Un peu plus de trois ans après la sortie de son tout premier EP Brothers and Fathers, Desmond Myers revient cette année avec deux nouveaux singles : Playing With Fire et Chinatown. L’occasion d’évoquer avec lui ces expériences ayant bâti son approche musicale singulière, cherchant à réconcilier les genres. Mais aussi les générations.
Bonjour Desmond. Pop sensuelle et assurée, vision R&B novatrice, enchantement soul : les avis dithyrambiques ne manquent pas dans les médias pour qualifier ta musique. On aimerait savoir d’où ça te vient. À 28 ans, quel est ton plus ancien souvenir musical ? Avec quelle personne en particulier l’as-tu vécu ?
Desmond Myers : Bonjour Florian. Disons que mes plus vieux souvenirs musicaux font tous partie d’un grand souvenir de mon père et de son gros camion Dodge bleu des années 1970. J’ai grandi dans une ferme de taureaux en Caroline du Nord. Mon père était un grand fan de blues et de rock classique. Pendant que nous travaillions à la ferme, il laissait la porte de son camion ouverte pour qu’on entende la musique diffusée à la radio. Celle qu’il enregistrait sur ses cassettes aussi. Il y avait Led Zeppelin, The Beatles et Jimi Hendrix. Des trucs plus obscurs et des guitares lourdes aussi. Par exemple, Frank Zappa, King Crimson, Albert King et Roy Buchanan. Toutes ces références ont façonné une grande partie de mon ADN musical.
Après le blues et le rock, tu t’es ouvert au hip-hop, au R&B et à l’électro. De quoi former une démarche artistique ouverte sur des univers et des genres parfois antagonistes. Comment as-tu finalement réussi à les concilier pour aboutir à ta propre empreinte créative ?
Desmond Myers : Je pense que cela a encore beaucoup à voir avec l’influence de mon père. Ce n’était pas vraiment un musicien. Mais il aimait tellement la musique ! Cela m’a inculqué cette nécessité, en quelque sorte, de découvrir des choses par moi-même. Ainsi, durant mon adolescence, j’ai été attiré par des sons très antagonistes comme tu dis. Chez Kanye West ou Daft Punk, il n’y a pas de guitare. À la place, on trouve des tambours et des synthés bizarres. Au moment de leur découverte, je n’avais aucune idée de la façon dont ces sons étaient créés. Je suis devenu obsédé par le hip-hop. C’était un peu une rébellion contre la musique de mon père, même si je l’aimais toujours énormément. J’estime tout autant Pink Floyd que Frank Ocean.
Si je te donnais l’opportunité de revivre l’existence d’un seul et unique artiste que tu affectionnes tout particulièrement, qui serait-ce et pourquoi ?
Desmond Myers : Je pense que ce serait Jimi Hendrix. Au-delà de revivre sa vie à son époque, j’adorerais le voir dans un studio d’enregistrement moderne, sans sa guitare. Il innovait tellement ! Avec les logiciels modernes, les choses sont parfois présentées un peu trop proprement. Tout est sur la grille. J’adorerais le voir retourner tout ça !
« Je suis optimiste, tout en étant surpris de voir à quelle allure le monde change au cours de ma propre vie. »
Tu as donné plus de 700 concerts à travers l’Europe et les USA. Toi qui as bien voyagé, comment vois-tu la société d’aujourd’hui ?
Desmond Myers : En tant qu’Américain en Europe, je me retrouve souvent dans cette frange transversale étrange où j’ai l’impression que l’Amérique avait l’habitude d’avoir cette influence presque oppressive sur la culture. Je pense que cette “ombre” plane toujours. Toutefois, c’est en train de changer. Une influence plus cosmopolite se développe à tous les niveaux, même ici aux États-Unis. À Atlanta par exemple, les gens branchés connaissent les bons vins français, Serge Gainsbourg et Yelle. Ainsi que la bonne musique du monde entier. Regardez l’influence de la Corée du Sud ! Je pense que c’est une très bonne chose. Dans un État du Sud comme la Géorgie, ce n’était pas comme ça il y a dix ans.
Quel est ton regard sur les générations actuelles et leurs développements à venir ?
Desmond Myers : J’aime ma génération et celle qui grandit. Gen Z, Gen Alpha : il semble que nous en soyons là n’est-ce-pas ? Je trouve que les jeunes aujourd’hui sont meilleurs dans le traitement de l’information que les générations précédentes. J’ai le privilège d’enseigner la musique à des étudiants très talentueux. Ils sont bien plus jeunes que moi. Je crois que le plus gros problème avec ma génération, celle de la fin du millénaire, et les générations précédentes, est que nous n’étions pas prêts à voir notre vision du monde fondamentale remise en cause. Notamment par les voyages et l’essor d’Internet. Contrairement à nous, les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas ce problème. En effet, leur vision du monde est façonnée par l’accès à l’information. Ils sont capables de mieux reconnaître les signes d’une mauvaise information. De plus, ils peuvent rechercher et trouver plus de nuances dans les idées. Personnellement, je n’ai pas eu accès à Internet avant l’âge de huit ou neuf ans. Je m’appuyais à 100% sur ce que mes parents me disaient. Heureusement, il y avait beaucoup de sagesse dans ma famille. Mais il y avait aussi des choses dont je devais me séparer. La technologie a évolué rapidement, de sorte que les humains qui grandissent seront tout simplement plus rapides. Je suis optimiste, tout en étant surpris de voir à quelle allure le monde change au cours de ma propre vie.
Trois ans après la sortie de ton premier EP Brothers and Fathers, tu as dévoilé avant l’été 2020 ton nouveau single Playing With Fire. En quoi ce titre est-il en corrélation avec ta réponse précédente, ainsi qu’avec ta relation quotidienne à l’autre ?
Desmond Myers : Playing With Fire est, en surface, une chanson sur la tentation, notamment sexuelle, que l’on peut ressentir pour quelqu’un. Pendant que je l’écrivais, il y avait toutes ces discussions dans les médias sur l’objectification des femmes et sur tout le mouvement #MeToo. Ainsi, je me suis rendu compte que cette chanson, que personne n’aurait considérée dans ce sens il y a quelques années, en faisait partie. En l’écrivant, j’ai fait en sorte d’évoquer la lutte interne du narrateur. Il faut dire que lorsqu’on est attiré physiquement par quelqu’un, c’est un véritable combat intérieur qui s’engage. On se consume de par nos seules projections, l’autre personne n’a rien à y voir. Cela m’a donc forcé à penser la sexualité dans des termes plus larges et plus critiques. Finalement, cela m’a aidé à découvrir un niveau plus profond des émotions que j’essayais de transmettre en écrivant.
Chinatown est sorti le 18 septembre 2020. Il s’agit du deuxième single de ton prochain album. À ce sujet, sa date de sortie est-elle déjà fixée ? Quel nom comptes-tu lui donner ?
Desmond Myers : Aucune date fixée pour le moment, ni aucun titre. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il sortira courant 2021. En réalité, les chansons sont toutes écrites. Mais nous enregistrons l’album virtuellement parce que je ne peux pas aller en France. C’est un processus vraiment intéressant, quoiqu’un peu plus lent. Nous enregistrons tout avec du vrai matériel analogique et acoustique. Nous passons généralement les éléments sur bande pour obtenir le son que nous voulons. Par conséquent, ce n’est pas aussi simple que de faire “rebondir” certains échantillons dans les deux sens. Tout est séquencé par ordinateur. Mais au fond, c’est une approche hybride. Old & New school, tout comme ma musique en général.
Par rapport à ton premier EP paru en 2017, dans quelle mesure se différencie ton approche créative ? Quels sont les enseignements, tirés de ta vie personnelle, que tu utilises dans cette nouvelle production ?
Desmond Myers : Brothers and Fathers m’a permis d’exprimer que j’étais très au fait de toute l’influence de mon père sur ma musique. J’y reviens toujours. Mais j’ai l’impression que mon nouveau disque me représente de manière plus fondamentale. J’ai trouvé comment ressembler à moi-même. Mieux encore, comment être moi. Et ce, sans porter de costume ni emprunter une idée si celle-ci a du sens. Une fois de plus, cela a à voir avec le processus, le choix des sons. Je sais ce que j’aime maintenant. Mathieu Gramoli (ndlr : le batteur du groupe Her), qui est le batteur et coproducteur de mon projet, a eu une grande influence là-dessus. Il joue un rôle important dans le son de chansons comme Chinatown. Louis-Marin Renaud (ndlr : le guitariste de Théo Lawrence et de Her) aussi. En fait, ce disque valorise plutôt une perspective de groupe qu’un projet solo. Les contributions de Mathieu et de Louis sont nombreuses. Nous parlons tous les jours et nous nous marrons beaucoup. Notamment en nous disant que c’est le premier album à être réalisé sur What’s App !
Comme beaucoup d’artistes, tu n’as pas pu te produire en live depuis plusieurs mois à cause des événements. Au-delà de ta joie de retrouver cette proximité avec ton public, qu’es-tu impatient de retrouver à la reprise de tes concerts ?
Desmond Myers : Je dirais la “rétroaction instantanée”, à l’instar des applaudissements et de l’accalmie. En ce moment, nous faisons des choix que nous avions prévu de faire après avoir entendu comment le public réagirait. Et ce, à travers la tournée aux États-Unis, en Allemagne et en France durant laquelle nous allions jouer l’intégralité du disque et voir ce que les gens en auraient dit. Pour, honnêtement, prendre des notes. Mais à présent, nous avançons à l’aveugle. J’espère que les gens l’apprécieront malgré tout. Je me languis de cette proximité avec eux que tu évoquais. Leur retour me manque.
Desmond Myers : Site officiel