Le 17 juin 2022, The Big Drink a sorti son premier EP chez Ninja Tune Production Music. Pour le finaliser, Tom Anderson, Michael Baker, Oli Hinkins et Andrew Stuart-Buttle se sont enfermés avec le bassiste et producteur Ed Martin ainsi qu’avec le batteur Fred Hills. Ils ont élu domicile pendant neuf jours dans un verger isolé près de Limoges en France. Rencontre.
Bonjour à tous. Et si vous commenciez par nous décrire le moment particulier durant lequel votre collaboration est née ?
Andrew Stuart-Buttle : Notre collaboration s’est développée de façon instinctive pendant près de dix ans. Nous avons posé les premières fondations de The Big Drink lorsque notre autre groupe Common Tongues, déjà composé de Tom, Oli et moi-même, s’est lancé dans une tournée européenne avec Michael en soutien. Nous avons réitéré cette expérience au fil des ans.
Une fois que Common Tongues a cessé d’exister, nous avons tous commencé à travailler sur le deuxième album de Michael, Salt. Nous avons pu compter sur Fred Hills et sur Ed Martin pour le finaliser. Cette combinaison s’est avérée si fructueuse qu’en 2017, le concept d’un groupe basé sur une contribution égale de tous ses membres est devenu une évidence pour nous tous. The Big Drink était né.
Très peu de gens connaissent Limoges à l’étranger. Pourquoi cette ville ?
Tom Anderson : Mes parents possèdent un vieux vignoble en ruine dans la campagne limougeaude. Cela nous semblait être l’endroit idéal pour nous déconnecter de tout et nous concentrer vraiment sur notre collaboration, l’écriture et la composition de notre EP. En évitant les distractions autant que possible !
Vous nous en dites plus sur l’origine du nom de votre groupe, The Big Drink ?
Andrew Stuart-Buttle : Pour deux raisons. D’une part, vu que nous sommes un groupe basé à Brighton, la mer est au centre de notre vie à tous. Qu’il s’agisse d’y nager en été ou d’apprécier la force brute de la mer, violente et gonflée en hiver, il n’y a rien de plus puissant ni de plus émouvant. D’autre part, en tant que vieux amis, compagnons de groupe et partenaires de tournée, beaucoup de nos meilleurs moments ont eu lieu autour d’un bon repas avec des guitares et des verres de vin, à créer de la musique et à parler de tout et de rien.
Concernant votre premier EP, vous évoquez le fait que les paroles de sa première plage, Universe, sont celles qui capturent le mieux l’esprit The Big Drink. Elles en font sa pièce maîtresse. Pour quelles raisons ? Quels souvenirs gardez-vous du moment où vous avez écrit et composé ce morceau ?
Oli Hinkins : Je me souviens très bien d’avoir rompu avec une petite amie qui me plaisait beaucoup et de revenir d’un mauvais concert avec Common Tongues qui s’était tenu à Londres. La pluie tombait par la fenêtre, Holocene de Bon Iver tournait sur la chaîne stéréo.
Typiquement le genre de morceau qu’il vaut mieux éviter d’écouter dans ces instants-là…
Oli Hinkins : C’est ça. Je me sentais vraiment misérable sur le moment. Je regardais la lumière des phares de la voiture vaciller dans la nuit. Depuis, je m’en suis remis bien sûr. Mais nous avons tous vécu ça, à nous demander comment nous allions être heureux de nouveau en buvant trop. Un peu comme ces personnes enfermées dans un pub quelque part, accoudées au bar, qui fixent leurs malheurs au fond d’un verre. C’est ce que j’ai essayé de partager.
Ed Martin : Universe nous a également permis de vraiment mettre en valeur nos harmonies. La façon dont la mélodie débarque rappelle assez l’univers de Pink Floyd. Nous sommes tous de grands fans du groupe. Ce sont les premiers chants que l’on entend dans le disque, c’est un moment singulier.
Moonlight est l’une de mes chansons préférées. On dirait une sorte de dialogue avec le temps, le passé. Avec soi-même aussi. Qui a écrit les paroles de cette chanson et quelle était son intention ?
Michael Baker : C’est moi. C’était il y a quelque temps maintenant, donc il est difficile de vraiment se souvenir de mon état d’esprit. Ceci dit, la chanson traite de la dépression et de la traversée de l’autre côté. Lorsqu’on se retrouve dans ce genre d’endroit sombre, mieux vaut s’accrocher au fait qu’il doit y avoir plus de Moonlight, plus de beauté aussi qui illumine nos lieux obscurs. Dès lors, on peut de nouveau voir plus clairement.
Oli Hinkins : En fait, quand on se retrouve à six auteurs-compositeurs dans la même pièce pour écrire des chansons, le collectif joue vraiment à plein ! Parfois, on a seulement quelques lignes pour commencer à chanter. Puis quelqu’un d’autre chante en y ajoutant d’autres lignes. Et avant même que l’on ne s’en aperçoive, on obtient un verset. Ainsi, les paroles de certaines chansons sont une combinaison de nous tous. Autrement dit, un produit de l’atmosphère au sein de The Big Drink, de nos sentiments en tant que groupe d’amis.
Les instruments et les arrangements tiennent une place importante dans la façon dont vous faites la promotion de votre premier EP. Mais si l’on prend la chanson Golden par exemple, on ne trouve aucune mention des expériences et des émotions qui ont guidé l’écriture des paroles. Vous pouvez nous en dire plus sur ce titre et son histoire ?
Michael Baker : C’était il y a un moment maintenant. Je crois que me souvenir que les paroles ont commencé à me venir quand je suis retourné dans une maison que je partageais avec un groupe d’amis. Deux d’entre aux étaient en couple. Je me vois marcher jusqu’à la porte et les entendre se disputer à l’intérieur. Je ne me sentais pas capable de supporter d’entrer et de gérer ça.
Du coup, je me suis assis sur le bord d’une fenêtre, ma tête contre la vitre. De la même manière que Moonlight, Golden aborde ce qui peut nous permettre de traverser ces moments pour sortir de l’autre côté, vers plus de « temps dorés ». En d’autres termes, des moment où l’on est heureux, où l’on se sent bien. Il suffit de travailler et de savoir traverser ces moments difficiles.
“Notre démarche vise à créer quelque chose ensemble. L’unité de notre groupe fait que nous sommes devenus une vraie famille. C’est pourquoi nous prenons constamment soin des uns et des autres.”
Vous l’avez vécu en étant aux côtés de proches qui en ont été victimes. Quelles seraient ces choses que vous craignez le plus dans le fait de perdre le contrôle de votre propre corps et/ou de votre esprit ?
Tom Anderson : Tout le monde peut avoir des problèmes de santé mentale à un moment donné durant sa vie. Ce n’est pas facile d’écrire sur ce genre de sujet. Malgré tout, c’est plus simple d’en parler de nos jours sans être stigmatisé. Nous écrivons de la musique parce que nous aimons ça mais aussi pour parler de ces thèmes-là. Notre démarche vise à créer quelque chose ensemble. L’unité de notre groupe fait que nous sommes devenus une vraie famille. C’est pourquoi nous prenons constamment soin des uns et des autres.
Fred Hills : Je crois que la chose la plus effrayante à propos de la perte de contrôle de son corps et/ou de son esprit, c’est le sentiment de désespoir et de douter de soi. Je pense que c’est une situation que la plupart des créatifs peuvent connaître à un moment donné dans leur carrière. Toutefois, nous devons nous rappeler qu’il y a toujours quelqu’un à qui parler. Help Musicians UK est une organisation caritative incroyable à cet égard.
Un article récent paru en France évoque la détresse des jeunes de 18-24 ans, suite notamment aux confinements et restrictions successifs mis en place pendant la crise sanitaire. Cette détresse croissante fait exploser le nombre d’admissions aux urgences dans les hôpitaux français. À tel point que de nombreux spécialistes pointent du doigt la gestion de la crise et ses conséquences, plus lourdes que le virus lui-même. Qu’en pensez-vous en tant qu’artistes qu’une partie de cette jeunesse écoute ?
Tom Anderson : Le fait que le monde ait dû changer sa façon d’interagir socialement au profit du numérique a eu un impact important sur la façon dont les gens se sentent à l’aise en société. Et les plus jeunes n’ont connu en définitive que cette manière-là. La pandémie nous a évidemment forcé la main avec les restrictions physiques. Pourtant, nous avions déjà pris cette voie avant tout ça. Par exemple, je me souviens avoir eu du mal quand je me suis retrouvé pour la première fois dans un grand groupe. C’était difficile de faire la conversation correctement.
Je suis sûr que si beaucoup de gens se sentent à l’aise pour envoyer des messages aux autres, ils le sont moins pour parler directement avec eux. Le fait est que ce n’est finalement pas réel, ou du moins pas aussi réel qu’un coup de fil ou une rencontre. Sans parler des filtres sur les photos et cette volonté constante de ne donner que le meilleur aperçu de sa vie comme sur les réseaux. Cela crée un sentiment d’identité vraiment déformé pour tout le monde. La vie n’est pas comme ça.
Oli Hinkins : Je ressens certainement une responsabilité envers ces jeunes qui nous écoutent lorsqu’ils luttent contre ce qui se passe dans le monde en ce moment. La musique est une chose puissante, en particulier quand on est jeune. Je me souviens avoir écouté beaucoup de nu-metal quand j’étais enfant. C’est une musique qui renferme beaucoup de colère, contre les parents, la société… Peut-être que le message de la musique d’aujourd’hui devrait être avant tout porteuse d’espoirs, éveiller les consciences. C’est cette approche que nous favorisons dans notre musique.
Votre collaboration à travers The Big Drink est-elle destinée à rester un projet connexe à vos autres projets solo et/ou de groupe ?
Ed Martin : The Big Drink nous passionne tous vraiment. Nous avons déjà prévu d’enregistrer un deuxième album plus tard cette année. Mais aussi plusieurs concerts au Royaume-Uni ainsi que des tournées européennes.
Fred Hills : Nous sommes tous de grands amis et travaillons ensemble dans différentes combinaisons sur divers projets en cours. Mais je pense que nous savons tous que nous nous sommes accrochés à quelque chose de vraiment spécial avec The Big Drink. Le groupe est devenu un véritable creuset de six esprits créatifs différents et trop complémentaires pour qu’ils se séparent.
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