Si elle la chante pour l’exorciser, on veut bien succomber à celle qu’elle provoque si sereinement lorsqu’on l’écoute. L’addiction que La Chica fait naître est instantanée. Elle est contagieuse. À bord de sa montgolfière ultra-colorée, elle plane au-dessus de ces ères qui n’attendent plus qu’elle s’y pose. Mais le truc de La Chica, c’est de voler. Un p’tit tour ?
Bonjour Sophie, aka La Chica. Très, très heureux de t’avoir à nouveau en interview. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c’était à l’occasion de l’édition 2016 du Mama Festival à Paris. Tu étais accompagnée par tes trois acolytes des 3SomeSisters : Florent, Bastien et Anthony. La dernière info publiée sur la page Facebook du groupe remonte à mai 2017. Que s’est-il passé depuis ?
La Chica : Salut Florian, très heureuse aussi ! Les 3SomeSisters, c’est terminé. Nous avons chacun vogué vers de nouvelles aventures, vers nos projets respectifs en solo. Le projet de Bastien a bien avancé, son album Chimera est presque prêt je crois. J’ai eu la possibilité de l’écouter en avant-première : c’est un album magnifique. Quant au projet de Florent, Virile, a lui aussi bien évolué. Il a fait des concerts très récemment. Il travaille fréquemment avec le Centre FGO-Barbara. Enfin, Anthony est toujours sur plusieurs projets, notamment celui franco-colombien qui s’appelle ËDA.
Sola… Sola… Dicen que eres ángel : lo digo también. Tu évoquais déjà ton projet solo La Chica dans cette même interview. Depuis, celui-ci a pris un merveilleux envol. Tu déclarais à l’époque : “Il y a quelque chose de très grisant dans le fait de réaliser son projet parce que cela nous permet de nous exprimer de façon très brute.” Ton empreinte sur le projet 3SomeSisters était déjà très perceptible aux côtés de celles des autres membre du groupe. Quelles contrées inédites La Chica te permet-elle d’explorer que tu n’aurais pu découvrir autrement que seule ?
La Chica : Hum… C’est une bonne question. Il y a quelque chose de très intéressant dans le travail en groupe. C’est le fait de se surprendre à aller chercher des choses auxquelles on n’aurait jamais pensées. C’est ce que j’ai énormément apprécié avec le groupe 3SomeSisters. Le fait de travailler seule ensuite sur mon projet, ça m’a amené à explorer des contrées encore plus profondes, sombres, de ma propre personnalité. Cela m’a mise face à des failles, à des vérités aussi que je n’aurais peut-être pas vues si je n’avais pas emprunté ce chemin.
La Chica, c’est d’abord une première grande chanson parue en 2015 : Oasis. Une ode captant toute l’ampleur de tes origines vénézuéliennes de par ta maman, et françaises de par ton père. Mais c’est aussi une chanson étreignant une mélancolie profonde, une solitude magnifiée par des élans électro dignes des plus grandes compositions de Björk, ta “mémé” spirituelle et artistique comme tu la désignais toi-même lors de notre première rencontre en 2016. Qu’avait La Chica dans la tête au moment de l’écriture et de la réalisation de ce morceau ?
La Chica : C’était moi surtout. C’était le fait de m’exprimer à travers ma propre voix, ma propre musique. Même si j’avais écrit et composé d’autres morceaux avant Oasis, cette chanson est la première que j’ai trouvée suffisamment aboutie et fidèle à ce que j’étais. J’avais besoin de créer quelque chose qui soit vraiment mon identité. Et quand j’ai réussi à réaliser ce morceau, je me suis dit que tout commençait.
Que dirait La Chica de 2015 à La Chica de 2019 ?
La Chica : (sourire) Elle lui dirait : “Ne lâche pas l’affaire.” Sous-entendu que la voie artistique, musicale, est difficile. C’est pas évident de porter un projet toute seule. C’est énormément de travail, d’énergie. On n’a pas toujours des bonnes retombées ni de bonnes expériences. Elles peuvent être fatigantes, traumatisantes. Mais il ne faut pas baisser les bras. Même si, parfois, on en a quand même un peu envie.
Le 8 février dernier, tu as sorti ton premier album Cambio. Il intègre tes précédents singles disponibles depuis la parution de ton premier EP Oasis en janvier 2017, notamment Addict, Sola et Drink. Ce dernier morceau avait déjà fait un carton en mai 2018. Drink dévoile une autre facette de ton processus créatif, attaché à ces sonorités du monde, presque ethniques. La Chica, c’est cette femme aux multiples racines, aux songes pluriels. Quelle serait sa jumelle, dans l’histoire ou dans ton imaginaire, qui se rapprocherait le plus de cette symbolique tout à la fois intrigante et captivante que La Chica façonne depuis ses tous premiers chants ?
La Chica : Elle n’est pas imaginaire cette jumelle. Je suis vraiment plusieurs à l’intérieur ! Il y a notamment ce personnage un peu mystique, chamanique. Il apparaît dans un certain nombre de clips que j’ai réalisés ces derniers temps. C’est un personnage important qui correspond à la partie animale de moi-même, et qui vient me relever en général lorsque je suis tombée. Il me donne les bons conseils pour m’élever. Il est toujours là à mes côtés. Sa voix me poursuit partout où je vais.
Addict, parue pour la première fois en novembre 2018, est l’une de tes chansons les plus bouleversantes. Le tempo se fait down, chaque mot est profondément pesé, inspiré, interprété. Il s’agit là d’un beau titre évocateur du désir constamment inassouvi, de l’addiction. Qui te l’a inspiré ?
La Chica : Addict, c’est en effet l’addiction. C’est aussi la recherche de facilité que l’on peut initier dans la vie. C’est toujours plus simple de rester sur ses acquis, dans sa zone de confort, que de se confronter à la réalité. Ce titre fait référence à beaucoup d’étapes de ma vie et à des contextes très différents. On peut parler d’addiction à une personne. À une relation dont il est difficile de se détacher même si elle est synonyme de destruction. À toutes ces nouvelles manières de communiquer et qui nous endorment. En fait, je crois que Addict parle aussi d’éveil. N’oublions pas de nous éveiller, de nous réveiller, même si on a envie du contraire.
« C’est quand je me suis rendue compte que je m’étais assoupie que j’ai à nouveau pu évoluer. Ce fut la métamorphose. Elle peut être douloureuse, tout autant que la recherche de la liberté. »
Ta démarche artistique transcende la musique : voilà ce que j’ai toujours aimé aussi chez 3SomeSisters et chez La Chica. Sur YouTube, tes proses sont écrites pour permettre à chacun de s’accaparer le sens de tes chansons. L’esthétisme des vidéos est également extraordinaire. Certaines sont de véritables fresques picturales et sculpturales animées, à l’instar des clips de Sola et de Ratas. Qui plus est, elles dévoilent une liberté accessible au plus grand nombre. Au-delà des collaborations initiées avec les talentueux réalisateurs de tes clips, pourrais-tu décrire ta propre ascension vers cette liberté, que beaucoup convoitent encore aujourd’hui ?
La Chica : C’est sûr, la liberté est très importante dans ma vie. Dans mon projet musical aussi. Je suis en quête d’honnêteté et d’authenticité aussi, quant à ma proposition artistique. Et cela, je ne peux y accéder qu’à travers une liberté totale. C’est pour cette raison que je me permets d’aller explorer toutes les facettes du projet La Chica. Autant la musique que les visuels : c’est absolument lié. Quand je compose, je vois des images. Chaque accord a une couleur. Chaque mot me plonge dans un contexte singulier. J’ai besoin de ça. C’est un peu ma thérapie. J’ai toujours ressenti cette liberté.
De quoi se compose-t-elle ?
La Chica : Je crois qu’il s’agit seulement de moments dans mon existence qui m’ont plus effrayée et qui l’ont par conséquent mise de côté. Je l’ai moi-même fait taire, aussi. Et le titre de mon album, qui signifie “le changement”, n’est pas un hasard non plus dans ce sens. C’est quand je me suis rendue compte que je m’étais assoupie que j’ai à nouveau pu évoluer. Ce fut la métamorphose. Elle peut être douloureuse, tout autant que la recherche de la liberté d’ailleurs, dans certaines circonstances. Car il faut aller à l’encontre de certaines choses déjà établies.
La danse tient également une place majeure dans l’impact de tes vidéos, ainsi qu’en live. A nouveau, nous avons pu nous en rendre compte lors de ta session exceptionnelle filmée à l’Institut du Monde Arabe début février à Paris. D’où te vient cette appréhension scénique, ce ressenti de la danse ?
La Chica : Ce projet musical a la particularité d’aller chercher des émotions qui sont très brutes. Je les transforme avec la musique mais aussi avec la danse. J’ai besoin de ce mouvement. Et quand je monte sur scène, c’est pour pouvoir interpréter ce que j’ai à dire avec justesse. J’ai vraiment besoin de pénétrer mon intérieur. Cela implique de lâcher prise physiquement. Si la voix doit sortir, elle doit le faire en résonnant avec tout le corps. Je n’ai pas conscience de tous les mouvements que je fais sur scène. C’est un état de transe que je cherche à atteindre. Je peux m’aider d’un p’tit shot de rhum avant de monter sur scène aussi, c’est pas mal pour se mettre en condition (rires).
S’il n’y en avait qu’un(e), quel(le) serait le danseur ou la danseuse influençant le plus cette transe ?
La Chica : Ce qui me vient lorsque tu me poses cette question, c’est le rapport à la danse qui existe en Amérique Latine, notamment à la Caraïbe. Tout le monde danse très facilement. Il y a énormément de danses folkloriques, inspirées par l’héritage africain.
Tu es justement sur le point de repartir au Mexique pour te produire au Festival del SOL ainsi qu’au Salon Pata Negra. Comment appréhendes-tu cette nouvelle tournée ?
La Chica : La première a eu lieu il y a un an et demi. J’y ai fait la connaissance du MOOI Collective. Il réunit des artistes des quatre coins du globe. Des musiciens, des vidéastes, des photographes, des peintres, des sculpteurs… Par cet intermédiaire, j’ai fait énormément de rencontres très inspirantes. Beaucoup de collaborations aussi. J’y suis retournée trois fois cette année. J’ai eu l’opportunité de m’y produire à chaque fois. J’ai tourné le clip de Ratas là-bas. Et encore après ça, nous avons enchaîné 15 dates sur un mois ! C’est incroyable de se produire là-bas. Les gens comprennent les paroles, ça résonne un peu plus du coup. L’accueil est à chaque fois incroyable. Le public mexicain est très moderne. Le pays est un peu la plaque tournante de ce qui se fait de mieux en Amérique Latine, tous genres musicaux confondus. J’ai vraiment hâte d’y retourner.
À ton retour, tu te produiras le 30 mars à la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand dans le cadre de FAIR le Tour. Le FAIR se réinvente à l’occasion de ses 30 ans : ça tombe plutôt bien. À partir de 2019, l’appel à candidature est ouvert toute l’année. Les artistes peuvent postuler à 2 sessions de sélection : fin mars et fin octobre. À chaque session, 7 nouveaux lauréats seront sélectionnés. Si l’on considère ton propre parcours artistique, quels seraient les trois conseils que tu pourrais partager avec celles et ceux qui souhaiteraient tout comme toi défendre leur univers musical singulier ?
La Chica : Le premier conseil, ce serait de rester soi-même et de ne jamais se travestir pour satisfaire des attentes momentanées. Le second : savoir s’entourer. C’est très difficile de faire les choses par soi-même. Il faut donc une équipe pour pouvoir avancer : les bonnes personnes se trouvent grâce à l’intuition. Dernier conseil : ne jamais abandonner. Car l’échec, le vrai, concerne avant tout ceux qui ont arrêté trop tôt.
En tant qu’artiste, quel regard portes-tu sur le FAIR, ses missions, ses enjeux ?
La Chica : J’ai une affection très particulière pour le FAIR puisque je l’avais déjà fait avec les 3SomeSisters (ndlr : le groupe fut lauréat du FAIR 2017). Le fait de renouveler l’expérience avec La Chica, c’est un bonheur. Selon moi, il s’agit d’une aide artistique parmi les plus efficaces en France. Ils ont une véritable vision de ce que peuvent être les artistes et ils réussissent à l’adapter. Ils comprennent bien le fonctionnement de l’artiste. Du coup, toutes les initiatives qui sont mises en œuvre sont réellement pertinentes. Tout ce qui concerne ce qui entoure le milieu de la musique, les master classes sur les thématiques de l’autoproduction, des aspects juridiques et contractuels liés à la musique, de l’édition, du management. Sans parler des aides pour s’occuper de toutes les tâches administratives, à l’instar des prestations proposées par IDeal Rights. Finalement, c’est un accompagnement concret et moral. C’est très important d’avoir ce type de soutien. Le FAIR réalise ça à merveille.
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