La vague The Blind Suns ne cesse de prendre de la hauteur. Quelques semaines après la sortie de son second album studio, Offshore, le groupe franco-polonais mené par Dorota Kuszewska et Romain Lejeune poursuit la diffusion de ses sonorités psyché-pop-rock sur les scènes françaises. Prochain concert prévu ce vendredi 25 mai à Lyon à La Marquise, l’occasion de poser quelques questions au trio que Dorota et Romain forment aujourd’hui avec Jérémy.
Bonjour The Blind Suns et merci d’avoir accepté cette interview. Romain, Dorota, vous êtes les heureux parents du groupe. Vous évoluiez déjà dans la même formation avant la sortie du premier album de The Blind Suns en 2014, Baltic Waves. Elle s’appelait Scarlet. Quel regard porte t’elle sur The Blind Suns, quatre ans après sa naissance ?
Dorota Kuszewska : Si on la personnifiait, Scarlet serait probablement une femme jalouse de The Blind Suns. La scène lui manque, elle a envie de s’exprimer en studio. Mais au fond, elle est fière d’avoir initié un projet qui se développe aussi bien, et elle sait que son jour viendra à nouveau.
Sous quelle forme Scarlet vit-elle encore aujourd’hui ?
Romain Lejeune : Ses derniers CDs sont toujours en vente, et un petit noyau d’internautes continue à les commander. Il faut aussi dire qu’avant ce stand-by forcé, Scarlet a enregistré un album qui attend patiemment sur un disque dur d’être dévoilé au monde, quand il y aura une petite fenêtre dans l’emploi du temps de The Blind Suns.
Quel est le principal enseignement que Scarlet vous a laissé et que vous perpétuez au sein de The Blind Suns ?
Dorota Kuszewska : Il faut accepter et surmonter les embûches : it’s a long way to the top if you wanna rock’n’roll ! Beaucoup de travail aussi, y mettre du cœur mais sans jamais se prendre trop la tête.
Jérémy Mondolfo, tu es le batteur mais aussi la troisième pièce maîtresse de The Blind Suns. Était-ce la première fois que tu faisais ménage à trois lorsque tu as intégré le groupe ?
Jérémy Mondolfo : Non. Dans mes deux précédents groupes, c’était le même cas de figure. Ça doit être mon truc après tout. J’aime cette formule en trio : on peut se dire les choses et avancer vite, tout en gardant un côté « team » contrairement à un artiste solo ou un duo.
Quels conseils pourrais-tu partager pour faire durer ce type de relation ?
Jérémy Mondolfo : Savoir entendre et se faire entendre.
Dorota : tu as grandi dans la Pologne post-communiste. À quoi ressemblait l’ambiance à la maison avant que tu n’arrives en France ?
Dorota Kuszewska : À la maison, j’avais franchement de la chance ! Ma famille était cool par rapport aux autres, autant par la position sociale de mes parents que par leur ouverture d’esprit. Contrairement à l’autre pan de la population, nationaliste, catholique et conservateur. Il y avait malgré tout pas mal de tabous et peu d’opportunités pour notre génération, en particulier dans la musique. Mes parents m’ont beaucoup soutenue lors de mon choix de tout quitter pour la France.
Quel âge avais-tu lorsque tu es arrivée dans l’Hexagone ?
Dorota Kuszewska : Lors de mon premier voyage, j’avais presque 18 ans. Et quand j’ai déménagé, c’était un an plus tard.
Quel est la chose la plus emblématique du choc culturel que tu as sans doute éprouvé à l’époque ?
Dorota Kuszewska : La langue ! Je ne parlais que très peu le français quand j’ai rencontré Romain. Je me suis aperçue que le niveau d’anglais des Français était assez faible : dur de se faire comprendre dans cette langue donc. J’ai mis deux bonnes années avant de maîtriser le français correctement, ça n’a pas été évident au début. Mis à part ça, je me suis rapidement sentie très à l’aise dans mon pays d’adoption.
Au-delà de l’originalité de vos titres, un duo gagnant motive à lui seul la notoriété naissante de The Blind Suns : Clive Martin et Jim Rose. Quels sont les trois liens évidents qui unissent selon vous Clive Martin, producteur anglais ayant notamment bossé avec Queen et les Négresses Vertes, à Jim Rose, cet artiste américain devenu français, et notamment à l’origine du très connu Jim Rose Circus ?
Romain Lejeune : J’ai beau chercher, je n’en vois que très peu, à part la langue. Et encore, Clive a un accent londonien très british alors que Jim a un accent du sud des États-Unis. Tout dans leur caractère et leur carrière diffère. Clive est plutôt doux et réservé alors que Jim est souvent dans la déconne et la provoc. Clive s’est fait un nom en se faufilant, par son travail et son talent, alors que Jim s’est fait un nom par son culot et sa capacité à captiver les foules.
« On se sent très proches du Texas depuis notre premier voyage, mais on aura toujours des attaches en France. Dans l’idéal, on aimerait passer la moitié du temps de chaque côté de l’Atlantique »
Grâce à quelle chance ou à quel réseau un artiste fait-il selon vous ce genre de rencontre décisive ? Et d’ailleurs, considérez-vous cette chance dans le cadre de votre propre parcours musical ?
Romain Lejeune : Difficile de dire qu’il n’y a pas une part de chance, ça fait partie du destin, on ne peut jamais rien prévoir exactement. Il n’empêche que ces rencontres ont été provoquées par nos voyages intempestifs, que ce soit lors des concerts ou d’autres rencontres musicales professionnelles ou non. Puis elles se sont concrétisées par une collaboration grâce à l’identité de The Blind Suns qui, en l’occurrence, leur a beaucoup plu. Une part d’abnégation donc, une autre de chance et un peu de talent dans la mesure du possible.
Et vous, quel numéro trash de cirque auriez-vous pu présenter sur le piste de Jim Rose ?
Romain Lejeune : Éventuellement celui où Jim s’allonge sur du verre pilé : apparemment c’est comme le lit des fakirs, ça ne fait pas bien mal, c’est surtout visuellement impressionnant. Les autres sont insoutenables à regarder et ont l’air carrément dangereux pour certains, comme quand il avale des lames de rasoir ou que Mr.Lifto accroche des fers à repasser à ses tétons, ou pire, à ses parties intimes !
The Blind Suns aime les USA, plus particulièrement le Texas. Et il vous le rend bien. En tout cette année, neuf dates assurées entre Houston et Austin début mars, au SXSW Official entre autres. Vous évoquez des green cards dans une interview récente : des projets d’installation en terres cowboys ?
Dorota Kuszewska : Installation oui, définitive non. On se sent très proches du Texas depuis notre premier voyage, mais on aura toujours des attaches en France. Dans l’idéal, on aimerait passer la moitié du temps de chaque côté de l’Atlantique. Et plus particulièrement l’hiver au Texas, pour éviter la grisaille de l’Anjou en cette saison.
Votre second album Offshore est donc sorti le 20 avril dernier. Il évoque « cette idée de partir, de s’échapper mais pas de fuir, en voyageant ou tout simplement changer de vie, prendre des risques […] ne pas se laisser aliéner par quoi que ce soit » selon les propos récents de Dorota à son sujet. Quel est le plus grand risque que chacun d’entre vous a pris durant sa vie, et pourquoi l’avoir quand même pris ?
Dorota Kuszewska : Mon plus grand risque, c’est bien évidemment d’avoir quitté ma famille et mes amis pour un pays que je ne connaissais pas, dont je ne maîtrisais pas la langue, juste sur la promesse d’une rencontre, avec Romain en l’occurrence. Je l’ai pris sûrement grâce à la fougue de la jeunesse et ma passion, choses que j’essaie au maximum de garder vivantes.
Romain Lejeune : D’avoir orienté mes projets par rapport à nous deux, à la musique. Ce n’était pas forcément ce que j’avais choisi de faire avant que Dorota n’arrive. J’avais d’autres idées, d’autres ambitions. Mon goût pour l’inconnu, du risque, et mon envie de voyager grâce aux concerts ont fait le reste.
Jérémy Mondolfo : Le plus grand risque que j’ai pris, c’est de les avoir rejoints ! (rires) Ils ne sont vraiment pas faciles à vivre. Pourquoi avoir pris ce risque ? Par pure inconscience ! (rires)
« Ne pas se laisser aliéner » : quelle est pour vous la forme d’aliénation la plus brutale et la plus difficile à supporter dans notre société actuelle ? Pourquoi ?
Dorota Kuszewska : Il y en a beaucoup à mettre au même niveau dans notre société. Je dirais le travail, celui qu’on n’aime pas, le job qu’on doit faire uniquement pour subvenir à ses besoins et en le subissant tous les jours. Je trouve ça inconcevable de passer autant de temps dans sa vie à des tâches qui ne nous plaisent pas. Je garde en tête cette phrase : « Choisis un métier que tu aimes et tu n’auras plus jamais à travailler ». Même ce n’est pas forcément possible tout de suite pour tout le monde. Des alternatives pourraient être tentées, je pense au revenu universel ou à d’autres formes de conception du travail. Dans ce sens, le livre d’Emmanuel Dockès, Voyage en misarchie, m’a bouleversée. Il parle d’un autre type de société possible.
Étrangement, Astral Flight en dernière plage sonne folk et country alors qu’on aurait pu s’attendre à un rock plus céleste, dans les étoiles avec un titre comme celui-ci. Quelles contradictions vous animaient lors de l’écriture et de la composition de ce titre ?
Romain Lejeune : C’est le premier morceau pour lequel nous avons utilisé un texte qui n’était pas le nôtre. C’est Richard Smith, un ami anglais, qui l’a écrit, sans pour autant nous laisser vraiment d’indications sur sa signification. Il peut être interprété de différentes façons, dont certaines assez sombres et graves. On a voulu garder une version acoustique dénudée pour mettre en avant les paroles le plus possible, et sobrement.
Et ce métronome qui demeure sur tout le titre : la traduction d’une certaine urgence ou d’un autre état d’esprit ?
Romain Lejeune : Il y a en effet dans cette chanson la notion de temps. On peut interpréter le son du métronome comme une horloge. On peut aussi se dire que c’est le bruit d’un cœur qui bat, puis qui s’arrête à la fin. Sur un plan strictement musical, on trouvait également sympa de laisser ce métronome, pour garder l’authenticité de la prise d’enregistrement.
J’ai en ma possession trois cartes magiques ayant chacune la capacité de ressusciter un artiste/un groupe pour un concert à guichet fermé avec The Blind Suns. J’en donne une à chacun d’entre vous. Qui rappelez-vous à la vie et pourquoi ?
Dorota Kuszewska : Johnny Cash & John Lee Hooker, parce qu’ils sont sexy et qu’ils ont énormément influencé la musique américaine du XXe siècle. Et Johnny tout court, car il a popularisé un style de rock purement américain en France (et que c’est quand même drôle de le mentionner).
Quel est pour vous le titre emblématique de chacun d’entre eux ?
Romain Lejeune : Pour le premier, Jackson, car cette chanson est pleine de fun et d’amour. Boom boom pour le deuxième car elle nous rappelle le film The Blues Brothers qui est plein de fun et d’amour.
Jérémy Mondolfo : Pour Johnny, l’un de ses derniers titres, De l’amour, car ça sonne complètement ricain !
The Blind Suns : Bandcamp | Photos : Anatholie Music Photography (live)