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We Are The Line | L’envie folle d’être libre

we are the line song of light and darkness

Jérôme Dubourdieu est à l’origine du projet électro We Are The Line. Après la sortie en octobre 2017 d’un premier EP intitulé Through The Crack, un second est paru le 3 juin dernier pour poursuivre l’arc narratif du projet. Songs Of Light & Darkness est l’occasion d’accompagner l’auditeur jusqu’aux territoires intimes de son créateur, en quête d’absolution et de résolutions d’avenir qui sauraient être partagées.

Bonjour Jérôme, et merci d’avoir accepté cette interview. Si tu as pu évoquer par le passé certains membres de ta famille, notamment l’un de tes oncles qui te fit découvrir et tomber littéralement amoureux de Depeche Mode, on sait peu de choses sur toi et sur la genèse de ton projet musical We are the line. Tu déclares dans ton dossier de presse : “Je suis une imposture. Voilà ce qui a tout d’abord motivé le choix de me cacher derrière un groupe, un collectif au moment de lancer tout ce projet. Il y avait mon incapacité à assumer une direction, une ligne, ainsi qu’une sorte de pudeur à ne pas indiquer que tout ce travail était très personnel” : n’est-ce pas là le sacerdoce de tout artiste ?

Jérôme Dubourdieu : Bonjour Florian, merci à toi aussi. Nous rentrons dans le dur dès le début (sourire). Je vais commencer par la fin de ta question. Non, je ne suis pas certain que ce soit le sacerdoce de tout artiste. Créer est peut être éminemment personnel, mais le propos ou ce qui est exprimé ne l’est pas forcément. Tout dépend de ce que tu choisis de mettre en avant. Pour ce qui est de la musique, faire ressentir peut être au centre de ce que tu fais, mais faire danser aussi. Sans rentrer dans la notion de qualité, je pense que chacun exprime ce qu’il veut et comme il le veut ou le peut.

Me concernant, le fait de me cacher derrière un groupe, un « concept », m’a également permis de faire en sorte de ne pas trop personnaliser, de ne pas attirer l’attention des gens sur ma propre personne. J’ai toujours estimé ressentir des choses communément ressenties, certaines idées ou points de vue également. J’aimais l’idée que chacun s’approprie tout ça, ressente et réfléchisse selon son propre référentiel. Ce second EP est là pour éclairer un peu plus, dans la continuité de Through The Crack.

S’il n’y en avait qu’un et un seul, quel serait finalement l’événement majeur dans ta vie personnelle t’ayant permis de donner toute sa constance et sa consistance à ton projet musical ?

Jérôme Dubourdieu : Difficile de choisir, parce que je crois sincèrement que c’est une accumulation d’expériences qui m’a permis petit à petit d’avoir confiance en certaines de mes idées et façons de faire. Il y a eu des choix et des renoncements qui m’ont peut-être éloigné de ce que je voulais être. La peur a pas mal fait son boulot dans ma vie. D’ailleurs, elle rode encore un peu. Mais j’ai toujours cru en la cohérence entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. C’est essentiel.

C’est extrêmement difficile, car souvent, on peut être à contre-courant, se tromper aussi. Mais si je dois vraiment donner un événement, je dirais que j’ai eu un choc brutal professionnel, très violent dans la forme et le fond. Si je n’avais pas eu le soutien d’amis et de collègues à l’époque, j’ignore quelle en aurait été l’issue. J’ai commencé à comprendre alors que d’autres me considéraient, croyaient en moi. J’ai ainsi pu construire progressivement cette confiance en moi. Il y a encore du taf, d’où la matière de tout ça, notamment à travers le monde qui nous entoure, qui part souvent dans tous les sens, et pas uniquement les bons.

jerome dubourdieu we are the line

We are the line a sorti le 3 juin dernier son second EP : Songs of Light and Darkness. “Je ne suis pas fais pour ça, je suis un homme du malheur” : c’est le refrain que tu scandes dans Man of Misfortune. A qui t’adresses-tu dans ce morceau, et pourquoi cette considération si négative de toi-même ?

Jérôme Dubourdieu : Ce n’est pas forcément moi au présent, ni moi tout court (sourire). Mais le cas échéant, je serais un poil malhonnête si je cherchais à te faire croire ça (rires). Ce morceau est éminemment autobiographique. Je suis passé par des phases assez dures, dépressives je dirais, mais qui ne passe pas par là ? Et dans ces moments-là, tu crois ne pas pouvoir t’en sortir. Tu penses ne pas avoir droit à ne serait-ce que l’attention de quelqu’un. C’est un peu le sujet de Man Of Misfortune. Il fait suite à Through The Crack, mon premier EP, qui faisait un premier état des lieux avec une forme de colère, quelquefois de désenchantement, et aussi de prises de conscience, mais de manière plus posée. Là, je repars un peu plus loin.

Le but est de dire qu’on vit pas mal de choses dans une vie, et que même en se déconsidérant à un instant T, on est finalement capable de remonter. Darkness Above, le morceau suivant, est la réponse à ce morceau. Il y est dit qu’en s’apitoyant sur son sort, on ne peut que tomber, et que les peurs n’empêchent pas le danger. Au contraire, elles le prolongent. Si je pense que ces passages à vide sont assez répandues, je crois aussi que j’ai cessé de me déconsidérer. Bien entendu, je pense que certains passent par bien pire que moi. J’essaie de transformer tout ça en construisant. J’espère également sans doute que d’autres se sentiront inspirés.

« J’ai bien conscience de n’être qu’un petit homme, mais j’essaie d’apporter ma pierre à l’édifice »

Misfortune, Darkness, Untold, Undone : les mots choisis pour composer les titres de chacun des titres de ton EP dépeignent à eux-seuls cette dépression que tu évoques. Au-delà d’user de tes compositions pour libérer certaines de tes emprises intérieures tyranniques, quelles sont les raisons qui expliquent cette volonté d’explorer et d’afficher cette noirceur constante ?

Jérôme Dubourdieu : Ce qui est paradoxal quand tu me rencontres, c’est que je ne dégage pas forcément dans mon apparence ce côté sombre. Il s’exprime beaucoup plus dans ma musique et je reste persuadé qu’il est lié au fait d’avoir écouté des musiques sombres, à l’instar de celles de Depeche Mode que tu évoquais tout à l’heure, mais aussi celles de Nine Inch Nails, de Massive Attack, de Queen… Après, je ne crois pas être quelqu’un d’un noir absolu, totalement dark. Je crois malheureusement être réaliste par moment quand j’observe les choses. Et au travers de ce que je fais, je tente de partager un vision, de transmettre une forme de prise de conscience.

Mais si tu regardes de plus près les textes de Darkness Above et de Undone, ils ne sont pas si noirs en fait. Ils prônent le besoin d’y croire. Et c’est là un autre trait de ma personnalité : ne pas se fier aux apparences souvent trompeuses. Aller au fond des choses et faire ressentir en étant sincère, c’est essentiel pour moi. Pour finir, j’avoue que je ne supporte pas cette injonction d’être heureux. Je sais qu’il ne faut pas trop s’écouter non plus, mais ça en devient ridicule. Après tout, la résilience ne se limite pas à mettre la poussière sous le tapis.

« Far above the world, Planet Earth is blue, and there’s nothing I can do » : sauras-tu reconnaître ces quelques paroles de cette chanson culte signée par l’une de tes références musicales ? Le cas échéant, pourrais-tu me dire ce qu’elle symbolise pour toi ?

Jérôme Dubourdieu : BOWIIEEEEEE, Space Odity, bien sûr. J’ai découvert David Bowie sur le tard, d’abord au travers d’une autre de mes grosses influences, Nine Inch Nails. Puis par l’album Outside et juste après, Earthling. Au passage, c’est le seul artiste pour lequel j’ai éprouvé un gros vide, une boule au ventre au moment de son décès. Je me souviens de la manière dont je l’ai appris, et ça m’a un peu tué la journée. Bowie est absolu. Il s’est sans cesse réinventé. Il a touché à tellement de styles, de disciplines, de moments extrêmes aussi !

Gloire et chute, salué un jour pour son génie, puis accusé le lendemain d’être un nazi à une époque. J’ai cette conviction qu’il a dû beaucoup affronter. Il représente cette même ligne que j’évoque plus haut, une constance qui est de croire en toi, en ce que tu fais et ce que tu oses. Tu peux te planter, ça peut être désastreux, mais tu avances.

jerome dubourdieu we are the line

Et toi, si tu avais à ton tour la planète à tes pieds, comme Bowie dans Space Oddity, serais-tu tout autant dépourvu que lui ?

Jérôme Dubourdieu : Tout dépend de ce qu’on met derrière l’expression « à tes pieds ». Cette idée est d’ailleurs une partie de la suite de We Are The Line. J’aimerais répondre non à cette question, mais au fond, je pense que oui. Je serai même désemparé. J’essaie d’amorcer des choses à mon niveau, d’emmener les gens dans tout ça, et j’espère qu’ils en feront de même, mais il ne s’agit pas que de moi. Je n’ai pas de sentiment de toute puissance, je fais ce que je peux, en tentant de comprendre où je vais. Mais où va le vaisseau ?

Que changerais-tu pour que les gens marchent sur la tête dans le bon sens ?

Jérôme Dubourdieu : Il y a tellement à faire, tellement de prises de conscience à initier et, si tant est que je sois celui ayant le bon référentiel, tellement de bonnes valeurs. Mais plus j’avance, plus je me rends compte que la mémoire, historique ou celle dans son sens le plus large, permet de résoudre pas mal de choses. Si tu ajoutes à ça une capacité à douter de tout, et donc, à aller chercher l’information, alors tu évites pas mal de pièges, de folies actuelles. On cessera peut-être de tout mettre sur le plan de la compétitivité et sur celui financier, pour remettre l’humain au centre des préoccupations.

Quelle est cette hérésie qui fait de l’homme une variable d’ajustement comptable ? Je sais que ça va sonner bisounours, rêveur, limite communiste : je ne le suis pas. Il faudrait donc un sacré reset, un paquet de pédagogie, et cesser les faux-semblants. J’ai bien conscience de n’être qu’un petit homme, mais j’essaie d’apporter ma pierre à l’édifice.

Quelle est selon toi la chanson qui revendique le mieux l’envie folle d’être libre, et pourquoi ?

Jérôme Dubourdieu : De manière instinctive, sans trop penser, je dirais I Want to Break Free de Queens, même si c’est ultra bateau. La forme même du morceau ressemble à un hymne. Tout est libérateur dans ce morceau, sa puissance te donne juste envie de pousser ton corps à se réveiller. Puis vient le second effet, quand tu creuses les paroles. Mercury, à l’instar de Bowie, est quand même un sacré ambassadeur de la liberté. Il s’est clairement affranchi des limites habituelles. Il est le courage incarné. Tu unis le premier au second, et tu obtiens Under Pressure, qui donne lui aussi l’envie folle d’être libre.


We are the line : site officiel | Photos : Hubert Cadalguès

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