Pierre-Yves Béna, aka Py, a sorti son nouvel EP le 28 septembre 2020. 5 belles saisons et non seulement quatre. Deux étés au lieu d’un seul. Portrait d’un auteur à la voix écorchée, sachant tout autant raconter les histoires que les interpréter.
J’ai en mémoire ces voyages aux confins de territoires qui semblaient perdus. Qui revivent, sans attendre, dans les mots et le ressenti musical de Py. Le jeune homme n’en est plus tout à fait un a priori. Il a troqué son 77 et sa bougeotte pour une existence plus stable aux côtés de celle qu’il aime et de ses projets de famille. Mais le verbe, lui, demeure. Ainsi que le vœu de musique, de chansons à la conquête des grands espaces de l’autre.
Un autre grâce auquel, et pour lequel, “la page ne se fait plus blanche mais se noircit au contact d’une plume désormais mure, cohérente et libérée pour celui qui a envie d’écouter.” On aura beau ne pas connaître le passé de ce désormais vieux de la vieille avec quarante-deux printemps au compteur : on devine la portée de son intention. Presque aussi précisément que la teneur de son approche. Celle-ci mêle son regard sur notre société et l’émotion que le lien humain peut sublimer. Y compris celui qu’on pourrait croire ne jamais avoir existé.
Du métal à la chanson française : il n’y a qu’un pas
Que Py franchit dans l’allégresse la plus totale. Et pour cause, “quand on écrit des textes, on le fait selon une humeur, une envie”, explique t’il. “Il y a des textes qui vont bien pour le métal, et d’autres pas. J’ai fait le tri. Je trouvais dommage de laisser de côté les textes qui ne convenaient pas au genre.” Ainsi, on les retrouve, d’une part, sur son premier EP, Le droit à l’ennui, paru en 2015. D’autre part, sur son second, 5 belles saisons, sorti tout récemment.
Cette nouvelle production concrétise plusieurs choses pour Py. La guitare qui accompagne sa voix est à présent la sienne. Depuis quatre ans, il explore grâce à elle ses contrées intérieures encore inconnues. En parallèle, 5 belles saisons témoigne de son amour pour la langue française. “J’ai du mal à concevoir de chanter dans une autre”, dit-il. “D’ailleurs, j’ai trop de respect pour l’anglais pour le faire (rires).” Ironie du sort : voilà qu’il fait malgré tout appel à un ami traducteur pour adapter ses textes. En effet, les mots de Py s’exportent en intégrant plusieurs playlists à l’étranger.
Py n’en reste pas moins lucide sur l’époque et l’aptitude de tout quidam à avoir envie d’écouter l’autre. “L’offre musicale n’a jamais été aussi vaste. C’est formidable, on écoute de tout. Mais finalement, on n’écoute plus rien. On est sans arrêt en train de consommer de la musique : c’est devenu tellement facile.” Rien ne vaut un bon vieux vinyle des Doors pour revenir aux fondamentaux. À ce qu’était la musique hier : un bien culturel dans le sens noble du terme.
“On a des grandes stars françaises de pop urbaine qui, dans six mois, n’auront peut-être plus du tout de portée parce quelqu’un d’autre sera arrivé.” Alors, Py perçoit l’incroyable, l’anachronique. Ces sonorités so seventies, “celles qui donnent cette impression qu’elles nous appartiennent beaucoup plus.” Ça résonne avec sa propre perspective instillée dans 5 belles saisons : “Nous somme “ultradata-és”, du fait des logiciels et des plateformes qu’on utilise. Du coup, avoir opté pour ces sonorités-là dans 5 belles saisons, c’est aussi un pied de nez.”
Les 5 belles saisons de Py
Strong Enough pour assumer un affront qui forme clairement un parti pris. Pour remonter le temps et parler de ces choses qu’il n’y aura plus jamais, sans dire que c’était mieux avant. Même si, parfois, ça peut être le cas. “Je voulais que cet EP sonne folk”, souligne Py. “D’une part, parce que je suis fan de Ray LaMontagne. D’autre part, en hommage aux autres grands noms de la folk : Neil Young, Bob Dylan bien sûr, Nick Cave. Ils ont magnifié la musique folk dans ces années-là. En fait, je souhaitais vraiment être dans le ton de cette mouvance. Et pas seulement la représenter par des couleurs automnales sur la pochette de l’EP.”
En ce temps-là, le texte tenait un vraie place dans la chanson. “Aujourd’hui, il s’agit plus d’une synthèse de la synthèse. On a du mal à développer, là où les chansons de l’époque racontaient une histoire.” Alors, Py écrit. De retour à la maison, il range son complet de formateur en commerce pour raconter les siennes. Puis il confie la réalisation de son théâtre grandeur nature à Fred Lafage. Résultat : un autre récit sur cette conquête du temps perdu. Sur celui, aussi, qui reste à chacun. Enfin, sur ses laps qui nous échappent presque.
Quand The Mamas and The Papas rencontrent Polnareff
C’est California Dreamin au Bal des laze. Bertrand Cantat s’y incruste pour jouer de la corde sensible… Et atteindre son but. Dès lors, Céleste est un prénom tout autant qu’une vérité. Impossible de lui échapper, c’est inexplicable, bien plus beau que tous les discours du monde. La filiation vocale entre Py et le leader de Noir Désir laisse sans voix. Puis elle invite une sensation inédite dans J’attendais, une chanson écrite par Py en 2003 après le drame.
“En aucun cas, il ne s’agit d’un plaidoyer grimé en faveur de Bertrand Cantat”, précise Py. “En réalité, la chanson pose la question suivante : comment peut-on se réveiller le lendemain et continuer d’avancer dans la vie après un tel acte ? Après avoir tué la personne qu’on aime ? C’est tous les aspects de la rédemption qui m’intéressaient. Autant que faire se peut, je me suis mis dans la peau de quelqu’un qui tue par passion.”
Py : de la passion à l’extinction
Celle de la mémoire, comme c’est le cas dans JO, où Py se perd pour un baiser de cinéma. Non pas le baiser donné par celui ou celle qui nous fera vivre pleinement le film de notre vie. Et qu’on attend, qu’on attend, quitte à ce qu’il ou elle n’arrive jamais. Plutôt un faux baiser, à deux doigts d’être irréel. “Il y a l’hypnose. Et cette perspective cauchemardesque. En effet, les trois ou quatre fois où j’ai vu Joana, je me souviens avoir fait de très mauvais rêves. Dont un où j’étais dans le désert. Il était si riche, si tactile, que je m’en rappelle encore.”
“Je me suis vraiment senti perdu dans le regard de cette femme”, confesse Py. “J’ai totalement oublié le contenu de nos échanges. J’en suis même venu à me dire que cette relation n’avait pas existé. Mais les textos sur mon portable disaient le contraire.” Aux grands maux les grands “Je t’aime”. D’ici les prochains mois, Py se retrouvera à nouveau en studio pour enregistrer ses cinq nouveaux morceaux. On ne chasse jamais définitivement les vieux démons, et pour cause : il a profité de l’été 2020 pour se mettre à la guitare électrique. Mais qu’il soit rock, folk ou métal, Py est et sera l’insaisissable artiste, y compris pour lui-même. Envoûté par Circé et les sirènes comme le fut Ulysse. Revenu sain et sauf de son épopée pour nous en narrer toutes les réalités et leur beauté.
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