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Jochen Tiberius Koch | Un enfant dans un magasin de jouets

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Dans la veine de Sigur Rós, Jochen Tiberius Koch manie la beauté du monde telle que ses yeux d’enfant l’ont toujours vue. Walden, son premier album paru le 27 juillet dernier, est une déclaration touchante à l’espérance, à l’essentiel, à l’envie d’ouvrir les yeux, de ralentir la course des hommes. Rencontre avec un doux rêveur sachant apprécier la simplicité d’aimer tout court.

Jochen Tiberius Koch, bonjour, et merci d’avoir accepté cette interview. D’où viens-tu ?

Jochen Tiberius Koch : Salut Florian, merci à toi aussi. Je suis né à Gera en 1983. À l’époque de la République Démocratique Allemande, Gera était la deuxième plus grande ville de l’État fédéral de Thuringe. À l’instar d’autres villes telles que Iéna, Weimar, Erfurt et Eisenach, c’était une cité avant tout industrielle destinée à former l’identité des peuples. Au cours des années 1990, Gera a perdu la plupart des jeunes ainsi que de nombreux pans de son attrait culturel. C’est à cette époque que j’ai décidé de la quitter pour emménager à Leipzig.

Quelle était ta relation à la musique lorsque tu étais gamin ?

Jochen Tiberius Koch : J’écoutais beaucoup la musique de mon père, très axée années 1970 : Deep Purple, Led Zeppelin, Black Sabbath. J’écoutais aussi la musique commerciale européenne des années 90. Ces mélanges un peu fous ont formé mes habitudes d’écoute, en plus de définir mes affinités sociales.

Quel a été ton premier coup de foudre musical ?

Jochen Tiberius Koch : Le premier groupe qui m’a vraiment marqué était un groupe de pop-rock autrichien formé dans les années 1970 et qui s’appelait EAV (ndlr : pour Erste Allgemeine Verunsicherung). Mon père possédait un disque d’eux, leur univers était assez satyrique. Il était vraiment difficile à l’époque d’acheter des disques internationaux en RDA, mais celui-ci était un disque sous licence « Amiga ». Je pouvais chanter toutes les chansons du disque, sans comprendre ce que leur contenu signifiait vraiment. Il s’agissait de chansons étranges à propos de “bankrollers” maladroits et de princes de contes de fées.

Par quels moyens ta famille a-t-elle accompagné ton éveil musical ?

Jochen Tiberius Koch : Ma famille n’a jamais vraiment été sensible à la musique. Néanmoins, mes parents ont rapidement compris que ce n’était pas mon cas, notamment grâce au groupe de musique punk que j’avais à l’école. Il signifiait quelque chose pour moi, du coup, ils m’ont fait suivre des cours de guitare. Ça a duré deux ans, en vain. Plusieurs années après, il m’arrive parfois de regretter que la pratique d’un instrument à cette époque ne fut pas plus populaire pour nous, les jeunes. La musique punk nous séduisait beaucoup plus. L’Allemagne de l’Est avait été inondée par le néonazisme, avec toutes les conséquences horribles que cela supposait. Beaucoup de gens décédèrent et/ou furent les victimes des trafics. Nous utilisions la musique et sa force pour lutter contre ça. J’ai ainsi fait partie de plusieurs autres groupes. Finalement, ces différentes expériences m’ont bien plus appris que mes deux années de guitare.

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Quelle place la musique tient-elle dans ta vie, et comment considères-tu chaque projet musical auquel tu as pu collaborer et/ou que tu as initié jusqu’à présent ?

Jochen Tiberius Koch : La musique a toujours été le noyau de mon univers. Rien n’est plus puissant dans la création d’émotions. Rien ne te donne autant d’impressions agréables de la vie. La musique définit à bien des égards mon existence, de l’écoute pure à sa construction, en passant par l’envie constante d’en parler. Certaines personnes font de la musique, dansent dessus. Chaque projet est unique, impossible de dire quand il commence. C’est vraiment inspirant pour moi de faire ces choses : je me sens comme un enfant dans un magasin de jouets à travers ces routes et ces sonorités inédites que je trouve pour chaque nouvelle production depuis de nombreuses années.

Walden est ton tout premier album solo, sorti le 27 juillet dernier. Tu le présentes comme un opus conceptuel, expérimental. Pourtant, on y distingue une profonde maturité. Quel est le sentiment qui t’anime à ton réveil, au début d’une nouvelle journée, et d’où vient-il ?

Jochen Tiberius Koch : Pour répondre à cette question, je crois qu’il est important que je te précise quelque chose à propos de moi et de ma vie. Dans la “vraie” vie, je travaille en tant que chef dans un restaurant. Travailler dans une cuisine est une tâche qui peut parfois être difficile. Mais c’est aussi un métier créatif et gratifiant. Je le hais tout comme je l’aime. Donc, quand je me lève le matin, je suis libre dans ma tête. Mais je sens aussi que mon corps vieillit un peu plus chaque jour. Et j’anticipe le fait que je vais être en contact avec mes invités pendant plusieurs heures d’affilée, et que je vais devoir rester frais et dispo. Il s’agit seulement d’un travail, mais je dois le faire, et ce même si je le déteste et que je l’aime en même temps. C’est comme un petit grain de framboise qui reste coincé entre les dents : c’est gérable mais c’est gênant.

Walden est paru sous le label japonais Schole Inc, fondé par Shin Kukuchi et Akira Kosemura. Comment les as-tu rencontrés et pourquoi avoir choisi ce label plutôt qu’un label allemand ou européen ?

Jochen Tiberius Koch : Je ne les ai jamais rencontrés personnellement jusqu’à présent. Mais je suis en contact régulièrement avec eux et je les adore. Tout ce qu’ils font est vraiment inspirant et très créatif. Ils sont totalement dévoués à la cause artistique. J’apprécie énormément le travail d’Akira. Il a également publié son album In the Dark Woods en 2017 : un comble ! Je lui ai donc envoyé un message pour lui décrire le concept de Walden en quelques phrases, puis j’ai attendu son retour. Il n’a pas attendu une semaine pour me répondre. Je suis très heureux que son label ait pris en charge la sortie de mon album au Japon, c’est un vrai plaisir de travailler avec ces gars-là !

Que révèle cette signature sur la relation naissante existant entre le public japonais et ta musique ?

Jochen Tiberius Koch : J’espère que le public japonais appréciera cet album à son tour. Je crois que tu peux trouver de très nombreuses congruences dans la culture et dans la nature. L’homme sacrifie beaucoup d’humanité et de liens naturels au XXIe siècle, au détriment des mouvements rapides, de l’estime et de la solidarité. Ces valeurs sont significatives, bien plus qu’hier.

« Je crois que les artistes n’ont pas la tâche d’enseigner à la société ou de réformer. Mais parfois, cela peut être utile de posséder un talent spécial pour créer une émulation singulière au sein des foules »

Ton album constitue ta propre interprétation de Walden; or Life in the Woods, l’œuvre majeure du philosophe, naturaliste et poète américain Henry David Thoreau, publiée en 1854. Il écrivit ce livre dans une petite cabane en bois qu’il avait lui-même fabriquée aux abords d’un lac. Il y traite d’économie, de nature, de la vie simple à l’écart de la société. Ton album débute en première plage avec le titre Solitude. Quelles activités aimes-tu pratiquer lorsque tu es toi-même seul ?

Jochen Tiberius Koch : En tous les cas, j’aime beaucoup ma solitude, vu la centaine de gens que je rencontre chaque jour. J’ai besoin d’être en-dehors de cette vie parfois. Je peux alors décider de faire une marche en bord de mer, ou dans la forêt, sans but. Juste pour respirer et pour ressentir le climat, la nature autour de moi. Je fais aussi beaucoup de vélo pour me vider la tête.

Que penses-tu du principe de simplicité volontaire, que Henry David Thoreau développa durant toute sa vie à travers son œuvre, et comment l’appliques-tu dans ta vie de tous les jours ?

Jochen Tiberius Koch : Ce principe est exactement celui qui convient afin de se connecter les uns aux autres. L’être ne se définit pas par la propriété, ses possessions. Nous n’avons pas besoin d’avoir nos smartphones à portée de main 24/24h. Rien ne devrait être constamment accessible. Personnellement, je tente d’échapper à cette folie en mettant mon mobile à l’écart, en faisant du vélo et en considérant le monde de la manière la plus rationnelle possible, même si parfois, la civilisation continue à m’atteindre avec ses problèmes.

La désobéissance civile est autre thème développé par Henry David Thoreau. Il est connecté à son opposition aux autorités esclavagistes, et révèle sa volonté de réformer moralement la société, notamment, en refusant de participer aux injustices perpétrées par les gouvernements. Comment un artiste tel que toi peut à son niveau améliorer et/ou tenter de changer la donne ?

Jochen Tiberius Koch : Et bien, c’est une bonne question, mais cependant très complexe. Je ne fais pas partie de ceux qui enseignent à d’autres. Je continue à espérer que nous puissions un jour cohabiter plus harmonieusement, en pensant à l’essentiel et en l’appréciant vraiment. En faisant cet album à travers son propre contexte, j’ai essayé de propulser la philosophie de Thoreau au XXIème siècle. Il ne s’agit pas là d’une nouvelle connaissance, mais elle est bien plus nécessaire que nous ne le croyons. Je crois que les artistes n’ont pas la tâche d’enseigner à la société ou de réformer. Mais parfois, cela peut être utile de posséder un talent spécial pour créer une émulation singulière au sein des foules.

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Walden est avant tout composé de titres instrumentaux, mais pas seulement. Dans The Bean Field, nous pouvons entendre la voix de Dieter Bellman, un acteur et réalisateur très connu en Allemagne, décédé en novembre 2017 à l’âge de 77 ans. Pourquoi était-il important que ce soit lui sur ce morceau, et pourquoi avoir choisi des mots parlés plutôt que chantés ?

Jochen Tiberius Koch : Je connaissais Dieter Bellaman car il venait régulièrement dans mon restaurant. Il avait cette voix à la fois fragile, sombre, puissante et sensible. Il était la figure du grand-père pour moi. Les mots de Dieter dans ce morceau sont ceux de Thoreau. Un vieille homme nous raconte l’histoire de sa première visite dans la forêt, de la mer, de l’ombre des grands arbres, de son retour à la civilisation. La force théâtrale du début de ce texte nécessitait le choix du langage parlé.

Pour finir, j’ai la possibilité de te faire collaborer avec l’un des trois grands artistes suivants : Agnes Obel, Jonsí, Björk. Lequel choisis-tu et pourquoi ?

Jochen Tiberius Koch : Ce serait une super nouvelle ! (sourire) Je choisis Jonsí. Lui et son groupe Sigur Rós ont façonné ma compréhension de la grandiloquence et de l’harmonie, de la structure musicale mélancolique et multi-émotionnelle. J’espère que Jonsí va bientôt faire un nouvel album solo. J’ai tellement hâte d’y découvrir ses nouvelles perspectives !


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