parue en 2001, Zazie écrivait et chantait : « On n’écrit pas sur ce qu’on aime, sur ce qui ne pose pas problème. Voilà pourquoi je n’écris pas sur toi, rassure-toi ». Qu’en pensez-vous ?
Lydie Baron : Et pourtant, Zazie a écrit cette chanson, ce qui veut peut-être dire que le fait qu’il n’ait pas de problème en est justement un.
Jean-Baptiste Prioul : Pour nous, les sentiments sont des choses qui soulèvent toujours des questions et conséquemment des problèmes. C’est tout le piment de la passion que de se demander à chaque instant si l’amour est toujours là, sous quelle forme, par quel étrange compromis et pour combien de temps encore…
Lydie Baron : Nous avons une chanson qui s’appelle Les Hirondelles et qui résume un peu cette idée : « À l’instabilité des sentiments nous devons d’être amants éternels, au mouvement des hirondelles, nous devrons d’être éternellement amants ». La source d’inspirationn n’est donc pas prête de se tarir pour Léonard !
Léonard : Facebook | Photos : Marie Hendricks, Amar Belmabrouk, Lydie Baron