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Pamela Mendez | Roses rouges dans le jardin, lis dans les bois

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Pamela Mendez est installé à Berne depuis quelques années. Après la sortie de ton single World Of Nothing en juillet dernier, elle s’apprête à sortir en France son premier album Time le 22 février. Elle se produira la veille au Onze Bar à Paris à cette occasion. Rencontre au milieu d’un jardin dissimulant la forêt de ses pensées.

Pamela Mendez, bonjour et merci d’avoir accepté cette interview. Que ressens-tu à quelques jours de la sortie de Time et que représente t’elle pour toi ?

Pamela Mendez : Bonjour Florian et merci à toi aussi pour cette rencontre ! Au départ, Time devait sortir le 2 novembre. J’ai dû repousser la date au 22 février. Je l’ai enregistré il y a deux ans. En attendant, je cherchais des moyens pour organiser et pour financer cette production. La sortie de cet album traduit mon engagement, mon amour et ma foi en la musique. Chaque personne qui résonne avec cela représente beaucoup pour moi. Je suis donc très heureuse maintenant de pouvoir enfin le partager.

Peux-tu nous en apprendre un peu plus sur toi et sur ce moment où tu décidas de faire de la musique professionnellement ?

Pamela Mendez : J’ai grandi dans une petite ville proche de Zurich appelée Brugg. Puis je me suis installée à Berne avec ma famille. J’y habite depuis l’âge de 16 ans. Mon père est mexicain. Depuis mon enfance, je n’ai cessé de l’écouter chanter et jouer de la guitare. Il reprenait souvent des chansons de Joan Manuel Serrat et des Beatles. C’est un chanteur extraordinaire, autodidacte. Il m’a aussi offert ma première guitare quand j’avais 12 ans. Je me souviens l’avoir à peine touchée. Je voulais juste apprendre quelques accords de base et écrire ma première chanson. Ce fut chose faite à 14 ans, avec seulement trois accords. Mais je n’ai jamais pris cela au sérieux. J’ai toujours écrit des chansons. J’ai même fait quelques concerts par ci par là. En fait, j’ai d’abord gagné ma vie en cuisinant dans un café puis en tant que chef de projets socioculturels. J’ai réalisé que je voulais vraiment être musicienne en 2012 alors que je rendais visite à un ami à Bruxelles. C’est à cette occasion que je suis allé au concert de Grizzly Bear. Daniel Rossen jouait et chantait comme un dieu ! Je me devais d’être capable à mon tour de faire la même chose. À partir de là, j’ai commencé à apprendre la guitare électrique : j’étais très studieuse ! J’avais 24 ans à l’époque, j’en ai aujourd’hui 30. Le temps file à une vitesse !

pamela mendez live

Ton univers est un mélange de musique du monde, de trip-hop et de pop expérimentale. S’il n’y en avait que trois à citer, quelles seraient tes principales influences, y compris parmi tes références extra-musicales ?

Pamela Mendez : Ma toute première influence, je l’évoquais à l’instant, c’est le groupe Grizzly Bear. Ses albums Yellow House et Shields sont si créatifs qu’ils sont devenus cultes pour moi ! J Dilla est aussi extrêmement important pour moi. Quand j’étais ado, j’écoutais principalement du hip-hop et j’ai appris à connaître un tas de musiques géniales sur Google grâce aux échantillons que J Dilla utilisaient dans ses compos. Elles révèlent beaucoup de choses quant à l’histoire de la musique noire. De plus, il m’est souvent arrivé d’écouter une musique que j’adorais pour me rendre compte qu’il s’agissait en fait d’une production de J Dilla. Ce mec exprime une vision de la liberté que je porte au plus profond de moi.

Pour finir ?

Pamela Mendez : J’évoquerais Hannah Arendt. Son livre Vita Activa était souvent au centre de mes recherches pour mes paroles. Grâce à Hannah Arendt, j’ai pu comprendre mes tensions personnelles vis-à-vis de la société. J’ai appris à faire la distinction entre les choses corrélées à mon propre vécu et celles qui ont une longue histoire et qui n’ont rien à voir avec moi personnellement. Cela m’a également aidé à prendre confiance en moi pour commencer la musique, et ce, même si j’ai commencé à prendre la musique au sérieux assez tard. Hannah Arendt m’a permis de mettre des mots simples sur des instincts désagréables du passé.

Quelles sont les toutes premières paroles de chanson que tu as entendues dans ton enfance et dont tu puisses te souvenir précisément ?

Pamela Mendez : Une chanson en suisse allemand qui dit grosso modo : “Roses rouges dans le jardin, lis dans les bois. Quand le vent commencera à souffler, ils pourriront bientôt.”

« Si le but d’un artiste est de faire plaisir aux grandes entreprises afin de vendre un produit, alors il y a un problème avec notre culture. »

Dans une interview parue en juillet 2018, tu as évoqué la manière dont la musique pop peut être restreinte ainsi que son processus, en raison de la façon dont elle est consommée de nos jours. Selon toi, comment un artiste peut-il dépasser cette réalité afin de respecter ses perspectives musicales sans être ignoré des médias ?

Pamela Mendez : Tenter de le découvrir fait partie de ma mission. Ce que je peux dire, c’est que si tu as du talent et que tu parles avec ton cœur, les gens te donneront une tribune. Beaucoup de musiciens ne voient pas ça. Sans nous, toute l’industrie de la musique serait au chômage. Mais cela me fait penser à l’interview de Frank Zappa dans laquelle il dit que “MTV est ce que l’industrie du disque mérite”. Il y dit aussi que, lorsque les maisons de disques ont décidé de commercialiser de la musique par le biais de vidéos, MTV avait soudainement un pouvoir énorme sur les labels et les artistes, car à l’époque, il n’existait pas de YouTube. C’est pareil avec tout ce problème de licence maintenant, mais pour les musiciens ET les labels. Si les musiciens ne se réunissent pas et ne développent pas leur propre stratégie de marketing afin de créer un marché de la musique en meilleure santé, je suis désolée de le dire, nous sommes en partie responsables. L’industrie de la musique respecte les règles du capitalisme. Pourtant, je crois que la musique en elle-même est quelque chose de tout à fait différent dans sa racine.

Autrement dit ?

Pamela Mendez : Le modèle économique capitaliste a créé un mythe connecté à une attitude suprématiste qui doit cesser. Pour le moment, je n’ai pas la solution. En revanche, je dis que la musique est une chose sociale. En ces temps troublés, nous avons besoin de courage et d’amour. Les artistes doivent être en premier plan. Si le but d’un artiste est de faire plaisir aux grandes entreprises afin de vendre un produit, alors il y a un problème avec notre culture.

Comment devrait agir l’artiste dans ce cas ?

Pamela Mendez : Je pense que c’est simple : si nous, musiciens, travaillons pour notre communauté, elle nous transportera. C’est la voie à suivre du moins pour moi. Je ne suis pas dans ce domaine pour être reconnue principalement par les médias. Rien ne s’y oppose si cela se produit, mais j’y suis parce que je veux contribuer à une culture (de la musique) plus saine. Pour le moment, je vais me jeter dedans et voir ce qui se passe. Revenons dans 5 ans 🙂

Dans cette même interview, tu as déclaré : “Je serai encore plus attentive à mes propres attentes, moins à celles des autres, c’est certain. Ces mots ne suggèrent-ils pas un paradoxe, si l’on considère qu’un artiste trouve son inspiration dans sa propre expérience, mais aussi et surtout dans celle des gens ?

Pamela Mendez : Il est extrêmement important d’être connecté aux autres et d’être ouvert aux influences, aux idées et aux inspirations ! Mais il y a beaucoup de gens dans l’industrie de la musique qui sont sous le choc de ce qui est arrivé au secteur de la musique. Ils me disent que ça ne marchera pas si je n’ajuste pas mon esthétique sonore au statu quo du marché. Et que si je ne le fais pas, je ne pourrai pas sortir un album tous les ans. J’évoquais plutôt ces attentes-là dans ma réponse. D’après moi, s’il existe quelque chose qui ne fonctionne plus, c’est bien le modèle économique actuel de la musique… Mais échangez des idées musicalement, discutez de la manière dont nous pouvons bâtir une communauté musicale internationale plus forte : là, je dis oui, et tu peux compter sur moi pour être de la partie !

pamela mendez i will die

Que penses-tu des déclarations de certaines personnes qui disent que certains artistes et/ou certains de leurs messages dans leur musique sont déconnectés du quotidien d’un grand nombre de gens ?

Pamela Mendez : L’art est-il un luxe ? Je crois qu’il est un moyen de réfléchir à la vie et à la société. Le besoin est grand. En particulier lorsque tu traverses une mauvaise passe dans ta vie. Il me semble important de pouvoir replacer cette période de vis difficile dans son contexte afin de procéder à des ajustements positifs. Mon art traite des structures sociales et de la manière dont l’âme interagit avec elles. Ma musique est bonne pour les gens qui veulent se transformer. Ce n’est pas tout le monde à coup sûr.

Focus à présent sur l’une de mes chansons préférées de ton nouvel album Time, intitulée I Will Die. La liberté, l’amour et la mort se confondent. Comme s’il fallait vraiment souligner l’urgence de vivre, comme s’il fallait souligner l’importance de bien prendre en compte l’éphémère de chaque sentiment de l’être humain. Pourrais-tu expliquer ta propre vision de ce titre ?

Pamela Mendez : La mère d’un de mes amis est décédée. J’ai été choquée de voir que nous n’avons aucune culture pour faire face à la mort. À l’enterrement, je pouvais dire que les gens étaient pressés de retourner au travail à l’heure. C’était déchirant. En Suisse, la société exclut presque totalement les personnes âgées et les malades. Je suis fermement convaincue que nous devons affronter davantage la mort dans notre vie quotidienne pour avoir une idée de la valeur de (nos) vies.

Que recouvre cette nécessité pour toi ?

Pamela Mendez : Ce sens de la valeur est si important. Si nous réussissons à l’appréhender à nouveau, nous pourrons peut-être cesser d’exploiter d’autres pays, la nature aussi. Il y a ce fétichisme de la productivité que je trouve extrêmement malsain et insoutenable tant sur le plan environnemental que psychologique. J’y vois un lien direct avec le manque de confrontation avec la mort. Je savais que je voulais aborder cette question dans mon nouvel album, mais je ne savais pas comment. Puis je suis tombée sur certaines interviews du professeur de mythologie Joseph Campbell. Dans l’une d’entre elles, il a mentionné que les mythes concernent tous l’interaction entre l’intellect, le cœur, le corps et l’âme. Il évoque aussi le fait que certaines tribus dans le monde célèbrent vraiment la vie quand quelqu’un meurt. C’est grâce à cela que j’ai écrit et composé I Will Die.

Tu as déjà eu l’occasion de te produire en France à plusieurs reprises : tu reviens d’ailleurs jeudi 21 février à la veille de la sortie de Time au Onze Bar à Paris. Par le passé, tu as également vécu une année dans notre capitale. Que ressens-tu avec le public français pendant chaque concert que tu n’as jamais ressenti ailleurs ?

Pamela Mendez : Pour être tout à fait honnête, il n’y a pas tellement de différence. J’ai tendance à bien sentir le public, peu importe où je vais. Ce qui diffère, c’est la façon dont les gens commentent. En France, on peut dire qu’il y a plus de respect pour le métier de musicien en général. Cela se voit dans la façon dont le public te traite après un concert. Les spectateurs te regardent dans les yeux. Ils te font savoir quand tu les as touchés. Les Suisses sont plus timides à ce sujet. C’est une chose très subtile. En fait, j’ai peut-être parfois l’impression que les Français considèrent plus précisément le sens de ce que l’art est réellement.


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