Les Chatouilles est sorti le 14 novembre au cinéma. Il est toujours à l’affiche. C’est dire si la réalisation d’Andréa Bescond et d’Éric Métayer vaut le coup d’œil. Les Chatouilles, ou comment évoquer autrement la thématique de la pédophilie, ses conséquences sur l’existence des victimes, ce qu’elle révèle sur les liens interpersonnels et notamment familiaux.
Odette (Cyrille Mairesse) n’a que huit ans. Elle a deux grandes passions : le dessin et la danse. Elle se destine à une grande carrière de danseuse. Sur le papier, ses personnages croisent des ciels pailletés. Elle est l’innocence. Elle s’émerveille. Comment pourrait-elle alors déceler le piège dans ce jeu que lui propose Gilbert (Pierre Deladonchamps), l’un des plus proches amis de ses parents ?
Face à sa psychologue (Carole Franck), la Odette d’aujourd’hui (Andréa Bescond) provoque son propre destin. Elle a du mal à se livrer, à lâcher le morceau. Imitant les pas de danse qu’elle exécute sur scène en tant que professionnelle, ses souvenirs glissent, partent et reviennent, pour bondir au dernier moment. Ils ne veulent pas être attrapés, préférant l’ombre de l’oubli.
Mais la chorégraphie d’Odette sur les planches de son passé a un début. Et elle aura bel et bien une fin. Elle est une danse la menant partout dans sa mémoire. Y compris dans les recoins qu’elle pensait perdus à jamais. Elle est une quête d’amour, d’elle-même. Une volonté de croire qu’elle puisse un jour vivre avec, vivre pour elle, pour demain.
Danser pour raconter l’innommable
Les Chatouilles est le fruit d’un processus qui permit à Andréa Bescond de se réaliser complètement, et d’être reconnue au-delà de sa seule démarche artistique. Nourrie par la danse, ses plus grands noms, sa diversité, elle use de ce mode d’expression intemporel pour faire le récit d’une vie passée à conserver le secret des abus dont elle fut victime.
Chaque mouvement traduit une décharge électrique, un sensation, une émotion différente. Et dans la crainte que la petite Odette éprouva seule pendant de trop longues années, Odette adulte puise un rythme saccadé, une violence que l’on ne peut canaliser, une détresse qui ne peut que nous laisser pantois.
Courroux et mains tendues
Égarée entre un père (Clovis Cornillac) profondément aimant mais aveuglé, et une mère vindicative (Karin Viard), bien plus concernée par les apparences que par le bien-être de sa propre fille, la petite Odette qui grandit use des liens amicaux et amoureux qu’elle tisse durant sa vie pour sortir de ses souffrances et de sa torpeur.
On notera l’extraordinaire interprétation de Karin Viard, dont le personnage constitue finalement une pièce maîtresse dans le chaos mental et existentiel de sa fille Odette. Incapable de s’identifier à celle qui lui donna la vie, à celle qui ira jusqu’à rejeter ce que celle-ci devint sans qu’elle ne le soupçonne, Odette finit par porter deux fardeaux de poids : celui du viol, et celui d’une culpabilité qu’elle n’aurait pourtant jamais dû ressentir comme étant la sienne. Des fardeaux qu’un autre amour venu d’ailleurs finira par défaire.
Prix d’Ornano-Valenti au Festival de Deauville 2018, Les Chatouilles ont également participé à la nomination d’Andréa Bescond au titre de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2017. La pièce de théâtre, mise en scène par Éric Métayer, a également été récompensée à plusieurs reprises, notamment par le Molière 2016 du Meilleur Seule en scène.