Raskolnikov est un trio franco-suisse influencé par les courants new-wave et post-punk des années 70 et 80. Son premier opus Hochmut kommt vor dem Fall est paru en octobre 2017 chez Manic Depression Records. Cette sortie a été l’occasion pour le groupe d’enchaîner les concerts dans toute l’Europe. Rencontre avec Mathieu Pawełski-Szpiechowycz et Pablo Garrido à quelques jours des deux prochains concerts français de Raskolnikov, l’un à Rennes au Marquis de Sade le 15 février, le second le lendemain à Paris au Black Star – Live Club.
Raskolnikov bonjour, et merci d’avoir accepté cette interview. Jérôme Blum, Pablo Garrido, et Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : vous avez formé Raskolnikov en 2015 à Genève. Pouvez-vous commencer par revenir sur vos origines et les circonstances de votre rencontre ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : Hello Skriber ! Jérôme est le seul Suisse du groupe. Il est né à Genève et originaire de Trub, dans le Canton de Berne. C’est à 50 km de Münchenbuchsee, le village natal de Stephan Eicher. Quant à moi, je viens de Reims. Nous nous sommes rencontrés avec Pablo en 2013 en montant un premier projet qui s’appelait Sunset Fire puis Berlin Velvet. Nous avons joué avec plusieurs autres musiciens avant de rencontrer Jérôme en juin 2015. Raskolnikov était pour nous un projet inédit, monté en parallèle avec d’autres musiciens en septembre 2015. La formation actuelle a tout juste deux ans en vérité.
Pablo Garrido : Je suis né à Madrid. J’ai grandi à Toulouse, puis j’ai étudié à Barcelone et Genève. À l’époque de la formation de Raskolnikov, on répétait dans les studios de Château Rouge à Annemasse.
Quel est l’élément majeur que vous aviez en commun, outre la musique, et qui explique que vous ayez eu l’envie d’en faire ensemble ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : Fin 2016, nous avons décidé de ne pas poursuivre avec Berlin Velvet. On jouait avec une quatrième personne au chant et aux claviers. Ce sont des raisons humaines et artistiques qui ont motivé la fin de ce projet. Je me suis mis en quête d’un batteur et d’un guitariste pour Raskolnikov. Mes deux partenaires précédents venaient de décliner ma proposition. J’avais quitté la Haute-Savoie pour Constance. J’avais changé deux fois de line-up en moins de 12 mois ! Même si tu t’entends bien avec les gars, que tu passes du bon temps et que ça joue bien, tout le monde ne veut pas forcément faire passer un projet artistique avant le boulot ou la famille. C’est une chose que je comprends parfaitement. Et c’est justement ce qui nous a réunit Jérôme, Pablo et moi, au-delà de la musique. Il y a chez nous cette envie d’aventure. Pablo et moi étions déjà habitués à faire le tour du continent régulièrement. Jérôme voulait voir du pays et quitter Genève.
Pablo Garrido : On n’hésite pas à faire des bornes. On a le « goût du voyage ».
Quelle a été votre formation en parallèle de la musique ?
Pablo Garrido : Je baigne complètement dans la musique depuis mon enfance. Toutes mes activités ont toujours été liées à la musique. J’ai suivi l’enseignement du Conservatoire de Toulouse au violoncelle, puis en musique ancienne au violoncelle baroque et à la viole de gambe, toujours à Toulouse, puis à Barcelone et à Genève. J’en joue dans diverses formations : orchestre, musique de chambre… Je suis musicien de profession.
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : Jérôme a suivi un apprentissage à la Poste suisse. Ça l’a vite gonflé. Il a réalisé que les horaires de la Poste ne conviendraient pas aux exigences de la vie de musicien. Aujourd’hui, il enchaîne les boulots alimentaires. À long terme, il souhaite se professionnaliser dans la musique, donner des cours de batterie et gagner des cachets en jouant dans des cover bands. Et oui, les groupes de reprises sont souvent mieux payés que les groupes originaux underground dans les clubs et cafés concerts…
Pablo Garrido : “Monde de M….”, comme dirait le grand Georges ! Attends, c’est de Georges Abitbol ou de Germaine de Staël ? Je ne sais plus ! (rires) On avait fait le pari de caser dans la même phrase un grand nom de la philosophie et Georges Abitbol.
Vous en vivez aujourd’hui ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : À 34 ans, me concernant, je ne pense pas pouvoir vivre un jour de la musique. Mais je fais passer le projet artistique avant la carrière professionnelle. Je suis très heureux depuis que j’ai pris cette décision. Le fait d’avoir enchaîné deux burnouts en cinq ans, ça m’a définitivement vacciné de ce que je nomme la “servitude volontaire”. Je loue une partie de mon cerveau pour faire de la traduction, de la communication web : ça me permet de payer mes factures et de mettre le reste dans notre projet. Je me suis passionné très tôt pour l’histoire de l’art, l’histoire politique, l’interculturel, les langues. Mais à 19 ans, on m’a vivement conseillé de m’orienter vers des études en commerce.
Et ensuite ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : La musique a repris très vite une place plus importante dans ma vie. Jérôme et moi vivons tous les deux en collocation avec une décoratrice de théâtre, un ébéniste et une infirmière psychiatrique (très important) à Kreuzlingen, la banlieue suisse de Constance. Nous louons un local de répétition dans la zone industrielle de Constance au bord du Rhin. Pablo nous rejoint régulièrement en train depuis Paris. Nous travaillons également beaucoup à distance. Nous nous envoyons des idées enregistrées à la maison.
Raskolnikov baigne dans les références post-punk et new-wave. Citez m’en trois qui comptent tout particulièrement pour vous, et expliquez-moi pourquoi elles imprègnent si fortement votre processus de création.
Pablo Garrido : Jérôme vient des années 90, mais c’est le plus “waveux” d’entre nous. Nous n’allons pas citer toutes ses influences, on a un peu honte (rires). Mais par exemple, Dead or Alive fait partie de ses groupes cultes des années 80.
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : J’ai écouté très tôt les classiques du rock 60/70, avec les incontournables comme The Beatles, Pink Floyd, Led Zeppelin et Bowie. Adolescent, j’ai écouté d’autres incontournables de l’époque : Nirvana, Blur, Pixies, Smashing Pumpkins, puis dans les années 2000, Kasabian, Interpol. J’ai commencé la guitare, puis la basse vers 15 ans. J’ai découvert Joy Division grâce au film Control d’Anton Corbijn en 2007. À partir de là, j’ai pénétré le reste de la scène cold wave et post-punk. Mes derniers coups de cœur ont été les Canadiens de Viet Cong, aujourd’hui renommés Preoccupations, et Молчат Дома (Molchat Doma) qui viennent de Minsk. Le groupe The Soft Moon nous plaît beaucoup aussi.
Et toi Pablo ?
Pablo Garrido : Mon frère m’a fait découvrir The Cure quand j’étais très jeune. Il s’agissait d’une cassette du live de 1984. C’était une musique assez différente de celle que j’écoutais à l’époque. Les claviers et les effets sur la voix et la guitare donnaient quelque chose de très planant, de solaire et d’ample. À l’époque j’écoutais plutôt du heavy britannique : Iron Maiden, Judas Priest… Du punk espagnol aussi, avec Kortatu, La Polla Records. C’est beaucoup plus tard que je me suis vraiment plongé dans l’univers post-punk et new wave, ce qui fait que je découvre sur le tard de groupes cultes comme The Chameleons. Pour moi, ils ont la caractéristique de se baser sur des parties de basses élaborées et autonomes, qui sont à l’écoute une partie fondamentale de leur musique, comme chez Joy Division, évidemment ! Côté dark-wave, j’aime beaucoup She Past Away, The KVB, ou Drab Majesty. Ce sont des groupes que j’écoute beaucoup même s’ils ont moins d’influence sur notre musique.
« Nos chansons sont également une critique de la société. Dans ce domaine, les poèmes de Maïakovski me plaisent beaucoup, à travers sa critique désespérée du monde des années 1930. »
Si la musique de Raskolnikov était un homme/une femme, quels seraient ses traits physiques et psychologiques ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : Notre musique parle de souffrance psychologique, d’existentialisme, de passion qui peuvent t’entraîner en peu de temps dans le UP ou le DOWN. Les textes, ainsi que la musique, peuvent passer de la douce mélancolie à l’anxiété, sans pour autant flirter avec le morbide. Je suis anxieux et gueulard de nature, ça me fait du bien d’être au micro, c’est un peu une thérapie. Pour illustrer notre musique, nous pourrions choisir une représentation féminine de Klimt, à travers Les forces du mal et les trois Gorgones par exemple.
Votre premier album est sorti le 18 octobre 2017. Mathieu : tu es l’auteur de ses textes. Pour celles et ceux qui ne parlent ni l’allemand, ni l’anglais, pourrais-tu nous préciser l’histoire de ce premier opus, et les messages que tu as souhaité partager dans chacun de ces morceaux ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : Le nom du groupe est lié à la lecture de Crime et châtiment. La plupart des textes de ce premier album sont aussi liés à la personne qui m’a conseillé Dostoïevski, et bien d’autres auteurs. J’y parle de folie et de déchéance morale, de rédemption vaine. Hochmut kommt vor dem Fall signifie en allemand : l’orgueil précède la chute. Il rappelle le tempérament du personnage de Raskolnikov. Et plus généralement, celui slave ou de l’Âme Russe, que peint Dostoïevski dans la description de ses personnages. L’aspect extrême, parfois irrationnel et démesuré des réactions. Nos chansons sont également une critique de la société. Dans ce domaine, les poèmes de Maïakovski me plaisent beaucoup, à travers sa critique désespérée du monde des années 1930. En 2019, nous rencontrons des thèmes similaires dans l’actualité. Les textes du deuxième album seront d’ailleurs plus orientés dans cette direction.
Pourquoi Raskolnikov ? Pourquoi pas Le Père Goriot ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : Pas de Père Goriot en vue pour l’instant, peut-être plus tard (rires). Mais j’aime beaucoup la Comédie Humaine de Balzac, les Rougon-Macquart de Zola. Il y a là, comme dans Dostoïevski ou Tolstoï, une très intéressante description des sociétés du milieu et de la fin du XIXe siècle. Cette description de la condition humaine est très détaillée, tout comme le contexte politique et culturel. La fin des monarchies absolues, la fin de l’omniprésence de Dieu, l’avènement du capitalisme et les débuts du socialisme. C’est très sombre et beau à la fois. Ça nous a beaucoup inspirés.
Raskolnikov a joué plus de quarante concerts en Europe entre 2017 et 2018. Vous prévoyez une vingtaine de dates cette année, dont un concert à Paris au Black Star – Live Club le 16 février. Que souhaitez-vous que votre public garde de vous à la fin du concert, au-delà de la bonne musique et de la bonne ambiance ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : Nous aimons jouer dans des lieux de partage. Nous y faisons de très belles rencontres. On espère en faire d’autres à Rennes vendredi, puis samedi à Paris.
Pablo Garrido : Les concerts nous permettent de nous dévoiler tels que l’on est. Nous avons ce côté un peu introverti qui contraste pas mal avec d’autres moments beaucoup plus énervés. Je pense que c’est quelque chose qui nous représente bien et qui peut toucher pas mal de gens.
Mathieu, tu évoquais tout à l’heure la sortie de votre nouvel album. Quelle est la date exacte, et quelle direction prendra-t-il pour appuyer un peu plus votre univers ?
Mathieu Pawełski-Szpiechowycz : Nous sommes actuellement en train d’enregistrer les prises de basse, les batteries et la guitare. Les arrangements et la voix arriveront par la suite. Nous mixerons au printemps. Après plusieurs sessions de correction, d’arrangement, nous pourrons masteriser le tout, valider l’artwork du vinyle et des différents supports, filmer et monter deux ou trois vidéos pour accompagner les premiers titres. Nous faisons ça nous-mêmes, comme pour le premier album. La date de sortie précise sera décidée avec notre label à la fin de l’été. Nous espérons tenir les délais pour présenter ce deuxième album à la toute fin 2019.
Pablo Garrido : Ce deuxième album prend naturellement une direction légèrement différente. Maintenant, on compose à trois, même si Math reste le principal moteur. Je dirais que l’on cherche quelque chose de plus pêchu, parfois plus agressif. Ne nous en privons pas !
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